Devenir parent… Voilà bien un des grands défis de la vie pour lequel nous n’avons aucune préparation.

On nous prépare à l’accouchement (autant qu’il est possible de se préparer à un évènement bouleversant qui peut être source de bon nombre de surprises !), on s’enthousiasme tout autant que l’on fantasme cette arrivée d’un bébé tant désiré, on envisage du bout de la lorgnette un après avec ou sans allaitement au sein, avec poussette ou porte-bébé etc…

Mais quid de cette nouvelle vie à trois ou plus ? Lorsque bébé arrive, c’est toute la maisonnée qui se trouve désorganisée, pour s’organiser autour de ce petit être.

« Il peut être difficile pour plusieurs femmes d’accepter d’être désorganisées pour un temps et de dépendre de l’horaire imprévisible de quelqu’un d’autre. C’est un défi d’autant plus grand que le mot à la mode qui dirige une bonne partie de nos vies, au travail du moins, c’est « gestion » : gestion de son temps, de ses tâches, de sa santé, de son stress… mais on ne gère pas un jeune bébé ! »

Non on ne gère pas un bébé, on ne peut pas vouloir de lui d’être calé sur notre rythme, on ne peut pas exiger d’un bébé qu’il ne pleure pas, qu’il dorme comme nous selon notre rythme circadien qui lui est totalement étranger, qu’il n’ait pas besoin de quelque chose au moment où nous souhaitons faire autre chose…etc…

J’aime beaucoup l’image qu’Isabelle Brabant donne dans son livre Vivre sa grossesse et son accouchement Une naissance heureuse, bébé ce « petit orchestre qui se permet des variantes, des improvisations, qui alterne les douces valses avec des moments de sarabandes folles. Un bébé suit bien rarement une musique militaire aux cadences prévisibles ! »

Bébé vient indéniablement bouleverser l’équilibre d’un couple d’amoureux, devenu un couple parental, et cela nécessite beaucoup de souplesse, une capacité d’adaptation et une écoute de l’autre très développée.

Reste un grand défi parmi celui là, garder son identité de femme, d’homme et de couple, ce qui n’est pas du tout évident lorsque ce tout petit être totalement dépendant de vous devient le centre de vos préoccupations.

L’auteur recueille le témoignage de son amie sage-femme et mère de quatre enfants :

« L’arrivée d’une enfant suscite un bouleversement fondamental dont nous sommes la plupart du temps inconscientes. Le fait de devoir répondre aux besoins d’un être sans autre recours ou ressource que notre présence réactive en nous tous les désirs ou besoins qui n’ont jamais obtenu réponse ou solution, du temps que nous étions nous-mêmes un petit bébé sans défense. Quelque chose à l’intérieur de chaque nouvelle mère dit : Aimez moi, prenez soin de moi, répondez à tous mes besoins, de la même façon qu’elle a à aimer et prendre soin de son nouveau-né. D’une certaine façon, tout le monde voudrait bien que ses propres besoins soient immédiatement comblés sans avoir même à les articuler.  Avec un nouveau-né, c’est exactement ce que la mère doit (et veut) fournir constamment, une réponse immédiate et adéquate à ses besoins. Ce qui lui rappelle que plus jamais personne ne fera de même pour elle et que personne n’y est jamais parvenu parfaitement non plus… »

Nous sommes devenus des adultes qui doivent combler nous-mêmes nos besoins, rien de nouveau sous le soleil bien sûr nous le savons, mais devenir la « pourvoyeuse » de tous les besoins tout en étant encore sous le coup des émotions de la naissance peut nous ramener à de fortes émotions lointaines, celles là même que nous avons éprouvées en étant à la place de ce petit être.

Je note que « même l’arrivée d’un deuxième bébé peut susciter ce travail de résolution : le fait de devoir répondre à deux petites personnes accentue parfois cette impression de devoir donner plus qu’on a jamais reçu ! »

Parfois lorsque l’on devient mère, Isabelle Brabant évoque aussi une perte qui peut être vécue plus ou moins facilement par les femmes, de cette femme au ventre rond centre de toutes les attentions, protégée précieusement, on devient la maman d’un petit être sur lequel toute l’attention est reportée… C’est lui qui compte désormais.

Lorsque l’on devient mère, l’apprentissage devient le maître mot. Il sera « désormais une façon de vivre, parce qu’avec des enfants, il faut toujours apprendre.» Et il «n’est ni un échec ni une démonstration de notre incompétence. » Une succession de questionnements, de doutes, nous assaille continuellement, nous nous remettons en cause en permanence, le doute plane : est-ce que je fais bien ou mal ? Suis-je une bonne mère ? Et je crois bien que cela ne s’arrête jamais…

Lorsque l’on devient mère, on fait aussi connaissance avec l’ambivalence. Ce petit être fait déborder en nous un amour incommensurable, nous croyons que jamais aucun sentiment négatif ne pourra nous animer envers lui. Et pourtant un jour, tôt ou tard, la fatigue, le ras le bol, l’angoisse de ne pas savoir comment gérer ou bien encore d’autres choses nous conduisent à l’épuisement, l’énervement, les mots maladroits et au lieu de s’en prendre à nous-mêmes nous nous en prenons parfois à lui… « L’ambivalence est probablement la plus inconfortable des émotions. Elle nous tire dans deux directions et nous déchire. Beaucoup de femmes s’en sentent coupables et honteuses »

Je ne crois pas que l’on puisse s’empêcher de ressentir des sentiments contradictoires, par contre les exprimer y compris à bébé qui peut s’avérer bien plus compréhensif qu’on ne l’imagine permet sans doute de laisser retomber une pression trop forte, de passer ce cap…

« Devenir mère ou accueillir un nouvel enfant dans sa vie implique une mutation profonde à laquelle nous ne sommes pas toujours préparées »

Isabelle Brabant nous donne à méditer la philosophie chinoise qui dit notamment que « l’impression d’avoir perdu tout contrôle est souvent le premier signe de l’avènement d’un ordre nouveau, fait de souplesse, qui prendra sa place imperceptiblement d’abord, puis beaucoup plus clairement. Les vieux sages chinois conseillent d’attendre et de faire confiance »

Elle ajoute pour nous les mères un élément essentiel à notre équilibre « et d’aimer nos bébés, nos conjoints et de nous aimer nous-même. »

Chocophile