L’organisation, secret d’une « bonne mémoire »

 

Le grand public, les parents, et aussi parfois les profs considèrent souvent que la mémoire est un don « magique ». Il n’est pas rare que résonne dans les classes la petite phrase « Je sais plus maîtresse, j’avais pourtant bien appris chez moi », et lorsqu’elle se répète trop souvent nous avons vite fait d’étiqueter son auteur de lent ou d’étourdi.

Pourtant,  « la mémoire est-elle élastique ? »  article du spécialiste de la mémoire Alain Lieury, paru dans le  journal des Professionnels de l’Enfance de septembre 2010, (et généreusement transmis par Madame Sioux ) permet d’éclairer notre lanterne : et si avoir une bonne mémoire, cela voudrait simplement dire être un as du rangement mental ?

M. Lieury rappelle que notre  mémoire fonctionne suivant deux grands systèmes :

-la mémoire à court terme comparable à la mémoire vive d’un ordinateur, quelque soit l’individu, il semble qu’elle soit limité à environ 7 éléments. Telle une ardoise magique, elle s’efface trés rapidement.

-La mémoire à long terme : selon Wikipedia , elle « apparaît donc lorsqu’une information contenue dans la mémoire de travail y est entreposée via un processus de répétition ». Contrairement à la mémoire à court terme, les chercheurs n’ont pas encore trouvé ses limites.

M. Lieury nous fait remarquer que nous peinons à retenir des mots longs, en particulier s’ils appartiennent à une langue étrangère. Selon lui, il faut imaginer la mémoire à court terme comme un fichier de bibliothèque qui contiendrait 7 cases. « Car, ce qui est paradoxal dans la mémoire, c’est de constater que le rappel est d’environ de 7 pour des unités familières (mots, petites phrases de type sujet/verbe /complément, proverbes connus..), mais qu’à l’inverse la capacité de rappel chute lorsque les éléments ne sont pas coutumiers. Ainsi, pour des élèves de 5ème, le rappel est très bon (7) pour des mots très usuels comme tortue, poupée, citrouille : encore bon (5 ½) pour des mots faciles de la classe de 6ème comme Chine, César, Antiquité ; mais seulement de moitié pour des mots difficiles ou inconnus comme xénophobie, volute, antéfixe… Dans ce cas, les cases ne récupèrent que des fichiers connus, les syllabes (qui sont en mémoire lexicale ou phonologique.

Ainsi, plus on a de connaissances en mémoire à long terme et plus la capacité de rappel est grande, parce que l’information est récupérée plus vite et de façon plus globale ».

En particulier plus les enfants sont jeunes moins ils peuvent se rappeler de mots : par exemple, le mot «xénophobie » (XE_NO-PHO-BIE) occupe déjà plus de la moitié de leur fichier. Avec les 9 syllabes d’« anticonstitutionnellement », c’est la surcharge assurée ! L’exercice est encore plus difficile si les mots sont étrangers car on ne dispose pas dans notre mémoire phonologique d’équivalent aux syllabes étrangères.

Alors oui, nous ne sommes pas égaux devant la mémoire : si tout le monde bénéficie  à peu près du même fichier de bibliothèque, certains en tirent parti mieux que d’autres. Chez eux l’espace est optimisé : ils ont appris à plier les choses de façon à en faire rentrer un maximum dans chaque case. Le secret est donc de savoir faire des paquets de connaissances. Pour une expérience, des chercheurs présentent à des étudiant une liste de 120 mots, organisée en famille sémantiques (animaux, plantes…) et en plusieurs niveaux de catégorie (animaux familiers, animaux d’Afrique…). Pour ne pas saturer la mémoire à court terme, le nombre de mots à chaque niveau ne dépasse pas 4 . Les résultats sont sans appel : 70 mots sont ainsi retenus, contre une vingtaine dans le groupe témoin qui n’avait qu’une liste non hiérarchisée. Cependant, cette technique est beaucoup moins efficace pour les élèves du primaire, tout simplement parce que ces derniers n’ont pas encore de connaissances générales suffisantes pour pouvoir penser en catégories !

En donnant les outils et connaissances pour « penser le monde », on donne alors aussi les clés d’une bonne mémoire. J’en retiens notamment, si j’ai bien compris le truc, qu’en aidant les élèves à catégoriser et organiser, on facilite leur mémorisation. Sans doute le mind-mapping ( ou carte mentale), qui permet d’organiser les connaissances de façon visuelle facilite ces apprentissages. Vive aussi les exercices qui permettent de trouver les points communs entre les choses, par exemple comme ceux proposés pour le plus petits par l’imagier Catégo

En outre, si organiser l’information est primordial pour une bonne mémorisation, faut-il encore que cette information ne soit pas pléthoriqueLes chercheurs ont aussi remarqué que donner trop d’informations en espérant que les élèves en retiennent au moins quelques unes est contreproductif. Des essais ont été faits avec des cartes de géographie contenant un nombre croissant d’information : les cartes les moins chargées permettent un meilleur rappel. Je m’en souviendrai si un jour je reprends un classe de « grands », car j’ai une tendance naturelle à multiplier les informations.  Pour moi, l’éclairage de la psychologie cognitive n’empêche pas sans doute de prendre en compte chaque élève en lui offrant des leçons adaptées à ses intérêts et à l’état réel de ses connaissances : c’est la fameuse pédagogie différenciée (dont on rabattait mes oreilles à l’IUFM).

En résumé, j’ai bien aimé cet article qui nous permet de comprendre que plus on en sait, plus il devient facile d’apprendre.  Pour moi, cela aide aussi à expliquer le fait que lorsque nous aimons un sujet,  nous retenons facilement ce qui se rapporte à lui puisque l’élément nouveau fait écho aux nombreuses choses que nous savons déjà. Reste à enclencher la motivation !

Flo la souricette

12 réflexions sur “L’organisation, secret d’une « bonne mémoire »

  1. Très intéressant tout ça !
    Dommage qu’une notion ne soit pas développée dans l’article initial, c’est du plaisir, de l’émotion, de l’attention… De très nombreuses études ont montré que le processus de mémorisation est intiment lié à l’humeur. Plus une information déclenche une émotion forte (bonne ou mauvaise) plus est mémorisée de façon solide et durable. De même l’évocation de cette émotion facilite la récupération de l’info mémorisée plus tard. Pour en savoir un peu plus, voir :
    http://www.larecherche.fr/content/recherche/article?id=12662

    Et pour l’enseignante que tu es, ceci t’intéressera tout particulièrement :
    http://www.apprendreaapprendre.com/reussite_scolaire/la-memoire-et-les-emotions-365-8-3.html

    • Entièrement d’accord avec toi ! Je pense que pour avoir un panorama plus complet, il faudrait prendre en compte les émotions. Je vais aller voir tes références, pour un prochain billet !

      • Il y a quelques mois j’avais trouvé un article de Sciences Humaines sur la motivation que j’avais commenté, et qui n’était pas très évident.
        J’avais retenu la notion de motivation intrinsèque à apprendre
        https://lesvendredisintellos.com/2011/10/14/la-motivation-a-apprendre/
        Sauf oubli de ma part, je ne crois pas que nous ayons creusé l’affaire.
        Il me semble avoir vu dans le même numéro un article sur motivation et plaisir d’apprendre.

        Merci à Milochka pour le lien appendreàapprendre, que je trouve très intéressant

        • Eh oui, il y a à creuser… En lien avec ce que dit Gordon sur l’innefficacité des récompenses ?Des volontaires :) ???

  2. Merci beaucoup pour ta contribution!!!! Et en plus portant sur ce grand spécialiste de la mémoire qu’est Lieury!!!
    Un des problèmes selon moi (qui n’y connaît vraiment pas grand chose!) de la traduction de ce qu’on sait de la mémoire à court terme en matière d’apprentissage est que le principe selon lequel on disposerait de 7 cases est extrêmement dépendant des procédés que l’on met en place pour les optimiser… Par exemple si je te demande de retenir la suite de chiffres: 0-8-2-0-3-8-0-3-8-0 cela occupe 10 cases alors que sous la forme 0820 380 380 on n’a plus que 3 cases, voire 2 puisque le deuxième nombre est répété 2X. Idem si je te demande de retenir 1-7-8-9-1-5-1-5, 8 cases alors que 1789-1515 ne pose aucun problème de mémorisation compte tenu du sens des deux dates…Ce qui fait que la manière de regrouper de façon à optimiser les liens sémantiques joue énormément sur la façon dont s’expriment nos facultés… Il semblerait d’ailleurs que les personnes qui réalisent de grandes performances en terme de mémoire (ils sont capables de mémoriser des listes d’objets très très longues dans un temps très court) utilisent ce type de processus et « rangent » mentalement les objets en question dans des endroits de leur maison… ils n’auraient ensuite plus qu’à se souvenir du trajet à effectuer pour récupérer tous les objets (je simplifie bien sûr…).
    Du coup pour traduire ça à l’école, il ne s’agit pas simplement de se souvenir que la mémoire à court terme est limitée mais aussi qu’il faut permettre aux enfants d’optimiser les liens entre mémoire à court terme et mémoire à long terme pour que cette capacité limitée soit utilisée au mieux (et aussi alimenter suffisamment la mémoire à long terme pour qu’elle puisse convenablement jouer son rôle d’appui…)

    • C’est aussi ce que j’ai compris, bravo pour l’avoir synthétisé en quelques phrases ! Quand j’aurai le temps, j’essaierai de vous parler un peu plus des cartes mentales comme aide à la mémorisation.

      • Bonjour, les cartes mentales est un outil très précieux et je regrette qu’en classe de 1ère ou de Terminale, un peu de temps soit pris pour apprendre ce genre de techniques de mémo. Ça intéresserait d’en savoir plus…

  3. Merci pour cet article – En plus il me semble que regrouper mentalement c’est aussi faire l’effort de comprendre les choses, donc les retenir beaucoup mieux! Moi je n’ai jamais pu retenir sans faire ce travail quand j’étais étudiante ( et je suis destabilisée en Angleterre où on ne fonctionne pas comme ça: synthétiser / regrouper pour eux semble vouloir dire nier les spécificité des choses. Par exemple dans mon domaine du droit maritime, on peut se dégager de sa responsabilité en prouvant un cas excepté: Et bien au lieu de faire des catégories, ils ont une liste de 17 cas exceptés – je n’ai jamais pu les retenir!)

    • Oui, le fait d’être mentalement actif aide à apprendre, c’est sûr… Tu es juriste toi aussi ?! Lorsque j’étais à la fac de droit, faire des schémas en arborescence sur de très grandes feuilles que j’affichais ensuite m’aidait beaucoup pour apprendre… Le droit français catégorise et regroupe de façon naturelle et une fois qu’on a pigé le truc, on retient -assez- facilement. C’est très intéressant de remarquer qu’en Angleterre, la façon de voir est très différente. Comment font-ils ces anglais pour retenir tout ça ??

      • Oui, la mémoire photographique / visuelle ça aide bien aussi! Enfin moi parfois je me rappelais de l’exception qui était EN HAUT, à GAUCHE dans mon magnifique tableau, dans une case coloriée en orange même. Mais impossible de savoir ce que c’était!
        Et je ne sais pas comment font les Anglais!
        C’est peut-être pour ça que leurs avocats coûtent une tonne de l’heure?!
        Enfin moi qui suis de l’école de la fac d’Aix, très inspiré du droir romain et trèèès civilisée (chaque chapitre a deux parties de deux sous parties de deux paragraphes de deux idées), ça me parait complètement barabare 17 cas en pagaille! Mon cerveau, y veut pas.

  4. Pingback: Le cerveau, outil principal de l’apprentissage ? {mini-débrief} « Les Vendredis Intellos

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