Cette semaine, place aux protocoles très répandus dans les maternités de notre pays, que Michel Dugnat, l’auteur de Devenir père, devenir mère, résume en trois points : « les rituels de séparation et d’appropriation », « les rituels de purification » et « les rituels de conjuration ». Je cite, dans l’ordre que je viens de vous donner, quelques lignes qu’il écrit au sujet de ces trois rituels.

Après quelques minutes sur le ventre de sa mère, le bébé va être emmené pour être aspiré, pesé, mesuré puis habillé et posé dans un berceau. Dans la plupart des cas, ces soins ont lieu dans une autre pièce que la salle de naissance. Ils sont parfois immédiats, le bébé étant alors littéralement enlevé avant tout contact avec ses parents. S’il existe un délai, un temps de rencontre, il est presque toujours bref et ne dépasse qu’exceptionnellement une quinzaine de minutes. […]

Séparer les bébés de leurs parents, c’est aussi imposer dès les premiers moments, et pour tout le séjour, des limitations de fréquence et de durée des repas. […]

Dernier point dans ces pratiques de séparation : il est conseillé aux jeunes parents de laisser le plus possible leur bébé bien à plat dans son berceau, et ce dès les premières heures. Tout ce qui rappelle l’arrondi utérin : hamac, porte-bébé ventral, longue promenade dans les bras ou – réalité la plus interdite et la plus insurmontable dans les services – roulé en boule dans le lit de sa mère, serait néfaste.

Si les protocoles des maternités ne changent pas assez vite, il est pourtant largement établi qu’un nouveau-né est bien plus rassuré au creux de sa mère, dans une position fœtale, qu’allongé à plat dans un berceau en plastique dont on ne le sort que pour manger. Ou pour le changer et le laver. Et nous en venons à la deuxième catégorie de rituels :

Un bébé qui vient de naître est-il sale ? […] Un bébé dans son berceau a besoin d’être régulièrement nettoyé au niveau du siège, c’est vrai, mais pourquoi le baigner et l’astiquer de la tête aux pieds chaque jour ? Pour montrer aux mères comment faire ? Les premiers matins, si la pièce est normalement chauffée, le risque de refroidir les nouveau-nés est sérieux, et quelques-uns peuvent se retrouver en détresse hypoglycémique à cause de ce refroidissement. […]

Les gestes mêmes devraient être revus. Pourquoi continuer à savonner les bébés tout nus sur une table longuement, en insistant sur les parties planes (les plus propres !), et en les faisant systématiquement hurler à cause de la sensation de froid, alors qu’ils pourraient être savonnés tout doucement dans de l’eau tiède, en insistant sur les zones de plis, ce qui est plus judicieux ? Pourquoi aussi continuer à « bricoler les orifices » ? Cotons dans le nez, dans les oreilles, aussi inutiles les uns que les autres. Quant à la meilleure manière de les habiller, toutes les jeunes femmes ont joué à la poupée et se débrouilleraient très bien si elles n’avaient pas à le faire en public, dans des conditions parfaitement inconfortables pour elles, sous le regard de « spécialistes » du bon geste.

Les « cours » de « maman » donnés par des personnels qui laissent le temps au bébé de perdre deux degrés pendant la durée de ce qui aurait dû être un moment de partage et de plaisir m’horripilent. Qu’on aide les mamans peu sûres d’elles, désireuses de conseils, de ce regard de prof à élève, je veux bien. Mais qu’on fiche la paix aux autres. Cette infantilisation propre aux personnels médicaux de nombreux services hospitaliers est parfaitement insupportable.

Tout comme la paranoïa qui les habite et les pousse à aller contre l’instinct de ces femmes devenues mères sous leurs yeux :

La peur de voir un bébé ne pas vivre, la peur de le perdre dès la naissance, a probablement toujours rôdé au-dessus des berceaux. […] Les structures ont donc tenté […] de juguler ces effroyables risques [bien plus grands, à une époque, en maternité qu’à la maison] par toute une série de pratiques et de comportements qui reposaient sur des bases maintenant reconnues comme erronées, mais toujours actives. On peut les résumer de façon caricaturale sous trois titres : Toute naissance nécessite des gestes pour faire « démarrer » le bébé / les bébés pourraient mourir de froid / les bébés risquent de mourir de faim.

Et l’auteur nous démontre comment les pratiques hospitalières sont précisément celles qui font que les bébés ont froid, mangent mal (souvent trop… en particulier au biberon) et n’ont absolument pas besoin, dans l’écrasante majorité des naissances, de ces gestes qu’on leur impose pour les faire s’adapter à la vie aérienne. Nos maternités ne sont, pour la plupart, pas adaptées aux connaissances les plus récentes sur nos bébés, elles n’écoutent pas les bébés. Et, en plus, elles ne font pas confiance aux mères. Il y a donc encore beaucoup de travail…

Cécilie