Suite à mon précédent article sur l’âge auxquels les bébés comprennent le sens des mots, Mme Déjantée m’a fait suivre un extrait du livre Le bébé philosophe de A. Gopnik. Et il se trouve que cet extrait rejoint une réflexion que je me suis faite très récemment. Je suis persuadée que les enfants ont une capacité très élevée à l’innovation, et qu’ils pourraient être de merveilleux inventeurs.

Dans cet extrait, l’auteur s’interroge sur le développement de la causalité chez les jeunes enfants.

On a vu que les psychologues pensaient jadis que les enfants ne comprenaient pas grand-chose aux contrefactuels : il en allait de même pour la causalité. Le mode de pensée des enfants était censé se limiter à leur expérience perceptive immédiate : ils pouvaient avoir conscience qu’un événement intervenait après un autre, mais pas que l’un était causé par l’autre.

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Plus récemment, les psychologues ont décidé d’interroger les enfants sur des choses qu’ils connaissent bien : « Pourquoi Johnny a-t-il ouvert les réfrigérateur quand il avait faim ? » ou « Comment marche un tricycle ? », par exemple. Des enfants d’à peine deux ans donnent des explications causales justes, parfois même élaborées. « Il s’est dit qu’y aurait à manger dedans et il voulait manger alors il a ouvert le frigo pour trouver à manger. » Les tout jeunes enfants débordent de curiosité à l’égard des causes, comme en témoigne la question qu’ils répètent insatiablement : « Pourquoi ? »

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La causalité est ce qui donne à l’imagination sa logique. […] Un jeu où l’on fait semblant qui permettrait absolument n’importe quoi serait un vrai carphanaüm : le jeu ne marche qu’en établissant des prémisses imaginaires (« moi je suis la maman et toi le bébé ») puis en déterminant assez rigoureusement des conséquences causales de ces prémisses.

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On peut présenter à des enfants de trois et quatre ans de nouveaux évènements liés par un lien de causalité et observer s’ils sont capables d’utiliser ce savoir pour faire des prédictions, concevoir de nouvelles interventions et envisager de nouvelles possibilités.

[…] nous avons proposé aux enfants une machine similaire dotée d’un interrupteur. Les enfants ne savaient pas comment fonctionnait cette machine. Nous leur avons alors demandé si la machine se mettrait en route, d’une part si on appuyait sur l’interrupteur, d’autre part si on lui disait simplement de se mettre en route. Au départ, absolument tous les enfants ont répondu l’interrupteur lancerait la machine mais qu’il ne suffirait pas de parler à cette dernière – ces enfants ont appris qu’une machine ne fonctionne pas comme un être humain.

Mais si, dans un deuxième temps nous leur montrons qu’on peut mettre la machine en route en lui parlant, les enfants changent d’avis. Si vous leur demandez alors d’arrêter la machine, ils disent très poliment : « Arrête s’il te plait, machine », au lieu de tendre la main vers l’interrupteur. […] Donner aux enfants un nouveau savoir causal change leur façon d’envisager le champ des possibles et le type d’action qu’ils sont prêts à entreprendre. Les enfants de l’expérience ont été capables d’imaginer une machine « entendante », ce qui leur paraissait tout simplement impossible avant.

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Comprendre la structure causale du monde et générer des contrefactuels vont de pair. C’est d’ailleurs l’imagination qui donne son pouvoir au savoir, qui rend possible la créativité.

Encore une fois, la compréhension des enfants a fait un bond en avant. Les différents chercheurs scientifiques ou psychologues, ont mis en évidence que les enfants ont rapidement conscience des causes et des effets et qu’ils ne se limitent pas à l’observation brute des choses.

Si on observe son enfant, même très jeune, on peut le voir expérimenter le monde, ses causes et ses effets. Un exemple par lequel tous les parents est passé est celui de la persistance des objets. Cette phase du développement des enfants qui consistent à jeter quelque chose par terre et à attendre qu’on lui ramène pour être sûr qu’il existe toujours. C’est une expérience universelle et qui arrive à faire enrager tous les parents tellement cela peut être répétitif.

Ce qui est par contre nouveau pour moi c’est ce lien entre le monde imaginaire (que l’auteur appelle contrefactuel) et la notion de causalité. Les enfants s’amusent à modifier le monde réel et à en imaginer les possibilités et les conséquences. Je peux vous dire qu’avec mes deux filles, j’en ai fait l’expérience plus d’une fois. A partir d’1 an, leurs jeux se modifient. Elles passent par une phase que je croyais d’imitation, en mimant leur quotidien avec des playmobils. Mais en y réfléchissant à posteriori, ce n’est pas des scènes réelles qu’elles répètent, mais à chaque fois une scène un peu différente de la réalité. Je pense même qu’en répétant ces scènes, en les modifiant un peu à chaque fois et en imaginant les conséquences de ces changements, cela leur permet de mieux comprendre la scène « réelle » qui les a inspiré, de mieux assimiler ce qu’elles ont réellement vécu.

C’est comme ça que tous ces petits personnages, passent par des phases où ils font beaucoup de bêtises et vont au coin, où ils vont à l’école, où ils vont chez le docteur. En revivant ces scènes, mes filles fixent dans leur mémoire toutes les possibilités, les liens de causes et d’effets, et imagine les variantes possibles. Plus que de l’imagination, il y a de l’extrapolation.

J’ai l’impression qu’on perd cette capacité d’extrapolation en vieillissant. Est-ce parce qu’on a fait le tour, et que cela ne nous intéresse plus ? Est-ce parce qu’on est bridé, et embrigadé par la routine quotidienne qui nous encre dans la réalité ? Est-ce parce qu’on n’a plus le temps de se perdre dans nos pensées ?

Je suis persuadée que si on exposait aux enfants de manière simple des problèmes technologiques, philosophiques, politiques, sociologiques, ils auraient la capacité d’inventer des solutions très innovantes, originales et efficaces.

Et vous vos enfants sont-ils des inventeurs en puissance ?

Madame Koala

Images : Anthony Sigalas