« Le risque, c’est de provoquer une épidémie. »

Au mois de septembre dernier, le psychiatre Boris Cyrulnik a remis un rapport sur les suicides d’enfants à Jeannette Bougrab. La secrétaire d’Etat chargée de la Jeunesse et de la Vie associative l’avait commandé en février, selon Le Parisien.

Une trentaine de cas seraient recencés en France annuellement. Mais Boris Cyrulnik considère que le chiffre annoncé est sous-estimé. A l’époque de la remise du rapport, il assurait au journal sus-mentionné qu’une quarantaine de cas annoncés ne prenaient pas en compte « les accidents non accidentels, qui sont en fait des suicides ».

Boris Cyrulnik :

On arrive à une centaine chaque année, ce qui est énorme. C’est par exemple l’enfant qui se jette subitement sous les roues d’une voiture. L’entourage attribue ce geste à un moment d’inattention ou à une mauvaise évaluation du danger alors que l’enfant savait très bien ce qu’il faisait.

Des avis divergeants

Le directeur du département de psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, Christian Flavigny, ne partage pas cette opinion. C’est en regard de son enquête sur une quinzaine de cas en 1982 qu’il réfute les dire de Boris Cyrulnik. Selon lui, certains passages à l’acte décrits dans le rapport ne devraient pas être considérés comme des suicides.

Christian Flavigny :

Les enfants de moins de 12 ans n’ont pas la même vision de la mort que les adultes. Ils la conçoivent comme une absence qui dure. Un petit garçon que je suivais m’a dit un jour : “Il est mort, il vit au cimetière”.

Et d’ajouter :

La limite est ténue entre le jeu dangereux et le geste suicidaire. Pour eux, il n’y a pas d’irréversibilité. C’est une solution pour se soustraire à une situation qui les dépasse. Ces manifestations sont très impressionnantes mais restent rares. Elles touchent surtout les garçons.

Alors que faire ?

Tandis que Flavigny préconise une sensibilisation à la dépression de la petite enfance, Cyrulnik préfère l’allongement des congés maternité, le développement des métiers de la petite enfance et la suppression de la notation des enfants à l’école. Mais par-dessus tout, il souhaite l’arrêt de la médiatisation des passages à l’acte.

Cyrulnik s’est déjà fâché avec des journalistes :

Ces suicides d’enfants sont spectaculaires mais ne doivent pas être racontés. On en héroïse les auteurs. Le risque, c’est de provoquer une épidémie. Des études l’ont prouvé : quand Marilyn Monroe a mis fin à ses jours, le nombre de suicides a augmenté.

Et le harcèlement ?

Dan Olweus, chercheur suédois spécialiste du harcèlement scolaire, considère le risque de suicide comme étant quatre fois plus élevé chez les jeunes victimes d’harcèlement à l’école. Il a ainsi produit le Guide de l’identification des victimes et agresseurs potentiels.

Du côté de l’Hexagone, Jean-Pierre Bellon, professeur de philosophie et responsable d’une association contre le harcèlement à l’école, a réalisé une étude autour de 3 500 élèves. Son objectif était de mieux comprendre ce phénomène qui concernerait pas moins d’un enfant sur dix.

Jean-Pierre Bellon :

Le harcèlement est le terreau silencieux de la violence scolaire. Ce sont des humiliations répétitives qui s’installent sur la durée. Pris séparément, les actes de harcèlement peuvent paraître anodins. Cette violence, on la retrouve partout : j’ai obtenu les mêmes chiffres dans un collège rural d’Auvergne que dans un établissement en zone d’éducation prioritaire (ZEP) de Seine-Saint-Denis.

Le professeur rappelle que le phénomène a toujours existé. Il s’est simplement adapté aux nouvelles technologies en matière de communication, avec pour résultat une amplification de la résonnance des moqueries.

Jean-Pierre le professeur de philosophie :

On envoie des séries de textos insultants à toute heure du jour ou de la nuit. Sur Facebook, les rumeurs se propagent très vite. J’ai en tête l’histoire d’une jeune fille qui avait été battue par une bande de collégiens. Elle avait donc des bleus sur le visage. Une autre adolescente l’a accusée d’utiliser du maquillage pour simuler ses ecchymoses. La pauvre a dû changer trois fois d’établissement scolaire : cette rumeur l’y précédait à chaque fois à cause de Facebook.

Concrètement

Au début de cette année a été mise en place une campagne de sensibilisation dans les postes de télévision. A l’origine de ce programme se trouve le ministère de l’Education nationale.

Pour autant, monsieur Bellon considère que rien n’est encore fait :

Le plus important, à mon sens, c’est de préparer les enseignants. Rien n’est prévu dans leur cursus de formation pour apprendre à gérer ce genre de problème. Il ne suffit pas de taper du poing sur la table pour réprimander. La plupart du temps, les harceleurs recommencent pour se venger. Il faut mettre en place un protocole de suivi de la classe. Cela se fait dans les pays nordiques.

Pour découvrir ce que j’en pense ainsi que les sources du double-billet, je vous invite à lire la suite sur mon blog Les 7 pêches et Capito : Cette vague de suicide chez l’enfant.

CoraRoZ