Je reprends la plume pour la deuxième partie de ce débriefing mensuel visant à donner un panorama des contributions du mois de décembre 2011.

Je rappelle que la première partie est visible ici et que j’ai choisi tout au long des 4 parties de cette synthèse d’illustrer mes propos grâce à des extraits de l’ouvrage du sociologue L. Boltanski Prime Education et Morale de Classe.  

2- Le rapport à la norme mais aussi aux valeurs et aux rôles implicites assignés à l’individu : Le rôle de l’instituteur et du médecin

Nous avons vu, dans la première partie, de quelle façon les pouvoirs publics avaient décidé, vers le milieu du XIXème siècle de procéder (dans le but d’endiguer la mortalité infantile rendue palpable par les statistiques) à une vaste entreprise d’éducation des classes les plus basses de la société visant à promouvoir les recommandations des médecins en lieu et place des coutumes populaires…

Cette vaste entreprise est qualifiée par Boltanski « d’acculturation », un terme relativement fort (il me semble du moins) puisque souvent utilisé pour décrire la façon dont la culture des migrants se modifiait suite à leur arrivée dans le pays d’accueil… ou encore à un degré supplémentaire la façon dont la culture des natifs se voyait transformée par la volonté prétendument civilisatrice des colons… car c’est en définitive bien ce qui est en jeu ici, voyez plutôt :

 » Il s’agit bien d’une colonisation. L’école doit réaliser l’ « acculturation » des classes populaires aux valeurs et aux fins des classes moyennes. Les idéaux que l’école propose, ou impose, aux enfants des classes populaires sont des idéaux d’ordre, de travail, d’économie. Ils ont un caractère austère, ascétique même.  »  (p.29)

Nous l’avons aussi évoqué précédemment… pour cette vaste entreprise, deux acteurs principaux sont désignés et l’affirmation de leur autorité est un préalable essentiel à la mission civilisatrice: le maître d’école et le médecin. Le passage suivant est, sur ce point, plus explicite et édifiant que je ne saurai le faire :

« Affermir l’autorité du médecin, lutter contre les préjugés, c’est-à-dire substituer à une formation traditionnelle dispensée par les « aïeuls » un enseignement rationnel fondé sur un savoir positif, tels sont aussi les buts que se propose le professeur Adolphe Pinard […] lorsqu’en 1903[…] il réalise enfin un  » rêve  longtemps caressé » en dispensant durant toute une année scolaire un enseignement de puériculture dans une école primaire de fille […] Ainsi se trouvent, en quelque sorte, matérialisées dans les faits, les relations idéologiques qu’entretiennent, autour des années 1900, l’institution scolaire et l’institution médicale. Toutes deux vont, durant cette période, se renforcer et se développer. » (p. 34)

Il m’est amusant (si on peut dire!), à titre personnel, de noter à quel point le parallèle entre le pouvoir du médecin et celui de l’enseignant m’était déjà apparu, furtivement et de manière peu approfondie je l’admets, lorsque j’évoquais avec Mr Déjanté la lecture du bouquin de Martin Winckler Le chÅ“ur des femmes … De nombreuses dérives telles que le corporatisme à outrance qui induit des réactions ou des propos contraires à l’intérêt du patient/de l’élève dans le seul but de protéger ses confrères/le système auquel on appartient ;  ou encore cette volonté de dominer, de vouloir voir ses recommandations suivies avec docilité et bien d’autres encore…. sont autant de points qui s’appliquent bien souvent avec autant d’efficacité dans le monde de l’enseignement que dans celui de la médecine (pensez donc à la teneur de certains conseils de classe !!)… Sans parler du concept de « Patient Alpha » (Dans le roman de Winckler : le premier qui donne envie au soignant de se révolter contre ses pairs pour le protéger) qui pourrait sans trop de mal s’adapter en « Elève Alpha »….mais les enseignants seront mieux placés que moi pour juger de la pertinence de telles hypothèses…

Oui mais me direz-vous… quel rapport tout cela a avec le titre de cette deuxième partie ???

C’est qu’asseoir le pouvoir du médecin en cette fin de XIXème siècle passe avant tout par l’imposition de nouvelles règles, d’un nouveau rapport à la norme, tout cela définissant en réalité un nouveau contrat communicationnel entre le médecin et son patient… c’est-à-dire un système implicite et complexe d’attentes réciproques, de rôles réciproques qui régirait la relation médecin-patient…. Et je fais l’hypothèse que les termes de ce contrat ne sont pas sans familiarités avec les clichés qui définissent aujourd’hui dans l’esprit de beaucoup le « patient responsable » tel que Winckler cherche notamment à déconstruire…

Lisez plutôt :

« C’est une véritable prise de pouvoir que tente alors l’institution médicale : il faut étendre le champ de la médecine et placer de nouveaux domaines, d’autres conduites, sous la domination impérieuse et savante du médecin ; particulièrement, cette infinité d’actes privés que les femmes se croient encore en droit d’exercer librement dans l’accomplissement de leur besogne maternelle. » (p. 35)

Puis plus loin et qui précise notamment certains des termes de ce contrat communicationnel…

« De l’utilisateur de la médecine moderne on exige beaucoup : il doit être assez informé de la médecin, assez « éduqué » pour donner correctement la réplique au médecin qui attend de lui une réponse claire à la question difficile : « où souffrez-vous ? ». Deuxièmement, il doit être capable par lui-même de repérer les débuts du mal et, si possible, d’en prévenir la venue par l’application de techniques, notamment techniques antiseptiques, souvent minutieuses et d’application relativement complexe. […] Mais ce n’est pas assez d’exiger du malade conforme qu’il soit correctement informé de la médecine. Ce qu’on attend de lui, c’est précisément qu’informé il reste conforme, c’est-à-dire qu’il ne cesse de se conformer et demeure, une fois averti, aussi modeste, aussi naïf, aussi confiance, en présence du médecin qu’il l’était dans sa totale ignorance. » (p. 52-53)

Mais alors, en quoi les neuroneuses ont-elles évoqué au cours de ce dernier mois de l’année 2011 ce thème du rapport à la norme, aux valeurs et aux rôles implicites assignés à l’individu ??

Le propos de leurs mini-débriefings dépasse de loin le seul cadre de la médecine ou de l’école… car il faut bien rappeler que les normes et les valeurs sont les ingrédients essentiels de toute socialisation, donc, du fonctionnement de tout groupe social…

Le mini débriefing de Cécilie par exemple, traite de la difficile et incontournable mission des parents : interdire… Pourquoi incontournable finalement? N’est-il pas interdit d’interdire ?? Essentiellement parce qu’en tant que parents, nous avons la responsabilité de protéger nos enfants… ce qui passe notamment par la réprobation de comportements socialement incompatibles (comme faire acte de violence sur quelqu’un par exemple…). Mais cette nécessité d’interdiction peut se faire sans violence et c’est ce que les contributrices de ce débriefing auront eu à cœur de nous prouver… tel que le fait Lucky Sophie ou encore Notre Bulle à Nous…. Une réflexion intéressante sur la façon dont la norme est perçue différemment selon à qui elle s’applique grâce à Laetibidule… Et enfin, un exemple d’interdiction dans le but de protéger avec Chatonessa…

Le mini-débriefing de Kiki s’évade en apparence bien loin de nos réflexions sur les normes et les valeurs en traitant bien au contraire de l’imagination des enfants, entre mythe du Père Noël, lutte contre la peur du noir, rituel de l’histoire du soir,  ou encore sensibilisation des plus jeunes au miracle de la vie….Pourtant, la dure réalité rattrape parfois nos chères têtes blondes : le système éducatif français comportant encore beaucoup de travers propres à reproduire les inégalités sociales, à fragiliser l’estime de soi, à stigmatiser l’erreur et à valoriser le conformisme aux dépends de l’originalité… Voici le propos de la contribution de Elodie Conseils Educatifs… Reste à savoir quels liens ces travers-là entretiennent-ils avec les normes et valeurs historiques de l’Education Nationale… ?

Enfin, le mini-débriefing de Maman Sauterelle, nous rappelle que devenir parent n’est avant tout pas question de normes et de règles données à l’avance et qu’il suffirait de se contenter de suivre  mais bien plutôt un chemin de chaque instant plein de remises en questions, d’obstacles, d’épreuves, d’errance….Certains s’émerveillent et se réjouissent, certains autres cherchent à se rendre meilleur,  certains commettent des erreurs, terribles parfois, d’autres se changent et se dépassent, d’autres encore  s’égarent, mais tous s’enrichissent, grandissent, s’élèvent au contact de l’enfant…

Beaucoup d’autres mini-débriefings auraient pu venir illustrer à merveille cette deuxième partie… mais je les garde sous le coude pour la suite !!!

Je vous laisse à cette enrichissante lecture et aux réflexions, que je ne doute pas que les extraits  de l’ouvrage de Boltanski auront probablement suscité….

Et je vous dis à la semaine prochaine pour la 3ème partie de ce débriefing mensuel !!

Mme Déjantée