Parler vrai avec un enfant différent

Une anecdote extraite du livre de François Dolto « Tout est langage » m’a fait pas mal cogiter ces derniers temps.

Il s’agit de la façon de traiter une enfant atteinte de trisomie 21, et cela peut s’étendre à tout enfant porteur de différence.

Ce qui est intéressant, c’est qu’elle était donc en première classe d’une petite école privée qui l’avait acceptée, et la maîtresse de deuxième année ne voulait pas la prendre l’année suivante.

La maîtresse avait dit : « Moi je ne veux pas d’une tête comme ça dans ma classe ; cela me lève le cœur des enfants comme ça ». La mère en était bouleversée.

J’ai dit à la mère : « Vous avez de la chance qu’elle l’ait dit » Il y  en a bien sûr qui auraient dit « Mais, bien sûr, un enfant handicapé, il se sentira bien chez nous, etc. ». C’eut été de l’hypocrisie pure. Je l’ai dit devant l’enfant. Ta mère et toi, vous avez eu de la chance que cette maîtresse ait dit qu’elle ne voulait pas de toi, parce que tu le sais,  que tu es trisomie 21 ; tu n’es pas comme les autres enfants : c’est à toi de faire ta place en te faisant aimer. Tu n’y arriveras pas avec celle-là, tant pis pour elle. Ta mère trouvera bien une autre école.

Elle a bien sûr trouvé une autre école privée : « Mais bien sûr, une enfant handicapée, on en veut bien, etc. » Alors, on l’a inscrite.

Mais entre temps, ce que j’ai dit avait porté – cela avait eu lieu à Pâques – comment cette enfant a-t-elle fait ? C’est souvent le cas, les gens les plus résistants, quand ils ont dit leur résistance, quand on est content qu’ils l’aient dite, on peut travailler avec. Quoi qu’elle ait fait , la maîtresse de la seconde classe a dit : « Vous savez, j’ai vu cette enfant en récréation,, elle est vraiment étonnante, puis attachante parce qu’elle n’en veut à personne quand elle est agressée, et elle entre toujours dans le groupe pour être associée au groupe, et peu à peu tous l’intègrent. Elle est même un peu leader. Moi je la veux bien ; j’ai changé d’avis maintenant, je veux bien prendre votre fille, si vous voulez bien, et je m’excuse de ce que je vous ai dit. »

La mère lui a répondu : « Vous avez eu tout à fait raison, et je vous remercie de l’avoir dit. Cela nous a beaucoup aidés, et cela a aidé ma fille à comprendre qu’il y a des gens qui ne veulent pas d’elle » ( parce qu’ils l’avaient un peu trop entourée)

Je vous disais tout cela à cause de l’infirmité, à cause par exemple du racisme. C’est important, le racisme, les enfants ont à souffrir du racisme. Il ne faut pas dire que ce n’est pas vrai, il faut leur dire la vérité : « Oui c’est vrai, tu as à remonter un handicap. »  On ne leur dit pas comme ça, mais il faut leur expliquer « Tu es noir » ou « Tu es métis, et il y a des classes d’enfants qui vont te le reprocher. Tu n’as toi qu’à te faire apprécier, et ils verront qu’ils se sont trompés, et qu’ils sont bêtes. »

C’est comme cela que vous aidez un enfant, de même pour une infirmité, de même pour une marginalité d’apparence.

Vous me direz « A quoi cela sert-il ? » Parce que c’est sur la vérité qu’on construit, ce n’est pas sur l’hypocrisie. Or c’est de l’hypocrisie de faire semblant que , parce que la maîtresse va aider, les enfants vont s’intégrer . Pas du tout, il faut parler de racisme urbi et orbi dans une classe, même de tout-petits. Mettre des mots justes sur ce que l’enfant vit.

Après avoir lu ce passage, je me suis demandée si je n’étais pas trop derrière mes enfants, à toujours vouloir les aider en tout, et finalement ne pas les aider à construire leur propre capacité d’agir.

Quelle que soit la cause d’un rejet signifié à notre enfant, cela nous bouleverse.

Pourtant, cela fait partie des choses que chacun doit apprendre, dans la vie on ne s’entend pas avec tout le monde, et choisir ses compagnons de route est primordial.

Et ce qui est important ce n’est pas qui nous aime, mais qui nous choisissons d’aimer nous.

Et ceux qui ne veulent pas de nous, tant pis pour eux, ils ne savent pas ce qu’ils perdent !

J’aimerais que mes enfants acquièrent cette forme de confiance en eux.

Phypa

13 réflexions sur “Parler vrai avec un enfant différent

  1. Merci pour ce très bon article. Je n’ai me pas trop Dolto en général, mais tu présentes là quelque chose qui me parle beaucoup, en tant que maman d’enfants « différents ». Même si leur handicap est « invisible ». Et c’est d’actualité pour moi cette idée d’être trop derrière eux, et de quelque part les empêcher de croire en eux-mêmes, en leur capacité à exister et à bien fonctionner « en dehors de moi ». Pourtant je ne suis pas une mère « comme ça »… Mais si un peu, finalement, hein. Juste une être humaine, en somme.

    • Moi non plus je n’adhère pas à tous les propos de Dolto, mais j’ai aimé ce récit plein d’espoir sur les ressources des enfants, les possibilités de changer le regard de certains.

  2. Mouais. Bah pour avoir plusieurs enfants « différents » qui s’en sont déjà pris plein la gueule sans que ça leur fasse du bien ni que ça les aide à avancer, je ne suis pas convaincue par ce genre de propos, déculpabilisant ok, mais il y a aussi là-dedans un facteur chance et une question de façon de le dire puis de le traduire et d’en faire usage (et de circonstances, il y a des endroits où on aurait forcé cette instit à prendre l’enfant, et ça aurait pu faire de sérieux dégâts…). Dans la vraie vie, ça me paraît un peu plus compliqué que ça…

    • Je suis d’accord avec toi, « en prendre plein la gueule  » n’est pas forcément bénéfique.
      Je ne sais pas ce que l’histoire aurait donné sans l’accompagnement de la mère et de sa fille par Dolto.
      Vrai aussi que la plupart du temps les enseignants n’ont pas le choix des enfants qu’ils accueillent dans leur classe, et qu’ils sont loin d’être préparés à tout.
      Mais j’ai surtout été touchée par la capacité de l’enfant de faire face, et de retourner la situation, une fois qu’on lui a expliqué qu’on ne peut pas plaire à tout le monde.
      Il me semble qu’il y a dans cette histoire, quelque chose qui peut nous servir à tous : il nous arrive à tous de vivre des rejets.

  3. Un très bel article pour clore mon intérim des Vendredi Intellos avec un témoignage poignant… Ça me fait penser à cette expression bien souvent vérifiée : tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort… Il est vrai qu’il est très difficile de voir son enfant rejeté pour quelques raisons que ce soit mais si cela peut l’aider à se développer en tant qu’être indépendant capable d’en tirer les leçons nécessaire à son bien être, alors il faut être capable de l’entendre et d’aider son petit à franchir le cap de la déception… Surtout si ce rejet intervient dans le cadre d’un handicap aussi minime soit-il…

    • Dans le même genre d’expression ,j’avais un grand-père qui disait « D’un mal sort toujours un bien ». Bon je trouve que ça ne marche pas toujours.

      Je crois aussi que le rejet par certains est inéluctable, on ne peut pas s’entendre avec tout le monde. L’accepter permet d’en faire quelque chose, ça vaut aussi pour les adultes.

  4. Je ne suis pas autiste mais je me reconnais profondément dans ce texte, je me sais différente, j’ai lutte des années pour justement ‘gommer’ ma différence.

    Maintenant que je suis maman, j’apprends à mon fils à accepter les gens différents, et bizarrement j’ai pas eu beaucoup à lui expliquer qu’il a pris en amitié des enfants différents par leur langue, leur handicap.

    Par contre, j’ai encore du mal à me ‘foutre’ de ceux qui m’ont fait du mal. Est ce un signe quelque part ? ;)

    • Chacun fait ce qu’il peut avec ce qu’il est. C’est vrai aussi de ceux qui nous font mal.
      On ne peut pas s’en foutre, mais on peut se dire « tant pis pour eux » et que le monde est vaste et plein d’autres personnes aimables.

  5. De mon côté, l’idée de pouvoir aider nos enfants à surmonter ce que j’appellerai « l’échec relationnel » me semble extrêmement importante… Sans être franchement « différente », je considérai étant enfant comme un véritable drame le fait de ne pas réussir à me faire aimer de quelqu’un, quitte à faire alors des concessions trop importantes pour y parvenir… J’ai mis très longtemps à admettre qu’avec untel ou untelle, ça ne « collerai pas »…
    La deuxième chose qui m’interpelle dans ton article est le regard que nous incitons nos enfants à porter sur la différence… parfois mes enfants voient passer une personne mal voyante, handicapée physique ou mentale et je les entends dire « la pauvre!!! ». Dans ces moments là, j’ai envie de leur dire: « tu penses cela?? allons lui parler! allons lui demander ce qui est difficile pour elle dans sa vie, ce qui la rend heureuse et malheureuse et ce que nous pouvons faire pour lui manifester notre soutien! » mais bien sûr, jusque là, convenances sociales obligent, je me suis abstenue… L

    • Je ne crois pas qu’il y ait plus de raison de parler à une personne aveugle qu’on ne connaît pas qu’à une autre personne « normale », sauf si elle est en difficulté, ce qui est d’ailleurs valable aussi avec une personne « normale ».
      En revanche, lui dire bonjour, engager la conversation, si c’est quelqu’un qu’on croise souvent, qui habite le quartier , ou prend tous les jours le même bus…
      Et peut-être dire aux enfants que souvent, une personne aveugle, a une oreille, un odorat, des perceptions que nous n’avons pas, moi j’avoue que je serais curieuse d’échanger là-dessus.
      Je crois que j’ai vu une fois dans un reportage à la télé une personne aveugle dire qu’elle en avait marre qu’on lui prenne le bras pour traverser, parce que la plupart du temps on lui faisait mal au bras !!

      • Quand je parlais d’adresser la parole à une personne handicapée, c’était uniquement dans l’idée d’apporter une réponse constructive aux remarques souvent faites à voix haute de la part des enfants et devant lesquelles on est parfois démuni/gêné… pas réellement dans l’idée qu’on devrait se comporter différemment avec elles…

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