Aujourd’hui j’ai décidé de vous parler de flore… Et ce qui m’a donné cette idée, c’est la lecture d’une récente étude scientifique parue dans la revue Archives of Disease in Childhood, dans laquelle des chercheurs d’Harvard explorent les liens entre naissance par césarienne et obésité infantile.
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Flore, césarienne, obésité… Quel est le rapport avec la choucroute ??
Attendez, je ménage mon suspense ;-)
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L’être humain est un écosystème surprenant. Mieux encore que la forêt amazonienne ou la grande barrière de corail, notre corps héberge une flore incroyable ! Imaginez un peu, là, en vous, sur vous, cohabitent des dizaines de milliers de milliards de bactéries (1014 pour être précise, soit dix fois plus que nos propres cellules…) Ces bactéries, environ un millier d’espèces différentes, vivent dans notre système digestif (c’est la flore intestinale, la plus connue) mais aussi sur notre peau, dans notre vagin mesdames, dans nos poumons aussi paraît-il, et probablement d’autres endroits encore. Notez que cette flore vit donc sur nos muqueuses, à la frontière entre nous et l’ « extérieur ».
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Pour vous présenter notre flore digestive, je me permets, une fois n’est pas coutume, de m’autociter (extrait issu d’un dossier de vulgarisation sur les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin – ou MICI -, que l’on peut retrouver ici) :
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+ Où se trouve la flore digestive ?
Dans l’estomac, il n’y théoriquement aucune bactérie, car le milieu est trop acide. Puis, plus le pH se « normalise » et plus on trouve de bactéries : un peu dans l’intestin grêle et surtout dans le côlon, et enfin un pic dans la matière fécale.
+ Quels rôles a t’elle ?
– Digestion : en dégradant protéines, lipides et fibres que notre corps est incapable de digérer, la flore nous permet de récupérer de l’énergie ainsi que des nutriments et vitamines essentiels. C’est aussi elle qui, à travers la fermentation, produit des substances volatiles et donc, provoque gaz et ballonnements.
– Protection : cette flore empêche certaines bactéries pathogènes de se développer et entretient régulièrement le système immunitaire.
+ Est elle impliquée dans certaines maladies ?
Dans l’obésité et certaines pathologies comme les MICI, des recherches ont montré que la flore bactérienne des malades est différente de celles de personnes saines.
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Depuis quelques années, on sait donc qu’il existe des différences en terme de composition de la flore digestive entre des obèses et des personnes de poids « normal ». En 2006, Jeffrey Gordon et son équipe de la Washington University décortique ce lien. À travers plusieurs articles parus dans la revue américaine Nature, ils démontrent que lorsqu’on prélève la flore de souris obèses et qu’on la transplante dans l’intestin de souris de poids normal (chez qui toute bactérie digestive a préalablement été supprimée), ces dernières se mettent à grossir rapidement. Alors que leur régime alimentaire n’a pas changé ! Gordon et ses collègues montrent de plus que ce phénomène est lié à une capacité accrue qu’auraient certaines bactéries provenant d’obèses de dégrader certains lipides…
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Mais alors quel est le lien avec une césarienne ? Une piste est proposée par ces chercheurs d’Harvard. Et voici les résultats de leur étude prospective (1255 enfants ont été suivis à leur naissance, entre 1999 et 2002, et à l’âge de 3 ans) :
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284 enfants (22,6%) sont nés par césarienne. À l’âge de 3 ans, 15,7 % d’entre eux étaient obèses comparativement à 7,5% des enfants nés par voie vaginale. Une multivariable logistic and linear regression models
subtile analyse statistique permettant d’ajuster les données pour ce qui est de l’IMC de la mère, du poids de naissance et d’autres variables ; il ressort qu’une naissance par césarienne multiplie par 2,1 le risque d’obésité à 3 ans.
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Et les auteurs d’avancer comme hypothèse pour expliquer ce phénomène, le rôle joué par la flore intestinale, puisque l’on sait qu’une naissance par césarienne influe sur sa composition. Et hop, la boucle est bouclée !
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Revenons au bébé. Lorsqu’il est dans le ventre de sa mère, il baigne dans un milieu théoriquement stérile, et lui même n’héberge aucune bactérie (il n’en a d’ailleurs pas besoin). En lisant l’article Facteurs influençant l’implantation de la flore intestinale chez le nourrisson d’un gastro-entérologue du CHU de Grenoble, on apprend ceci :
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– En naissant par voie basse, le bébé croise la flore vaginale et fécale de sa mère qui aussitôt l’ensemence. Chez les enfants nés par césarienne, la colonisation du tube digestif est retardée de quelques jours.
– A la fin du premier mois des différences très nettes existent dans la composition de cette flore selon le type d’alimentation reçue par le nouveau-né. Celle des enfants allaités est presque exclusivement composée de Bifidobactéries et reste relativement constante tant que l’enfant est nourri au sein*. Par contre dès que l’alimentation commence à être diversifiée, la différence entre la flore des enfants nourris au sein et celle des enfants nourris artificiellement s’estompe. Entre l’âge de 1 an et 2 ans, l’enfant acquiert une flore intestinale du même type que celle de l’adulte.
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Relier obésité et césarienne par la flore est donc une idées séduisante. Mais les chercheurs d’Harvard vont assez loin dans la discussion de leurs résultats, puisqu’ils disent ceci :
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Aux Etats-Unis le taux de césariennes a bondi de 20,7 % en 1996 à 32 % en 2007, en partie du fait d’un accroissement des demandes maternelles. Les femmes enceintes qui optent pour une césarienne en l’absence d’indication médicale devraient être averties que leur enfant peut courir un risque accru d’obésité.
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C’est assez alarmant comme message. Et j’ai beau trouver leur hypothèse de travail séduisante, il y a plusieurs trucs qui me chiffonnent : d’abord pourquoi cette étude n’est-elle publiée que maintenant alors que les données brutes datent de 2005 pour les dernières (et ne me dites pas que faire une multivariable logistic and linear regression models subtile analyse statistique, ça prend des années !) ? Pourquoi, pour étayer leur propos, n’ont ils tout simplement pas étudié et comparé la flore de ces enfants à leur naissance et 3 ans plus tard ? Voilà qui aurait vraiment permis d’établir plus solidement ou non un lien entre obésité, césarienne ET flore digestive. Mais probablement qu’à l’époque ils n’en avaient pas eu l’idée. Et que cette étude est en fait publiée tardivement, avec une hypothèse formulée à posteriori….
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Miliochka



* de la même façon, plusieurs études épidémiologiques tendent à montrer un effet protecteur de l’allaitement face au risque d’obésité, même s’il semble faible. Mais je n’ai pas réussi à mettre la main sur des travaux qui auraient précisément étudié obésité, allaitement ET flore digestive…
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PS : pour celles et ceux qui meurent d’envie d’en savoir plus sur leur flore, un excellent article sur le site du magazine The Scientist, qui présentent plusieurs études parues cette semaine dressant le plus vaste panorama jamais réalisé du microbiote humain !
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rePS : et pour poursuivre le débat, une étude française parue en mai qui analyse la présence de différentes espèces de lactobacilles, ceux-là mêmes que l’on trouve dans les probiotiques type Actimel, chez des humaines et des animaux en surpoids (voir l’article du Quotidien du médecin à ce sujet). Principal auteur de cette étude, Didier Raoult, éminent microbiologiste marseillais, avait déjà fait pas mal de vague en 2009 en s’interrogeant sérieusement sur le lien entre obésité et probiotiques. Une annonce qui depuis est considérée, à tort je le souligne, comme un hoax (voir les débats sur ce sujet , car c’est ça le plus intéressant, sur le – par ailleurs – excellent site hoaxbuster.com). Rappelons au passage que, nommés en anglais « growth promotors », certains probiotiques ont remplacé dans l’alimentation animale les antibiotiques interdits par la loi européenne, et qu’ils sont principalement utilisés pour faire grossir plus vite les animaux. Troublant non ?
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