Le premier biberon de Petite Poulette ©ZIR

« Nan mais dans quel monde vit-on ma bonne dame ? » Voilà à peu près ce que j’ai pensé en découvrant il y a quelques semaines l’existence de la machine BabyNes de la marque Nestlé. En gros c’est l’équivalent de la machine Nespresso mais pour préparer des biberons (oui, celle avec les petites capsules qu’on achète à prix d’or seulement dans les boutiques du même nom). Mais ne rêvez pas les filles, pas question de voir Georges C. débarquer à 3 heures du mat’ pour torcher bébé et le nourrir…
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Arguments de la firme suisse : «  un biberon préparé en une minute, à la bonne température, sans grumeaux », « des formules adaptées à chaque âge », « fini les erreurs de dosage », « des dosettes qui filtrent l’eau », j’en passe et des meilleures…
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La blogosphère s’est déchainée sur cette fameuse machine. Et les médias avec. Régression dans la relation mère-enfant ou véritable libération de la mère ? s’interrogeait ainsi Le Monde il y a 15 jours (vous remarquerez comme moi qu’il n’est étrangement pas question du père… parce que c’est bien connu, hein, les papas ne savent pas préparer les biberons, même avec une telle machine…) En Suisse, où le produit a été lancé l’année dernière, le quotidien Le Temps parle quant à lui de Rififi chez les biberons.
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Moi j’hallucine juste sur le coût économique (200 € la machine et 40 € minimum la boite de 26 capsules)  et écologique (pas la peine de vous faire la liste hein !) d’une telle « avancée technologique ». J’étais déjà plus que sceptique avec celle pour le café, mais là, les bras m’en tombent… Nous vivons dans un monde merveilleux où les marketeurs nous prennent pour des quiches, voilà la réalité ! C’est une opinion toute personnelle bien sûr ;-) mais j’ai l’impression de ne pas être la seule.
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Et parce qu’une innovation peut en cacher une autre, voilà que Gallia (qui appartient à Danone, le grand concurrent de Nestlé) vient de sortir un lait infantile Junior. Avec comme arguments, en gros, que le lait de croissance est recommandé jusqu’aux 3 ans de l’enfant mais qu’il est bien souvent difficile de leur faire boire 500ml par jour après l’âge de 2 ans. C’est là que les gentils vendeurs de lait ont pensé à nous : un seul biberon de 240ml de lait junior répondrait à tous les besoins nutritionnels de notre bébé devenu grand.
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Ben me voilà comme une poule qui aurait trouvé un couteau, comme dit ma grand mère. Moi qui pensait justement abandonner le lait de croissance d’ici quelques jours, Petite Poulette allant bientôt célébrer ses deux ans. Pour la grande, j’avais scrupuleusement suivi les conseils de la pédiatre, lait de croissance jusqu’à l’entrée en maternelle. Mais pour la cadette, je me suis demandée si tout ça en valait le coup finalement. Parce que nous, vous, moi, et toutes les générations d’avant, on n’est pas mort de ne pas avoir été élevé au lait de croissance. Et, on n’est pas plus con que les autres, non plus ?! Enfin, je crois…
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Alors quels arguments pour et contre le lait de croissance ?
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Lait de croissance : les « pour »
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Sur le site du Programme National Nutrition et Santé (le PNNS) on peut lire :
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Jusqu’à l’âge de 3 ans, le lait reste présent dans l’alimentation de votre enfant à hauteur de 500 ml par jour. Remplacez le lait 2ème âge par un lait de croissance.
Proches des laits 2ème âge, ils conviennent aux enfants à partir de 1 an et jusqu’à 3 ans. Ils permettent notamment des apports suffisants en fer (ce qui n’est pas le cas du lait de vache.)
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Par ailleurs, un article paru en avril 2010 dans Le Généraliste (revue professionnelle pour les médecins) résume assez bien les intérêts présumés du lait de croissance par rapport au lait de vache :
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– faible teneur en protéines (22mg/l pour les laits de croissance contre 33mg/l pour le lait de vache) alors que l’alimentation diversifiée des enfants de 1 à 3 ans est en général déjà excédentaire en protéines.

– supplémentation en acides gras essentiels d’origine végétale indispensables au bon développement du cerveau, souvent peu représentés dans l’alimentation de l’enfant. Idem pour le calcium et la vitamine D (même si, l’apport de vitamine D en gouttes ou en ampoules reste indispensable)

– supplémentation en fer : 500 ml de lait infantile couvre 50 % des besoins de l’enfant contre 8 % pour la même quantité de lait de vache.
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Sur le site du Syndicat Français des Aliments pour l’Enfant, on trouve le même genre d’infos (en même temps, ce n’est pas étonnant ;-), notamment dans leur newsletter de juin 2011 :
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Un éditorial des Archives de Pédiatrie, signé de J. Ghisolfi et al., pour le Comité de nutrition de la Société Française de Pédiatrie, fait le point sur le choix des apports en lait chez les enfants de 1 à 3 ans, et en particulier sur la place des laits de croissance. Cet éditorial conclut que l’on  « dispose (…) d’assez d’arguments pour assurer que l’emploi de lait de vache pour les enfants de 1 à 3 ans est un facteur indiscutable d’inadéquation de leurs apports nutritionnels par rapport aux ANC (…). À l’inverse, les laits de croissance contribuent, sauf pour la vitamine D, à une bonne couverture de tous les besoins nutritionnels de ces enfants, quelle que soit leur prise de denrées non lactés, sans aucun risque d’excès d’apport (…). »
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Bon, très clairement, La Société Française de Pédiatrie est elle aussi pour l’utilisation des laits de croissance jusqu’à l’âge de 3 ans. Elle le dit dans cet éditorial sus-cité mais aussi ici (attention, article accessible uniquement aux abonnés de la revue)
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À lire aussi ici une interview d’un membre du comité de nutrition de la Société Française de Pédiatrie réalisé par le Syndicat des Aliments de l’Enfance clairement en faveur du lait de croissance (vous allez me trouver suspicieuse, mais je trouve que ça pue le conflit d’intérêt tout ça…)
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Lait de croissance : les « contre »
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Ce n’est pas qu’ils soient vraiment contre, mais de nombreuses voix s’élèvent depuis quelques temps pour dire que les laits de croissance sont inutiles.
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En 2009, dans la revue française de médecine générale Exercer, on pouvait lire un article disant en substance qu’il n’y avait aucun argument en faveur d’un apport bénéfique des laits de croissance sur la santé des jeunes enfants :
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Contexte. Ces dernières années, le marché des laits de croissance est en plein essor en France. Environ trois fois plus chers qu’un lait « standard », ils sont supposés répondre spécifiquement aux besoins des enfants âgés de 1 à 3 ans. Leur utilisation est conseillée par le Plan national nutrition santé (PNNS). Devant l’hétérogénéité de pratiques, l’absence de consensus international et d’études spécifiques, ce travail a recherché des arguments scientifiques permettant de conseiller l’usage des laits de croissance. Méthode : revue de la littérature. En l’absence d’étude globale sur les laits de croissance, leurs trois principales spécificités ont été étudiées : supplé́mentation en fer, en acides gras essentiels et diminution de l’apport protéique.

Résultats. Il n’y a pas de preuves des bénéfices apportés par les laits de croissance sur la santé des enfants. Cependant, ils apportent une quantité de fer qui pourrait être bénéfique aux populations carencées*. Leurs prix est un obstacle, d’autant que carence martiale et bas niveau socioéconomique sont intimement liés.

Conclusion. Ce travail n’a pas permis d’objectiver de plus value pour la santé des enfants justifiant l’utilisation systématique des laits de croissance.
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L’année suivante, le Collège National des Généralistes Enseignants enfonce le clou à son tour :
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Les données scientifiques sur ces laits ne montrent pas de bénéfice lié à la supplémentation systématique en fer. Ils ne préviendraient ni le risque infectieux ni les troubles de la croissance et il n’y aurait pas d’autre avantage identifié à la supplémentation en fer*. Concernant l’ajout systématique d’acides gras essentiels, les données sont insuffisantes. La diminution de l’apport protéique n’a pas non plus d’intérêt démontré après l’âge d’1 an.

Etant donné l’absence d’argument scientifique démontrant le bénéfice de la prescription systématique des laits de croissance, le CNGE recommande une adaptation individuelle de la prescription des laits selon le contexte de l’enfant.
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*la carence en fer chez les enfants est très mal documentée en France, on estime qu’elle concernerait 20 à 50 % des 6-24 mois (bonjour la fourchette ! sans compter qu’on ne fait pas de distinction entre légère carence et carence sévère ayant des conséquences sur la santé…)
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Voilà pour les positions officielles. Dans la vraie vie aussi, de plus en plus de pédiatres, parents, médecins généralistes s’interrogent sur la pertinence de donner du lait de croissance, surtout après l’âge de 2 ans. Si on regarde en dehors de nos frontières, on constate que le lait de croissance n’existe quasiment pas dans les pays anglophones (deux formules, une pour les 0-6 mois et une autre pour les 6-18mois). Quant à la Suisse et le Canada, où il existe mais est consommé de façon marginale, il n’est pas conseillé par les sociétés savantes de pédiatrie… Enfin l’OMS elle-même n’en parle même pas dans son guide des principes directeurs de l’alimentation pour les 6-24 mois non allaités.
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Et puis il y a la question du prix : beaucoup objecte que le lait de croissance, ça coûte cher. Alors, j’ai fait le calcul pour voir. Au litre, le lait de croissance que j’achète me coûte environ 2,40 à 2,80 euros. Le lait de vache, entier, coûte lui environ 1 à 1,35 euros si on le prend bio. Voilà, du simple au double donc ! Et sur le mois, une dépense supplémentaire d’environ 7 euros. Pas de quoi hurler non plus (parce que si on reparle de la BabyNes, alors là, il m’en coûterait environ 43 euros par mois, sans compter l’achat de la bécane !!)
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Et si tout ceci n’était que marketing et foutage de gueule ?
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Pour mémoire, entre 1997 et 2005 en France, la consommation de lait de croissance a été multipliée par deux pour les 1-2 ans et par huit pour les 2-3 ans…

En 2009, 62 % des 1-2 ans consommaient du lait de croissance, ils n’étaient que 20 % en 1997 !

Ils sont forts hein les marketeux ?!
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Alors plutôt que de nous vendre à tout prix un truc qui semble finalement sans grand intérêt pour la plupart des mômes, est-ce qu’il ne serait pas mieux de renforcer les campagnes de communication en faveur d’une alimentation équilibrée auprès des populations à risque ? Nan parce que quand même, moi j’connais des mômes qui ne mangent que des babybels et des petits raisins ;-) (ouais parfaitement, les poulettes ça se nourrit très bien avec des petits fromages ronds et autres vieux fruits secs) Et puis ce qui me chiffone, c’est que les pro-lait de croissance n’ont de cesse de comparer la composition du dit lait infantile avec celle du lait de vache, mais franchement, à quoi ça sert si on n’envisage pas l’alimentation dans sa globalité ? Comment juger de l’intérêt de tel ou tel lait si on ne s’intéresse pas à ce que l’enfant mange à côté, à la crèche, à la maison, chez la nounou ?!
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Pour ceux qui veulent se passer du lait de croissance après 18 mois, quelques conseils plein de bon sens : proposer une alimentation diversifiée et équilibrée à son enfant, cela va de soit, choisir du lait de vache entier (sauf en cas d’obésité infantile) et de préférence bio, compléter les apports en acides gras essentiels avec deux cuillères à café par jour d’huiles végétales de type huile de colza ou de tournesol, privilégier des aliments riches en fer (tout en faisant attention à ne pas donner trop de protéines, pas facile hein !)
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Et nous, nous verrons bien ce que pense la pédiatre de Petite Poulette lorsque nous irons la visiter pour le contrôle technique des 2 ans d’ici quelques jours…

Miliochka
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