Je fais suite à l’article de miliochka sur le désir d’enfant qui me touche particulièrement puisque mon bébé est né d’une fécondation in vitro (FIV) après de longs mois de traitements.

L’article qui est (brillamment) commenté observe que le « devoir d’enfant » est aujourd’hui poussé à son paroxysme puisqu’une femme infertile (pour moi il s’agit en fait du couple infertile) aurait aujourd’hui un devoir de recours à l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP), injonction sociétale de rentrer dans la norme:

D’un point de vue sociologique, on peut comprendre ce dénouement comme une sorte de déplacement d’injonctions. À la contrainte sociale de maternité s’est substitué le devoir de recourir à la médecine.

Pour moi, il est difficile d’admettre que mon désir d’enfant n’est pas entièrement le fait de mon libre arbitre, ou comme le dit miliochka, d’une forme «d’instinct», mais le fruit de pressions de la société dont je serais plus ou moins consciente. D’aussi loin que je me souvienne, je me rêvais à la tête d’une tribu de bébés, et quand mes copines se couvraient la tête d’un foulard pour jouer à la mariée, je glissais moi un coussin sous mon T-shirt et je jouais à la future maman. J’ai toujours eu une peur panique d’être stérile – avant que les causes physiologiques de mon infertilité aient été diagnostiquées, je me suis parfois demandée si j’avais un blocage psychologique, résultat d’une prophétie réalisatrice! –  et à l’inverse de miliochka, j’ai toujours su que si cela arrivait, alors j’aurais un enfant par n’importe quel moyen : Le recours à l’AMP ou un parcours d’adoption étaient terrifiants, bien sûr, mais moins que la perspective de ne pas avoir d’enfant. Et quand l’homme que je croyais être l’homme de ma vie m’a dit qu’il ne voulait plus d’enfant (il en avait deux d’un premier mariage), je n’ai pas eu d’autre choix que de renoncer à cet amour. Là encore, aussi douloureuse que la rupture ait pu être, elle l’était moins que de m’imaginer sans enfant.

Pour autant, je ne peux pas contester que mon couple d’aujourd’hui (avec l’homme de ma vie qui partage mon désir d’enfant, donc) a subi des pressions concernant ce choix d’avoir recours à l’AMP. Mais ces pressions se sont exercées dans les deux sens.

L’injonction faite aux couples d’avoir recours à l’AMP

Le « devoir d’enfant » dont parle l’article, est incontestable au regard de la stigmatisation systématique des couples « childfree » (littéralement, les couples «libres d’enfant», c’est-à-dire qui ont choisi de ne pas avoir d’enfant, par opposition aux couples « childless », « sans enfant », dont la situation ne relève pas d’un choix). Dans ce témoignage, recueilli par Gaëlle-Marie Zimmermann et publié au Nouvel Obs., un homme qui ne désire pas d’enfant rapporte que sa position est toujours incomprise: on ne peut tout simplement pas croire que cet homme ne veuille pas d’enfant à moins que cela résulte d’un traumatisme, d’un problème psychologique.

Je ne ressens aucune peur à l’idée d’être père : simplement, je n’en ai pas envie. J’estime qu’un enfant a le droit d’avoir des parents qui l’aiment, et l’ont désiré. Et « céder » à l’injonction sociale, ou amoureuse, serait aussi hypocrite que préjudiciable à un enfant qui n’aurait pas été voulu par moi, et qui ne serait pas aimé comme il le mérite.
Mais à 36 ans, je dois, de plus en plus souvent, « rendre des comptes » sur le fait que je ne souhaite aucunement, ni maintenant ni jamais, avoir d’enfants. Les amis, mon frère et ma sœur, et mes parents aussi, tout le monde se demande quand je vais avoir la révélation.
Par conséquent, j’encaisse le plus stoïquement possible les remarques convenues comme : « Tu verras, un jour tu y viendras, et tu regretteras d’avoir attendu tout ce temps », ou « Tu ne sais pas ce que tu rates, un enfant ça te change la vie », ou encore « C’est parce que tu n’as pas encore rencontré la bonne, celle qui pourrait être la mère de tes enfants ! »

J’aimerais pouvoir dire que je respecte ce choix en tant que tel, et qu’il est parfaitement injuste que les « childfree » aient toujours à se justifier de leur choix, alors que personne ne doit se justifier du choix inverse. En particulier lorsque les raisons d’avoir un enfant sont souvent irrationnelles, voire égoïstes. Alors que le choix de ne pas en avoir est motivé par des raisons souvent très rationnelles et altruistes. Et pourtant, quand j’ai été confrontée à un homme qui faisait ce choix, je n’ai pas réussi à le vivre comme un choix objectif, pour moi c’était un rejet: Cet homme ne voulait pas d’enfant AVEC MOI. Il ne m’aimait pas assez pour fonder une famille AVEC MOI. Pour moi, viscéralement, refuser d’avoir un enfant tout simplement n’était pas un choix concevable!

Partant de là, lorsque le désir d’enfant est là et que l’enfant se fait attendre, subit-on des pressions pour recourir à l’AMP? Ce devoir d’enfant se mute-t-il en devoir d’avoir recours à la médecine? La réponse est oui pour Martin Winckler, qui, dans cet article, parle même de «terrorisme» de la part de certains gynécologues, qui pousseraient à se tourner vers l’AMP alors que cela n’est pas encore nécessaire :

Comment être patient(e) alors qu’on a 35 ans et qu’on veut avoir son premier enfant ? Le temps presse !

Non. Ce n’est pas vrai. Et ne laissez pas les gynécos vous culpabiliser ou vous terroriser avec des arguments du style « L’horloge tourne ». Certes la fécondité baisse avec l’âge, mais les femmes sont fécondes jusqu’à 50 ans. Et croyez-moi, des grossesses non désirées après 45 ans, j’en ai vu des flopées.
Dans les milieux les plus défavorisés, où les femmes sont moins bien suivies (et n’ont pas de contraception), on voit couramment des grossesses après 45 ans, par absence de contraception ou de suivi médical. Aujourd’hui, parmi les femmes les mieux suivies, les grossesses après 35-40 ans sont monnaie courante et elles se passent très bien car les femmes sont en bien meilleure santé que leurs mères ne l’étaient il y a 30 ou 40 ans. Alors, pas de panique. Et tout terrorisme que l’on vous ferait subir à ce sujet est indécent.
La fécondité baisse progressivement après 35 ans (de moitié entre 35 et 42 ans), mais même à 35 ans vous avez encore quinze ans de fécondité devant vous. Si vous devez attendre six ou huit mois avant qu’une grossesse débute, vous ne serez pas beaucoup plus âgée… ni beaucoup moins féconde qu’après avoir commencé.

Et souvenez-vous, il y a moins de couples stériles que de couples trop pressés ! ! ! !

Evidemment que la pression mise sur les épaules des femmes en matière de fécondité et d’âge est énorme, et qu’il faut déculpabiliser  et détromper les femmes de 35 ans à qui l’on a affirmé que c’est trop tard. Mais, moi qui suis une fan inconditionnelle de Winckler, je dois dire que cet article m’a gênée, d’une certaine façon. Les références incessantes aux couples « trop pressés » me blessent, parce qu’elles sonnent comme un reproche. J’y perçois (peut-être à tort!) un jugement porté sur notre choix d’avoir recours à l’AMP, voire une forme de pression exercée pour que nous y renoncions.

L’injonction faite aux couples de ne pas y avoir recours

Au-delà des croyances religieuses – pour l’Eglise catholique, un bébé est un don de Dieu, et la médecine ne devrait pas s’en mêler –  L’AMP  a, il me semble, une mauvaise réputation (surtout auprès des couples fertiles!). Elle est parfois perçue comme un acte égoïste: Il faudrait accepter son sort ou bien adopter, au lieu de vouloir à tout prix une filiation biologique, et ce, aux frais du contribuable… Ou encore elle est perçu comme une médecine d’apprenti sorcier, dangereuse pour le corps et à la limite de l’éthique. Ou enfin, comme une solution de facilité pour businesswomen capricieuses, «trop pressées»…

J’ai souvent eu le sentiment diffus d’être  jugée pour avoir fait le choix de recourir à l’AMP, et afin de retranscrire ce sentiment, j’ai envie de citer les témoignages de femmes infertiles qui semblent l’avoir également ressenti.

D’abord, je ne peux pas m’empêcher de remettre un lien vers cet article, témoignage d’une infertile par rapport aux jugements et opinions des «gens» qui ont jalonné son parcours, dont voici un extrait :

On peut vivre très heureux sans enfants. Enfin, toi. Eux, ils ont eu des gosses, ils sont normaux, merci. Mais toi, tu peux. Et tu dois. T’inscrire dans un long parcours d’AMP, c’est égoïste. Il faut savoir accepter son sort. L’infertilité c’est déjà un truc de gros connard égocentrique. Mais vouloir en sortir c’est encore pire. Etre parent, c’est une preuve de leur équilibre psychique- puisqu’il est bien connu que l’infertilité c’est dans la tête – mais surtout de leur incommensurable sagesse. Ton infertilité est la preuve de ta nullitude.

Les gens ont tout compris à la vie. Pas toi. Bah ouais, sinon tu serais fertile, sombre crétin. Donc quand un de tes proches te dit “faut pas y penser, ça viendra tout seul”, tu lui dit merci et tu le laisses s’essuyer les pieds sur ta gueule si ça lui fait plaisir. Parce que c’est vrai, quoi. Comme méthode de contraception on a pas trouvé mieux que d’y penser. Personne ne le dit parce que l’industrie pharmaceutique ne veut pas que ça se sache (encore un complot crypto-communiste). C’est comme le moteur à eau dont le brevet a été racheté par les grandes compagnies pétrolières. On nous manipule.

Dans son livre Puisque les cigognes ont perdu mon adresse  (Plon, 2008) Laurence Boccolini témoigne:

Je voulais juste en parler pour que plus jamais je ne lise dans Libération des articles comme celui qui fit vibrer les filles du forum de colère et d’indignation, où un journaliste osa écrire que la PMA (procréation médicalement assistée) était aujourd’hui une solution de facilité pour les femmes qui n’arrivent pas a tomber enceinte rapidement. Si seulement il savait. Si seulement il connaissait le détail de nos parcours, les examens douloureux qui s’enchainent, les traitements contraignants, les espoirs qui s’envolent après chaque test négatif, l’attente qui n’en finit pas, la paperasse pour la Sécu, les problèmes financiers qui bloquent lorsque, pour certaines, elles doivent prendre en charge la totalité du traitement (après 43 ans ou après la cinquième fécondation in vitro), les tensions dans le couple, les reproches et les regrets, et l’amour, la patience et la volonté que tout cela demande pour ne pas sombrer.

Plus loin, elle retranscrit une conversation au cours d’un dìner avec une mère de quatre enfants:

«Mais vous n’avez qu’à adopter! Nous avons pleins d’amis qui ont adopté et ça se passe très bien vous savez!»

Il y a encore une demi-heure, elle racontait à qui voulait l’entendre la naissance de son quatrième enfant à la clinique Saint-Isabelle de Neuilly, mais bon… Son intervention partait certainement d’un bon sentiment. Elle ajouta en se replaçant une longue mèche de cheveux derrière l’oreille:

«Ah, évidemment, si vous voulez un beau bébé blond aux yeux bleus, ça va être difficile. C’est vrai, les gens ne se précipitent pas vers les enfants de sept ou huit ans, ou ceux qui ont de légers handicaps, et qui ont tout autant besoin d’amour… Je trouve ça tellement injuste pour eux!»

Les autres invités acquiescèrent à l’unisson. Difficile de ne pas répondre à cette remarque pertinente et pleine de tact.

«- Ah bon? Parce que vous le feriez, vous?

– Quoi donc? dit-elle en faisant cliqueter ses bracelets sur sa montre Chanel.

– Si vous n’aviez pas eu vos quatre enfants, vous auriez immédiatement fait une demande pour adopter des préados handicapés?»

Elle n’eut même pas un moment d’hésitation, par courtoisie.

«Mais absolument! Et mon mari aurait été totalement en accord avec cette décision».

Enfin, dans Un miracle en équilibre, Lucia Etxebarria juge de façon extrèmement sévère l’une de ses voisines qui a deux filles nées grâce à la FIV après de très nombreuses tentatives. Elle considère que lorsque l’enfant a été trop désiré, lorsque des dizaines de milliers d’Euros ont été dépensés pour sa conception, alors l’enfant porte une trop grande responsabilité sur ses épaules parce qu’il se doit d’être parfait (après tout ce que ses parents ont fait pour lui!).

Il est difficile de comprendre, lorsque l’on ne l’a pas connu, toutes les conséquences du mal d’enfant sur une personne, sur un couple. Ces conséquences sont souvent sous-estimées, et par conséquent, l’AMP est perçue comme un mal qui n’était pas forcément nécessaire.

En conclusion, je ne prétends pas contredire la conclusion de cet article et affirmer que notre choix d’avoir recours à l’AMP n’a pas été influencé, ou n’a en aucun cas obéi à une injonction sociétale. Mais je crois que faire ce choix, c’est en premier lieu surmonter la peur incommensurable, toutes les petites humiliations et les souffrances quotidiennes que la PMA implique, et en second lieu briser un certain nombre de tabous, braver un certain nombre d’interdits et de croyances. Dans notre cas, je crois que nous avons subi (et que nous subissons encore) autant de pressions pour se dépêcher d’avoir des enfants (nous nous sommes rencontrés relativement tard), que pour nous dissuader d’avoir recours à l’AMP…  Et je crois avoir plus souffert des pressions exercées dans le but de nous y faire renoncer, et des jugements réprobateurs quant à ce choix.

Drenka