C’est ma troisième fausse-couche.
La deuxième qui survient pendant l’allaitement de mon bébé.

Lorsque j’ai su que j’étais enceinte, je me suis posé la question de la corrélation entre l’allaitement et ma dernière fausse-couche. Avait-elle pu être favorisée par le fait que j’allaite toujours mon bébé ?

A cette question, les avis étaient extrêmement tranchés et peut-être teintés de subjectivité… Il y avait en fait 2 clans: D’un côté les médecins et sages-femmes que j’ai rencontrés, pour qui l’allaitement avait à coup sûr compromis cette grossesse, et de l’autre, La Leche League (LLL), pour qui il n’y avait aucune raison d’incriminer l’allaitement, et pour qui il n’était pas indispensable de sevrer mon bébé pour cette nouvelle grossesse.

Le point de vue de la LLL

Mon premier réflexe lorsque j’ai su que j’étais enceinte a été d’appeler une conseillère de LLL au téléphone. Mon bébé ne tète plus beaucoup (il boit du lait de vache au petit déjeuner et au goûter), mais il semble ne parvenir à s’endormir qu’avec le sein le soir, et c’est la seule chose qui le calme la nuit lorsqu’il se réveille. Etait-il vraiment nécessaire de le sevrer? La réponse de la conseillère est résumée dans la fiche de LLL: « Co-allaitement – Allaitement pendant la grossesse » dont voici un extrait:

Le risque de fausse-couche ou d’accouchement prématuré augmente-t-il si on allaite pendant la grossesse ?

Cette question n’a pas été correctement étudiée scientifiquement car un grand nombre de variables ne peuvent être prédéterminées. Des années d’expérience auprès de mères qui allaitent ont permis au Bureau professionnel consultatif de La Leche League Internationale de penser que le risque de fausse-couche n’est pas augmenté quand les mères allaitent pendant la grossesse. Même des mères qui avaient eu des fausses couches dans le passé et qui ont allaité pendant les grossesses suivantes, ont accouché de bébés à terme.

La stimulation des mamelons fait sécréter un peu d’hormone ocytocine qui, à son tour, peut provoquer des contractions de l’utérus et des alvéoles mammaires. Les chercheurs ont utilisé la stimulation des mamelons comme moyen d’induction des contractions pour faire des tests de stress ainsi que pour démarrer le travail dans les grossesses à terme. Il faut trois heures de stimulation des mamelons pour faire démarrer le travail.

On trouve également une réponse dans le livre de LLL, Breastfeeding Answer Book, 3ème édition 2003, p.407:

Although uterine contractions are experienced during breastfeeding, they are a normal part of pregnancy. .. Uterine contractions also occur during sexual activity, which most couples continue during pregnancy.

(…)

Currently, no specific medical guidelines exist that define in which situations it may be risky to continue breastfeeding during pregnancy, and prenatal caregivers vary widely in their recommendations.

Traduction libre:

Même si des contractions utérines peuvent être ressenties pendant l’allaitement, elles sont normales durant la grossesse. Les contractions utérines surviennent également pendant les relations sexuelles, que la plupart des couples continuent d’avoir pendant la grossesse.

(…)

Actuellement, il n’y a pas de directive médicales spécifiques qui définissent dans quelles situations continuer d’allaiter pourrait constituer un risque pour la grossesse, et les recommandations du personnel médical varient largement.

Ce point de vue s’appuie sur l’observation, années après années, des femmes allaitantes, ainsi que sur le livre du Docteur Lesley Regan, qui dirige la « Miscarriage Clinic » à l’Hôpital St. Mary’s de Londres: Miscarriage: What every woman should know – Fausses-couches, ce que les femmes devraient savoir. Selon Lesley Regan (voir : Hilary Flower, Adventures in Tandem Nursing: Breastfeeding During Pregnancy and Beyond, LLLI 2003): 

Once a pregnancy is clinically detectable, breastfeeding should pose no added risk of pregnancy loss. There isn’t any data suggesting a link between breastfeeding and miscarriage, and I see no plausible reason for there to be a link.

Traduction libre:

Une fois qu’une grossesse est cliniquement détectable, l’allaitement ne devrait pas présenter de risque supplémentaire de fausse-couche. Il n’y a pas de données qui suggèrent un lien entre l’allaitement et les fausses-couches, et je ne vois aucune raison plausible pour qu’un tel lien existe.

Cette réponse était nuancée, bien sûr, mais ayant perçu dans ma voix ma panique à l’idée d’un sevrage brutal, la conseillère concluait que je pouvais continuer l’allaitement si je le souhaitais. Les médecins que j’ai rencontrés ne partageaient pourtant pas ce point de vue.

Le point de vue du gynécologue et de ma sage-femme

Gynécologue et sage-femme ont tous deux eu une réaction quasi épidermique lorsque j’ai parlé de mon allaitement. Les contractions utérines ont évidemment été décrites comme très néfastes pour le jeune embryon, et en outre les effets de l’allaitement sur le cycle hormonal ont été évoqués. Il est vrai que l’allaitement a sous certaines conditions un effet contraceptif, qui tient en partie à la présence de prolactine en taux plus élevés que la normale, ce qui provoque:

– une perturbation du cycle FSH – LH (ce sont les hormones de la maturation des ovocytes et de l’ovulation), donc des ovocytes qui n’ont peut-être pas mûri correctement, et des troubles de l’ovulation,

– une baisse du taux de progestérone, qui permet à l’utérus de développer une muqueuse accueillante pour le futur œuf et d’empêcher l’utérus de se contracter pour favoriser la nidation. Donc des règles qui arrivent trop vite qui empêchent une grossesse, ou bien une grossesse qui peut-être moins « solide » si l’endomètre (muqueuse utérine) est moins épais et moins vascularisé.

Dans mon cas, comme j’avais déjà deux fausses-couches à mon passif, il était donc URGENT de sevrer cet enfant, qui de toute façon à 22 mois aurait dû être sevré depuis longtemps…

LLL ayant pour but de promouvoir l’allaitement, je n’étais pas certaine de leur objectivité sur la question. Mais du côté du gynécologue et de la sage-femme, je n’étais pas convaincue que ce jugement ne relevait pas plus de croyances que de données scientifiquement étayées. J’étais assez sûre de l’innocuité des contractions utérines provoquées par l’allaitement (On ne va quand même pas se priver d’orgasme pendant 9 mois!), il me semblait que le taux de prolactine revient à la normale lorsqu’on allaite peu souvent comme moi, j’avais un cycle régulier qui semblait indiquer une absence de perturbation de la FSH / LH, et enfin je prenais des compléments de progestérone au cas où il y aurait eu un problème de ce côté-là.  Par ailleurs, la remarque sur mon fils qui aurait dû être sevré depuis longtemps me refroidissait un peu…

Cette étude de 2009 semble donner raison à LLL:

Does breastfeeding induce spontaneous abortion?

RESULTS: Eight of 110 pregnancies (7.3%) resulted in spontaneous abortion in the breastfeeding group, and 65 of 774 pregnancies (8.4%) in the control group. There were no statistically significant differences between the two groups (P > 0.05).

Traduction libre:

L’allaitement provoque-t-il des avortements spontanés?

RESULTATS: Huit des 110 grossesses (7,3%) ont résulté en un avortement spontané dans le groupe des mères allaitantes, et 65 des 774 (8,4%) dans le groupe de contrôle. Il n’y avait pas de différence statistique significative entre des deux groupes (P>0.05).

J’étais épuisée, mais j’ai considéré que mon fils n’était pas prêt, que le risque était limité, et que cela me causerait un stress inutile se sevrer mon bébé de façon brutale. J’ai donc choisi de continuer l’allaitement. Et malheureusement, une nouvelle fausse-couche est survenue. Le médecin a eu vite fait de conclure que ce n’était pas surprenant, puisque j’allaitais.

Nous sommes anéantis. Heureusement, les câlins de mon bébé arrivent à sécher nos larmes, et à apaiser nos coeurs jusqu’à trouver le sommeil le soir. Cette fois-ci, c’est moi qui ne peux plus m’endormir sans le sein. Mes proches trouvent que les mots du médecin sont inacceptables dans ces circonstances, parce qu’ils font peser sur nos épaules la responsabilité de ce qui est arrivé, en particulier lorsque sa conclusion n’est pas du tout évidente. Mais, même si j’essaie de ne pas trop culpabiliser,  j’ai la conviction que cet allaitement, malgré tout fatigant, conjugué à mon travail, et aux besoins de mon bébé qui demande une attention de tous les instants, a contribué à faire en sorte que je ne puisse pas me reposer comme j’aurais peut-être dû pour ce début de grossesse. Que mon corps a dit « non », c’est trop. Je crois que l’allaitement seul n’est pas en cause, mais qu’il faut réapprendre à s’écouter, et dans mon cas, je me pose la question de savoir s’il a été l’élément de trop à supporter en terme de fatigue? Et à vrai dire, si la situation se représentait, je ne sais pas du tout quel serait ma décision.

Drenka