En cent ans, l’image que nous avons des jeunes enfants a bien changé, passant d’une quasi-ignorance envers ce qu’on considérait guère mieux que des animaux à une grande sollicitude, dès le stade de fœtus, pour de véritables petites personnes. C’est la passionnante évolution qu’illustre le documentaire « Mémoires d’un bébé » diffusé le 3 janvier sur France 2.
J’avoue avoir pensé éteindre mon poste assez rapidement car, en début de reportage, l’allaitement est évoqué (brièvement) de façon très partiale à travers les témoignages de deux femmes : une a choisi de ne pas allaiter et l’autre déclare qu’elle souhaite allaiter peu de temps car, selon elle, « on ne peut se sentir femme en allaitant ». Je respecte bien entendu leurs opinions, mais en matière d’objectivité et d’image donnée à l’allaitement, admettez qu’on repassera…
A part ce petit reproche, le reste du documentaire est vraiment passionnant. Notamment, il nous est rappelé qu’au début du siècle, la mortalité infantile était très élevée : en 1945, ce qui n’est pas si vieux, un bébé sur 10 mourrait avant un an. Un enfant pouvait décéder des suites d’un rhume mal soignée, sans parler des ravages de la tuberculose. On comprend alors mieux le pourquoi des préoccupations hygiénistes de la médecine, peut-être inadaptées de nos jours, mais qui à l’époque avaient pour but la survie des enfants. Pour ne pas risquer de transmettre la maladie, les bébés étaient séparés dès la naissance de leurs mères tuberculeuses, sans qu’on ait conscience de la cruauté de cette séparation… Le discours médical normatif (le réalisateur fait la comparaison avec la standardisation des produits issue du fordisme) du début du 20ème siècle se développe au détriment des relations affectives.
C’est en fait la seconde guerre mondiale et son cortège d’horreurs qui va déclencher la prise de conscience de la sensibilité des enfants. Notamment, en 1940, les enfants parisiens sont évacués et séparés de leurs parents : rapidement, la plupart développent des troubles mentaux. A la même période, la jeune François Dolto met en lumière des troubles spécifiques aux enfants de pères prisonniers.
La médecine découvre alors que bon nombre de ce qu’on considérait comme des « tares » mentales sont juste la résultante de relations déshumanisées entre l’enfant et les adultes les prenant en charge (ce que résume Mme Appel «  ils ne sont pas tarés, c’est nous qui les avons rendu comme ça »).
Après guerre, cette constatation va permettre l’explosion des travaux sur le psychisme des enfants. Arnold Gesell décrit très précisément le développement du nourrisson (et stresse une nouvelle  génération de mères qui ne retrouvent pas leur enfant dans ces nouvelles normes, mais c’est une autre histoire).  Terry Brazelton dévoile aux parents les capacités du nouveau-né, en particulier en matière de communication. On découvre que le fœtus a déjà de grandes compétences, mais il peut être affecté dans son développement par les conditions difficiles dans lesquelles vit sa mère : Boris Cyrulnik explique que les enfants nés sous les bombardements présentent à la naissance des retards de croissance et de maturation cérébrale. En bref, le bébé est enfin devenu une personne épatante, qu’il faut entourer des soins et des sollicitudes pour qu’il se développe pleinement.
Notamment, cette remarquable petite personne a besoin de contacts avec son entourage au même titre que de sommeil ou de nourriture. A la suite de Winnicott, les psychologues vont s’intéresser à l’importance de l’attachement. La science ne comprenait pas pourquoi les enfants placés en institutions ne se développaient pas et finissaient par mourir malgré l’hygiène et une nourriture saine : c’est l’hospitalisme. René Spitz décrit ce trouble et préconise d’y remédier en multipliant les interactions avec les enfants. Il filme le développement d’enfants de même âge, l’un vivant en orphelinat, l’autre avec ses parents. Si, à trois mois, le comportement des bébés est semblable, un gouffre se creuse au fil des mois, l’enfant placé ne grandissant pas et sombrant peu à peu dans la prostration. Inutile de dire que ces images sont très dures à regarder… Heureusement, une note d’optimisme est apportée par la psychologue Geneviève Appell (dont l’humanisme et l’intelligence transparaissent à l’écran) qui a soigné de tels enfants, jugés irrécupérables par les institutions. On voit un petit film sur la thérapie menée avec une petite fille et c’est fascinant de voir celle-ci s’ouvrir au monde au fil des mois, tout simplement parce que la thérapeute joue et parle avec elle. Plus près de nous, le documentaire nous apprend que ces recherches ont fait évoluer l’accueil en collectivités, et en particulier en crèches (celles des années 50 sont plutôt effrayantes) vers ce que nous connaissons aujourd’hui.
Une bonne place est faite également dans le documentaire à des images d’archives de Françoise Dolto, dans lesquelles elle explique sa démarche. J’ai été là aussi impressionnée par cette grande dame : mesurons-nous vraiment tout ce que nous lui devons ?
J’ai beaucoup apprécié de voir ces évolutions illustrées en images, qui en disent parfois bien plus long que des mots. Il y a des séquences insupportables : en particulier celle de l’expérience de « conditionnement » menée sur ce malheureux Little Albert (9 mois) dans les années 1920. J’ai tiqué aussi sur ces images de bébés parqués comme les poussins d’un élevage industriel, (tirées il me semble d’un reportage des années 50 ou 60 illustrant le baby-boom) … Tout cela en dit long sur la perception de l’enfant par la société il n’y a pas si longtemps.
La diffusion de ces travaux dans le grand public, conjugués à l’amélioration du niveau de vie, a changé également les demandes des parents vis-à -vis de la médecine. M. Naouri explique qu’au début de sa carrière, les parents lui demandaient de garder leur progéniture en bonne santé, pour qu’elle puisse rapidement aller travailler. Aujourd’hui, on lui demande plutôt des conseils pour éduquer ce qu’il appelle « des adultes de qualité »…
En revanche, le documentaire est je trouve moins intéressant lorsqu’il présente toute ces évolutions comme anxiogènes pour les parents d’aujourd’hui (on va jusqu’à nous dire qu’ils sont « paniqués »). C’est alors le retour des lieux communs sur la nécessité de la frustration et la difficulté à poser des limites (en plus, le seul exemple donné est je trouve particulièrement mal choisi). Heureusement, le mot de la fin revient à M. Naouri (pour une fois que je suis d’accord avec lui !) qui rappelle que chacun est à même de juger de façon autonome, et encore plus lorsqu’on à la chance d’élever ses enfants à deux…
Même si certains passages vous feront peut-être bondir, Mémoires d’un bébé est un excellent documentaire, qui fait réfléchir et donne vraiment envie d’en apprendre plus. Je vous conseille vraiment de le regarder si vous en avez la possibilité (il est disponible en VOD, et j’ai vu aussi sur la toile que le réalisateur avait également publié un livre sur ce sujet).
Flo la souricette
merci de ce billet, vraiment instructif, et qui donne envie de regardé ce documentaire. Pour répondre à la conclusion du reportage, je dirais que les Vendredis Intellos sont une plateforme de réflexion pour que la panique évoquée laisse place à la sérénité dans l’éducation. Certes nous sommes en tant que parents les capitaines du navire, mais ne restons pas seuls et isolés!
Je suis bien d’accord avec toi, échanger permet de se rendre compte que les autres rencontrent souvent les mêmes difficultés. Et puis les Vi permettent d’entendre d’autres sons de la cloche que ceux qu’on peut trouver un partout ailleurs… Vive les VI ;)
Merci de ta contribution… j’ai moi-même regardé avec beaucoup d’intérêt ce documentaire, je suis curieuse de lire ce que tu en dit… Et bien d’accord avec vous les filles: VIVE LES VI!! :D
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