Le Cœur sur un nuage est un ouvrage qui réunit deux textes parus aux Editions Actes Sud : « Je porte un enfant et dans mes yeux l’étreinte sublime qui l’a conçu » et « Le cordon de soie ».
Deux textes magnifiques accompagnés de belles photos…
Je vous livre la préface du premier texte, écrite par René Frydman… Quand je serai grande, j’aimerai savoir écrire comme ça…
En voguant sur les déferlantes poétiques de Frédérique Deghelt et de Sylvie Singer Kergall, je me suis interrogé. Que nous racontent toutes ces femmes qui se contemplent le nombril? Celui-ci tel un phénix renaît pendant la période de gestation. Le trop-plein du dedans pousse le dehors comme pour rappeler la filiation ou la filature. Que de vies emboîtées! Que sont toutes ces sensations difficiles à capter? Contractions, mouvements, picotements, secousses, hoquet, titillements.
Qui bouge, lui ou moi? Qui communique, lui ou moi? Qui réagit, lui ou moi? On devine, les yeux de l’homme n’en peuvent plus de découvrir cette beauté féminine qui se dédouble en silence.
La photo arrête le temps, permet d’y revenir, elle imprime la mémoire de l’oeil. Le geste et la main, l’enroulement du bras, le porté haut, le porté bas, l’effacement des angles soulignent l’incertitude du caché.
Le nu n’est jamais assez nu, on voudrait en voir plus, l’intérieur de l’âme, leurs âmes, à elle, à lui, restent inaccessibles. Pourtant, parfois, un regard capte le rayon mordoré qui entoure les poses de ces égéries. Le sexe qui a permis le sexe demeure pudique, masqué par la proéminence ronde. Extrême rondeur : couverte, découverte, marquée par la ligne brune, ornée, massée, cajolée, en clair-obscur, en pleine lumière, en demi-teinte, en ombre portée, en froid, en hérissée, en sueur, en paisible, en joyeuse, en décorée, en tatouée, encensée. Oui, le ventre éphémère est encensé. Il est porté fièrement, il flotte sur une pellicule au regard absent. Il nous faut deviner, inventer celle qui le porte, celle qui le ressent, celle qui vit au dessus de cette proéminence.
Sous cet arrondi commun s’inscrivent tant d’histoires différentes, tant de passés opposés, tant d’évènements attendus, de fêtes à venir, de souhaits divers, d’images composées, et déjà d’autres photos se superposent, plus classique : sa bouille à la naissance, les cartes de voeux, les anniversaires, le commun de la photo de la famille, mais aussi, qui sait, quelques images poétiques, où l’on aura saisi l’aura, le halo qui baigne chaque enfant. Le désir n’est plus tout à fait présent. Il a préexisté, il renaîtra à d’autres instants. Les photos et le texte concourent à cerner un état de plénitude aux jours comptés. D’un côté l’acte ultime, la naissance, n’est pas encore atteint. De l’autre les inquiétudes du début de la grossesse se sont estompées. on perçoit bien que l’on est dans l’entre-deux.
Plus tout à fait une femme et pas encore mère.
Est-ce l’état de perfection? Cette osmose entre la nature et soi, cette intégration du petit cercle au grand cercle terrestre alors que l’enfantement approche et que tout est vécu comme une accumulation. L’énergie  s’est engrangée dans le gros ventre mais sommeille encore. Elle s’est lovée en rond, tel un tumulus au sein du paradis, un atoll au centre du monde. Entre les courses poursuites de la vie, les agressions de l’existence, la grossesse est un moment culte, et parmi les neufs moisque dure celle-ci, les trois derniers sont synonymes de calme, celui qui précède les tempêtes, les orages, c’est un luxe impalpable, un pas de danse, un pas de deux,  une ronde enfantine qui nous est offerte.
René Frydman
Chocophile