Dans les sociétés lettrées et modernes, l’enfance est une condition relativement bien identifiée : c’est le temps des apprentissages encadrés. Parents, puériculteurs et enseignants appliquent des techniques de socialisation qui à la fois préservent l’enfant et le préparent à l’avenir adulte. C’est dans les espaces laissés libres par ce cadre que les observateurs identifient des productions propres aux enfants, soit parce qu’ils les inventent, soit parce qu’ils les utilisent uniquement entre eux : jeux de simulation et d’habileté, comptines, jeux de langage, dialectes confidentiels.

Pour ce vendredi intello, je suis allée lire l’article Les enfants ont-ils une culture ?, signé Nicolas Journet dans le magazine Sciences humaines numéro 219, octobre 2010. Il y est donc question de « culture enfantine », en tant que les enfants partagent des habitudes, des goûts, etc.

Il suffit d’observer un enfant dès son plus jeune âge pour le voir parler à ses jouets, faire parler ses jouets, créer un monde qui n’existe pas même s’il s’inspire toujours de ce qui existe. L’imagination commence là où nous n’intervenons pas, où nous ne stimulons pas, où nous laissons l’enfant construire lui-même quelque chose – et le détruire.

Les parents sont trop tentés d’interrompre, pour aider, pour apprendre à faire, pour… trop de mauvaises « bonnes raisons ». Alors que laisser l’enfant dans ce petit monde, d’où il sort quand il le faut, c’est aussi le laisser s’approprier sa « culture enfantine » en-dehors des influences de nos sur-stimulations.

Qu’en est-il des sociétés où l’école n’existe pas, non plus d’ailleurs que les industries du jeu et du loisir ? Dans les sociétés traditionnelles, l’enfance commence souvent par une courte période où les jeunes sont laissés libres de vaquer et reçoivent très peu d’instruction. Le temps vient rapidement où ils sont associés aux activités des adultes : les petites filles gardent les nouveau-nés ou font la cueillette, les garçons gardent les bêtes ou vont à la pêche. Quel espace y aurait-il pour une « culture enfantine » dans des milieux où le travail et l’imitation des adultes interviennent si précocement ?
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Le jeu est présent chez tous les enfants du monde, mais n’est pas toujours reconnu parce que les adultes n’y participent pas activement ou ne l’identifient pas comme tel. Jouer avec les animaux ou avec les objets de la maison ne signifie pas que les enfants sont en train d’apprendre leur rôle d’adulte.

Cela dit, que font nos enfants lorsqu’ils jouent à la dinette, aux poupées, aux jeux de construction, aux petites voitures, si ce n’est intégrer le monde dans lequel évoluent leurs parents ? Les enfants ont ce point commun de jouer aux adultes, mais à leur façon et sans réellement imiter, juste en s’intégrant, en testant. Là-bas, comme chez nous, les enfants créent – et détruisent – dans la période où ils le peuvent, la période où nous les y autorisons. Ils partagent cela avec nos enfants à nous, cette capacité à se mettre dans leur monde imaginaire et à l’animer sans notre intervention.

Tous les enfants du monde jouent, mais tous ne jouent pas aux mêmes jeux. La nature de l’enfant est de jouer, sa culture lui donne tel ou tel jeu. Mais sa culture, ce n’est pas celle des adultes, pas avant un certain âge. Sa culture, c’est celle qui lui vient en grande partie des autres enfants qu’il côtoie. D’où le terme « culture enfantine », pas héritée de la génération d’avant mais partagée avec la génération présente. Ici comme ailleurs, les enfants jouent et partagent leur culture, leurs goûts, leurs modes, entre eux.

Il y a un temps pour les préparer à l’avenir, un temps pour les laisser créer ce qui leur permet de nous exclure de leur monde : leurs dialectes, leurs références, leurs jeux. Et pour ça, pas besoin d’industrie du jeu, c’est inné.

Cécilie