C’est le propos d’un article de la revue Sciences Humaines, extrait du Dossier intitulé Transmettre, et intitulé Nature et culture des alliances nouvelles.

Je ne sais pas si cela fermera ce célèbre débat de l’inné et de l’acquis, mais cela l’éclaire en tout cas sous un autre jour.

L’araignée n’apprend pas à faire sa toile auprès de sa maman. Le tissage de sa toile est inné. L’oiseau n’apprend pas à faire son nid en regardant ses parents. La construction de son nid est transmise par la voie de l’hérédité.

En revanche, les humains doivent tout apprendre : à parler, à faire la cuisine, à construire des maisons, à téléphoner, à lacer leurs chaussures, bref tout ce qu’il faut connaître pour survivre en milieu humain.

Je ne sais pas très bien comment on peut affirmer connaître les modes d’apprentissage des araignées, et il y a des tas de choses que les enfants apprennent d’instinct, mais bon admettons.

Voilà le pré-requis que l’auteur souhaite illustrer :

 chez les animaux, les comportements sont transmis par l’instinct, alors que chez les humains, la transmission des comportements se fait par l’éducation.

Sur ce même principe, on a construit une opposition tutélaire entre animal et humain, nature et culture, inné et acquis, instinct et apprentissage, déterminisme et liberté, etc. L’animal serait enfermé dans une camisole rigide d’instincts, alors que les humains seraient ouverts à tout un champ de possibles, transmis et transformés par les voies de la culture. Une culture qui tient lieu chez les humaines de « seconde nature ».

Et bien sûr la suite du propos est de montrer que ce n’est pas si simple .

L’existence de cultures (ou protoculture) animales a été mise à jour par les primatologues japonais dès les années 1950. Sous les yeux des observateurs, une femelle macaque s’était mise à laver ses patates douces dans l’eau de mer avant de les manger. L’innovation avait été rapidement adoptée par quelques individus, puis transmise à tout le groupe

Les animaux ont développé bien d’autres compétences (comme sur cette vidéo sur youtube qui montre des corbeaux qui utilisent les passages piétons pour faire casser leurs noix par les voitures). ( A regarder avec les enfants, c’est rigolo !)

Donc les animaux aussi développent des compétences qu’ils se transmettent, et on peut dire qu’ils ont une culture qui peut être développée par un groupe d’individus dans un lieu donné et inconnue d’autres individus vivant ailleurs.

Cela montre aussi, avec d’autres expériences sur les rats décrites dans l’article, que les capacités d’apprentissage ne sont une caractéristique purement humaine.

Parfois l’apprentissage prolonge l’instinct :

Le cas des pinsons fournit un bon exemple : à la différence du pigeon (au chant inné) et du canari (dont le chant est appris), les pinsons disposent au départ d’un embryon de chant inné qui se régule au fil du temps. Il faut à peu près dix mois au petit pinson pour acquérir les six thèmes différents de son chant. Et cette acquisition progressive passe par des premiers gazouillis de sollicitation (« chirp ») puis un préchant (« subsong ») désordonné, qui va devenir progressivement et au contact d’un modèle, un chant structuré avec des notes, variations et séquences (5).

L’acquisition du chant chez les pinsons n’est pas une greffe sur un cerveau de tous les possibles. Il doit plutôt être conçu comme un « perfectionnement » où l’acquisition prolonge et modèle un schéma inné.

C’est vrai aussi pour le langage chez les enfants selon l’auteur :

De même, voilà quelques décennies que les psychologues du développement ont admis que les enfants humains disposent de capacités innées. Ainsi, l’acquisition du langage démarre dès la naissance, par la détection progressive des sons, puis des mots de la langue maternelle.

Il arrive aussi que l’apprentissage inhibe la nature :

Le phénomène s’observe au niveau synaptique. Les synapses sont les zones entre neurones. La mise en place de ces connexions cérébrales connaît un développement explosif pendant la phase de maturation du cerveau.

(…)

Le processus ressemble plutôt au tracement d’un chemin dans une forêt dense. Au milieu d’une végétation synaptique foisonnante et désordonnée, il faut couper et éliminer des branches pour qu’un chemin se dégage. L’apprentissage ressemble un processus darwinien de prolifération synaptique suivie d’une implacable élimination.

Dans le cas de la lecture on parle de « recyclage cérébral », des capacités initiale sont utilisées à autre chose.

En fait, au niveau cérébral, la lecture est un processus complexe mais qui revient toujours à solliciter les mêmes aires : il s’agit de mettre en connexion les centres de la vision (aire occipitale du cerveau qui s’occupe de la reconnaissance graphique des signes) avec les centres du langage (lobe temporal gauche), en utilisant deux voies principales : la « voie lexicale » (celle du sens) et celle du son (phonologique). C’est un peu compliqué, mais au fond, ce processus universel signifie que le cerveau ne crée pas de nouveaux circuits pour apprendre à lire : il mobilise des dispositifs et des compétences existantes et les connecte.

Bon tout cela pour dire qu’opposer inné et acquis, instinct et apprentissage n’a peut-être finalement pas grand sens.

Les mécanismes d’apprentissage pouvant être vus comme des utilisations ou des détournements de mécanismes instinctifs.

Donc si nous n’avions pas des capacités innées pré-existantes, nous serions incapables d’apprendre quoi que ce soit.

Et inversement, sans apprentissage au sein d’un groupe humain, nous ne saurions pas parler. C’est l’histoire de l’enfant sauvage de l’Aveyron, qui a inspiré le fameux film de Truffaut.

Inné ou acquis, quelle importance ?

Peut-être accepter que l’éducation ne façonne pas tout de nos enfants, et heureusement.

Ce que nous et leurs enseignants tentons de leur transmettre rencontre en eux un écho qui leur est propre.

L’important est de trouver la résonance qui leur permet de se construire et de s’épanouir.

Bon cela dit je n’ai pas plus que toi qui me lis la recette universelle  !

Phypa