Grâce à ses perceptions très subtiles, l’enfant sent que quelque chose a changé dès que sa mère est enceinte, souvent avant qu’elle-même ne le sache. Cette irrigation hormonale transforme immédiatement l’odeur intime, ce qui est très sensible pour l’enfant qui la connaît si bien. Cela stimule probablement une mémoire prénatale de l’aîné et peut provoquer chez lui des réactions de plaisir, de gratitude, une attraction irrésistible. On pourrait interpréter à tort ce comportement comme une manifestation de la jalousie.

Cette semaine, mon vendredi intello est l’occasion de m’intéresser à la supposée jalousie fraternelle, grâce au livre Tous jaloux ? Lorsqu’un autre enfant paraît, de Hélène Sallez et Bernard This. Un livre qui s’attache à démontrer combien les réactions des aînés que l’on croit néfastes sont en réalité très saines (et vice versa). Un livre qui s’attache également à nous faire sortir de notre lecture des réactions des aînés quand la maman attend le bébé suivant ; une lecture simpliste de réactions en fait complexes et parfois simplement physiques et non psychologiques. Comme celle citée ci-dessus.

Les enfants sentent tout. Absolument tout. Parce qu’ils sont bien plus réceptifs que nous. Alors, quand leur maman est enceinte, ils le savent même si on ne leur a pas dit. Sans doute n’y a-t-il pas que les hormones, l’odeur… sans doute y a-t-il aussi le comportement, qui change inconsciemment lorsque l’on apprend une grossesse. Dans tous les cas, le corps parle. Y compris à l’aîné – et ce d’autant plus qu’il connaît très bien sa maman.

Animée par ce nouveau bébé, la corporalité de la mère signifie tant de choses à l’aîné ! Elle relie ces deux-là qui se perçoivent grâce à elle, grâce à l’ouverture au monde qui peut être la sienne, grâce à la perméabilité de son être-mère, grâce à cette double présence dont elle peut être capable : présente affectivement autour du bébé au fond d’elle-même et au monde, autour de l’aîné et avec le père.

Quand on a deux enfants, on ne divise pas son amour, on le multiplie par deux. Quand on a deux enfants, bien sûr on n’est jamais objectivement aussi présent pour l’un que pour l’autre, encore moins que quand le premier était encore seul, mais on peut décider d’être qualitativement aussi présent pour les deux. C’est-à-dire choisir ses moments de présence, selon leurs besoins. C’est le talent et l’art (très) difficile d’une maman que de savoir équilibrer son amour et sa présence entre tous ses enfants. Mais je suis convaincue que c’est tout à fait possible, parce que sans doute en partie inné.

L’amour qui circule entre frères et soeurs dépend largement de ce qui se joue dans leur âge le plus tendre, et bien avant, entre la mère enceinte et le père, entre elle est les enfants déjà nés. Comment se rencontrent-ils ? Lorsque le bébé arrivera dans le berceau ? C’est bien avant, pour les plus petits en tout cas ! Pour les plus grands, ce sera d’abord dans l’imaginaire.
[…]
Le bébé en chair et en os fait vivre les choses autrement. Ce n’est pas une histoire qu’on raconte, c’est pour de vrai ! Et si l’aîné a développé une expression orale fluide, les questions vont pleuvoir dans le mouvement d’une puissante identification : « Moi aussi j’ai été dans ton ventre ? Par où il est sorti le bébé ? Moi aussi j’ai bu le lait ? J’ai tété le sein ? »
[…]
Si tout se passe bien, c’est d’abord un petit humain [par opposition à « petit frère » ou « petite soeur », représentations qui peuvent, selon les auteurs, décevoir et créer des ambiguités chez l’aîné], très touchant par tout ce qu’il réveille d’élan de protection , lié à l’instinct de survie chez l’aîné, et d’empathie naturelle, fondement d’une sorte d’instinct parental.

Les enfants s’identifient et le fait de leur dire qu’ils ont été dans le même ventre, aux mêmes seins, dans les mêmes bras, est sans doute le meilleur moyen de leur faire savoir qu’ils ont reçu ce qu’ils envient au nouvel arrivé. Envient, mais ne jalousent pas, du fait de leur instinct protecteur. En tout cas, quand tout se passe bien. De même que pendant la grossesse, faire en sorte que l’aîné caresse le deuxième, que le deuxième sente alors ce contact qui n’est pas celui des mains de ses parents, c’est déjà établir une relation fraternelle (ce contact avec le ventre étant, d’après moi, réservé aux personnes intimes et non ouvert à tout le monde).

Cécilie