«Et bonjour Monsieur du Corbeau.

 Que vous êtes joli! que vous me semblez beau! »

Le compliment adressé au corbeau par le rusé renard dans la fable de La Fontaine compte sans doute parmi les plus célèbres. Pourtant, on ne peut pas dire que ces louanges découlent de l’admiration, loin de là… On nous enseigne que cette fable nous met en garde contre la vanité, alors que nous devrions également apprendre à nous méfier des compliments.

En effet, utiliser des compliments, peut sembler un moyen inoffensif et efficace d’orienter le comportement des enfants. Hélas, Thomas Gordon, dans Éduquer sans punir démontre qu’il n’en est rien. En effet, le compliment s’assimile à une récompense, pratique dont l’efficacité éducative est douteuse.

Pour Thomas Gordon, lorsque les parents ou enseignants complimentent un enfant, ils ne recherchent pas son bien être, mais visent à modifier leur comportement. Par exemple, si je félicite mon fils pour la moindre production scolaire, je poursuis le but de l’amélioration de ses performances. Mais Grand Doux, pas idiot, percevra vite mon manque de sincérité si je fais mine de m’extasier devant ses exercices de graphisme…

En outre, si je dis à un groupe-classe, « vous vous êtes bien tenus aujourd’hui », je sous-entends qu’il n’en est pas de même les autres jours : le compliment s’avère être un reproche déguisé. J’ai d’ailleurs souvent constaté à mes dépens que ce genre de remarque, que j’avais  pourtant appris à l’IUFM, ne fonctionnait pas. En fait, selon Gordon « souvent manipulateur, le compliment  reflète un désir indirect et inexprimé de façonner ou de contrôler le comportement inacceptable de l’enfant en mettant un relief un comportement acceptable».  Pas étonnant que l’enfant y réagisse souvent violemment ( qui n’a pas connu un échange comme celui-ci  avec ses propres parents : « Tu es bien coiffée aujourd’hui » « Ben, merci pour les autres jours »).

La personne à qui on fait un compliment aura tendance à le rejeter si ce dernier ne correspond pas à sa propre évaluation. Par exemple si je dis à un enfant « le texte que tu as écrit est merveilleux», l’élève insatisfait de son travail aura l’impression que l’adulte ne l’écoute pas et nie ses sentiments. Personnellement, en ex-bonne élève, ce type de compliment m’a toujours agacé, car il ne réussit qu’à me donner le sentiment que l’on se fichait de moi, ou à me mettre la pression… En tout cas, je témoigne que ce n’est pas le genre de phrase qui aide à prendre confiance en soi. Au contraire, ce type de compliment inhibe la faculté de jugement : son destinataire est poussé à se comporter à l’aune de ce que les autres pensent de lui, en oubliant au passage ses propres sentiments. Le compliment se révèle infantilisant. Avec le recul, pas sûr que j’aurais entrepris des études doctorales qui m’ont ennuyée et ne m’ont pas menée à grand-chose, sans les éloges de ma famille et de mes professeurs…

Enfin, les compliments attisent la rivalité entre frères et sœurs. Vaallos en a déjà parlé ici  et autant dire que, chez nous,  nous n’avons pas besoin de cela…

Le compliment n’est donc pas si innocent et après avoir lu ce passage de Eduquer sans punir, il y a environ un an et demi, j’ai bien été tentée de jeter les compliments aux orties. Cependant, je me suis rendue compte que ces compliments manquaient au Grand Doux qui me demandait souvent mon avis sur ce qu’il faisait. Pour Gordon, le seul compliment acceptable est d’employer un « message-je», sincère et franc, mettant l’accent sur les propres sentiments de celui qui parle : par exemple, « je suis contente que tu aies nettoyé la table, cela m’épargne beaucoup de travail ».

 Je trouve quand même que la frontière entre admiration et « manipulation »n’est pas si aisée. Tout parent essaie d’influencer les comportements de ses enfants, mais je crois qu’il faut le faire en étant claire sur ses propres objectifs. Lorsque je fais certains compliments au Grand Doux, c’est aussi pour lui montrer une autre image de lui-même, lorsque nous avons  tendance à l’enfermer dans le rôle de l’enfant sensible et coléreux. Là, je ne crois pas être dans la manipulation. Il est sûr que l’objectif n’est pas que de lui exprimer ma seule admiration, comme je pourrais le faire en allant voir un artiste dans sa loge pour lui dire combien j’ai aimé sa prestation. . .

Dans la recherche du compliment qui fait mouche, c’est les conseils de Mmes Faber et Mazlish dans Ecouter pour que les enfants parlent, écouter pour que les enfants parlent qui m’aident le plus.

Selon ces deux auteurs, un compliment efficace comporte deux parties :

« – l’adulte décrit de façon admirative ce qu’il voit ou ce qu’il ressent
–          Après avoir entendu la description, l’enfant est alors capable de se faire un compliment à lui-même »

BD extraite d’Ecouter pour que les enfants parlent

Formulé de cette façon, un compliment va aider l’enfant à prendre conscience avec plaisir de ses capacités : il découvre qu’il peut ranger ses affaires, faire plaisir à quelqu’un, captiver un auditoire…  En quelque sorte, il remplit ses bagages d’émotions positives dans lesquelles il pourra puiser dans les moments plus difficiles. Pour les adultes, cela demande plus d’énergie que de lâcher un « Merveilleux mon chéri ! ». Avec la technique défendue dans « écouter pour que les enfants parlent », il faut faire sérieux efforts pour observer le comportement de l’enfant et décrire à la fois ses côtés positifs et les sentiments procurés. Il est également possible de donner à l’enfant l’adjectif qui résume son comportement.



Chez nous, il faut bien avouer que nous avons l’habitude de d’abord voir ce qui ne va pas, et nous n’avons pas tendance au compliment facile. Le problème est aussi que, même en étant convaincue du bien fondé des approches types Faber et Mazlish, j’ai bien du mal à changer mes réflexes. Bon, comme le soulignent les auteurs, la communication n’est pas notre langue maternelle, nous la parlerons toujours avec un accent. Cette semaine, j’ai donc tenté de formuler autrement mes compliments au Grand Doux :

–          Samedi dernier, lorsque ton frère s’est cogné la tête contre la porte de l’ascenseur, tu as ramassé ses affaires pour que Papa et Maman puissent le soigner, c’est ce que j’appelle « avoir les bons réflexes»

–          La maîtresse a dit que tu ne te mettais jamais en colère en classe, même lorsque tu ne réussissais pas un travail comme tu l’aurais souhaité, c’est ce que j’appelle être maître de soi

–          Lorsque tu as vu que la cuisine était sale (euphémisme…), tu as proposé de toi-même de passer l’aspirateur, c’est ce que j’appelle savoir rendre service.

Voilà, je pense que Grand Doux apprécie qu’on s’adresse à lui de cette façon, même si pour l’instant, je ne l’ai pas encore entendu se formuler ses propres compliments.

Dans Parler pour que les enfants apprennent, je retiens aussi la phrase «soyez le coffre à trésor de leurs bons coups». Lorsqu’un enfant rencontre une difficulté, il est constructif de lui rappeler ses réussites de façon précise pour l’aider à reprendre confiance en lui. Je crois que je vais tenir un petit répertoire de ses « bons coups » qui nous laissent admiratifs ou tout simplement reconnaissants, pour lui relire dans les moments difficiles et l’aider à se dégager de l’image de l’enfant « à fleur de peau » que nous avons trop tendance à lui coller. Développer l’estime de soi demeure quand même un sacré défi, vous ne trouvez pas ?

Flo la souricette