Accepter les différences, c’est sans doute l’une des taches les plus difficiles que nous devions faire en tant qu’humains, généralement effrayés par elles. Ce qui nous est inconnu et étranger nous fait peur. C’est un réflexe de survie. Le maîtriser et le dominer passe par un effort, certes, mais surtout une habitude. Si l’on côtoie beaucoup la différence, on ne s’en rend plus compte et on la considère comme simplement naturelle. Apprendre à nos enfants à faire ce cheminement est l’un de nos devoirs de parents, et sans doute l’un des plus complexes, puisque les enfants expriment en premier lieu leurs réflexes d’êtres humains : fuir et faire fuir l’étranger, le différent, l’inconnu. A nous de leur montrer que l’inconnu n’est pas forcément une menace, que l’étranger apporte une richesse pas toujours visible sur lui, que la différence nourrit une relation moins morne que la « normalité » que l’on aime afficher en société.

Anna des mouettes réfléchit pour nous sur l’enfant différent et notre comportement vis-à-vis de lui. En l’occurrence, elle s’intéresse aux Troubles envahissants du comportement (TED). S’il est vrai que l’on a plus facilement tendance qu’avant à adapter l’environnement et à intégrer un enfant ayant un handicap qui se voit (plus qu’avant, ça ne veut pas dire que c’est gagné, loin de là même…), il est tout aussi vrai que l’on ne cherche pas à s’adapter à un enfant ayant un handicap qui ne se voit pas, une différence qui ne s’impose pas physiquement. On espère qu’il s’adaptera aux autres enfants de son âge, puisqu’il n’est pas dans un fauteuil roulant, et on méprise ainsi complètement sa propre différence qui est bien plus différente que celle que porte chaque enfant en lui. C’est un manque de respect, généralement accompagné d’infantilisations ridicules. Pourtant, considérer ces enfants comme les autres et être simplement capable de les considérer entièrement et non pas seulement par leur différence – mais ne pas vouloir gommer cette différence – permettrait sans aucun doute de les intégrer au groupe et de s’adapter à eux sans même s’en rendre compte. Ce serait aussi montrer l’exemple à nos propres enfants, qui excluent la différence si nous l’excluons mais la trouvent aussi normale que leur « norme » si nous la trouvons normale.

Miss Brownie s’est penchée sur les stéréotypes « laid et méchant » et « beau et gentil ». Ce qui, d’une certaine façon, est la problématique de la différence envers laquelle nous nous comportons selon nos préjugés. Puisque cet enfant a un trouble du comportement, il doit être idiot. Puisque je trouve cet enfant laid, il doit être méchant (or, chacun connait des personnes pas laides qui sont terriblement sournoises et méchantes). Et puis la beauté, c’est tellement subjectif ! Dans tous les cas, on a parfois tendance à voir tout en blanc ou tout en noir et à oublier les nuances de gris, innombrables, qui composent le monde. Mais alors, avons-nous forgé ces préjugés durant notre enfance, ou sont-ils innés ? Miss Brownie prend les contes de fée pour exemple. Ils alignent, c’est vrai, ces préjugés les uns après les autres, faisant appel à la vision très bipolaire du monde par les enfants. Ils sont parfois, comme les comptines, accusés d’être trop violents (reproche que je trouve généralement injustifié).

Certes, les enfants voient le monde de façon bipolaire, mais ont-ils besoin que l’on appuie cette vision des choses dans les histoires qu’on leur raconte ? En fait, sans doute que cela fonctionne comme pour la violence : la mettre à distance permet de la rationnaliser. Les contes traditionnels, qui dépeignent un monde de beaux gentils et de moches méchants, permettent probablement aux enfants de se construire comme les comptines qui tuent leur principal héros, faisant de la mort une simple étape de la vie. Car dans l’absolu, nos préjugés sur les personnes que nous trouvons laides ou trop différentes ne sont-ils pas simplement le fruit de nos peurs de la différence (on trouve laid quelqu’un qui ne ressemble pas à nos idéaux de beauté) ? Eloigner les histoires traditionnelles peut-il vraiment changer la perception qu’a un enfant du monde qui l’entoure ? Ne peuvent-elles pas plutôt avoir un certain rôle cathartique ? La solution est-elle d’asceptiser l’imagination de nos enfants, comme il faut selon certains le faire pour leur environnement physique ? Je n’en suis pas convaincue.

Dans le genre lisse, j’appelle l’extrémisme. Sissi nous parle égalité des sexes et pose la question de l’éducation donnée à certains enfants qui consiste en une négation de leur identité sexuelle. Le but affiché est de gommer les différences entre filles et garçons. Cette expérience menée par certains parents a fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois et a choqué autant qu’interrogé. Serions-nous prêts à le faire ? Capables de le faire ? Avons-nous envie de le faire ? Et surtout : est-ce la solution pour gommer les différences ? Est-ce que ce type d’éducation n’exclut pas tout simplement l’enfant de la société puisqu’elle est, de fait, sexuée – parfois à l’excès mais pas toujours ? Est-il bon de créer un tabou chez des enfants ? Cette expérience interroge même le concept d’égalité, ce que nous mettons derrière. L’égalité signifie-t-elle que nous devons lisser nos rapports aux gens sans tenir compte de leurs spécificités, de leur caractère, par exemple ? Pouvons-nous réellement nier la différence biologique qui existe entre un garçon et une fille, une femme et un homme ? Il y a un gouffre entre rendre tabou une identité sexuelle et vouloir que les femmes et les hommes soient égaux en droits et en devoirs.

Et donc, sans tomber dans l’extrémisme, on peut accepter l’autre tel qu’il est. Conseils Educatifs parle tolérance de l’étranger. Dans un monde où la peur de l’autre guide certaines décisions et où le racisme envahit parfois certains discours, il est bon de s’interroger sur ce que nous transmettons à nos enfants à ce sujet. Du côté de Montessori, donc, on ouvre les enfants aux autres cultures que la leur grâce à des découvertes faisant appel à leurs sens. Quand on voit combien les enfants sont réceptifs aux expériences faisant appel au toucher ou au goût, c’est probablement une très bonne piste pour leur faire découvrir l’inconnu sans les effrayer. Mais nous, parents, nous n’avons pas forcément ce biais là à notre disposition. Le casse-tête réside donc dans notre capacité à leur faire découvrir ce que nous ne connaissons pas forcément très bien : les autres cultures, coutumes, habitudes, modes de pensée. Et sans jugement de notre part. Plutôt complexe quand, en plus, on vit dans une commune où il n’y a pas de famille d’origine étrangère ayant gardé un lien avec sa culture d’origine.

Moi, j’ai grandi dans un HLM où les populations se mélangeaient et où personne ne faisait jamais attention à la couleur de la peau des autres, où les fêtes non chrétiennes étaient célébrées par mes voisins comme les fêtes chrétiennes par une partie de ma famille. Alors je ne m’étais jamais posé la question des différences, elles faisaient tellement partie de ma vie qu’elles étaient la norme. Aujourd’hui, ma fille grandit entre plusieurs cultures : celle de ses parents, celle de son département d’adoption qui est plutôt une culture « forte » et celle de l’Espagne, elle-même métissée. J’espère qu’elle saura s’ouvrir à toutes les autres, qu’elle n’aura de préjugés sur personne. J’espère surtout que je saurai lui montrer l’exemple.

Cécilie