Récemment, je discutai avec une femme qui fut longtemps mère au foyer. Elle m’a fait remarquer que c’est plus difficile pour celles d’aujourd’hui. Plus nombreuses à l’époque, les mères au foyer se retrouvaient régulièrement chez l’une ou l’autre, avec les enfants. En effet, j’ai beau apprécier cette vie, l’isolement me pèse parfois et j’ai envie de voir d’autres adultes.

L’autre difficulté est la non-reconnaissance sociale. Les personnes qui connaissent mon statut (je ne parle pas de mes amis) ne me posent aucune question. Je me sens comme niée. Surtout que j’en ai des choses à raconter, pas seulement à propos de mes enfants. J’aimerais bien comprendre pourquoi parler de ses enfants n’est pas un sujet convenable, ni intéressant. On a pourtant tant à apprendre d’eux.

Ces sentiments sont analysés dans une thèse trouvée au hasard de mes recherches sur le sujet (il faut dire qu’il n’y a pas grand-chose) : « Femmes au foyer : Expériences sociales » de Dominique Maison. L’auteur part de la notion d’ « inactivité » pour rendre compte de la vie de femme au foyer. Pourquoi « inactivité » ? Parce que c’est le terme employé par l’INSEE.

On définit conventionnellement les inactifs comme les personnes qui ne sont ni en emploi (BIT) ni au chômage : jeunes de moins de 15 ans, étudiants, retraités, hommes et femmes au foyer, personnes en incapacité de travailler,… (source INSEE)

Il y a de quoi s’insurger… Mais l’essentiel n’est pas là. L’auteur analyse tous les aspects de ce terme, son emploi, le rapport avec les femmes au foyer. Si cela vous intéresse, je vous laisse lire le chapitre concerné. Je préfère me consacrer à la thèse en elle-même (je n’ai pas encore tout lu, cela dit). Quelques chiffres pour commencer :

Ces « autres inactifs », qui ne sont donc ni étudiants ni (pré)retraités et qui ont entre 15 et 64 ans représentaient, en 2002, 4,6 millions de personnes, soit 12% de la population en âge de travailler. Cette catégorie est majoritairement composée de femmes au foyer. (…) Les femmes entrent pour 79% parmi ces « autre inactifs ».

2,5 millions de femmes âgées de 20 à 59 ans [déclarent] être au foyer.

Pour moi, ce n’est pas un chiffre négligeable. Ce n’est certes pas la catégorie de la population qui demande le plus d’attentions mais elle en mérite tout de même.

Maintenant, je voudrais m’attarder sur l’explication des sentiments dont je parlais au début :

L’accomplissement des tâches en lien avec la famille et l’univers domestique ne constitue plus, dans notre société, un support suffisant de statut social. En ne se « réalisant » pas sur le marché du travail, les femmes au foyer prennent le risque d’une forte disqualification, tant personnelle que sociale.

Certains (certaines ?) vont même jusqu’à penser que ces femmes vont à l’encontre des acquis du féminisme (en particulier à cause de la dépendance financière). Or, je voudrais leur répondre : c’est bien que les femmes aient le choix de travailler, c’est bien aussi qu’elles aient le choix de s’occuper à plein temps de leurs enfants (je prends donc le cas des « mères au foyer » puisque c’est le sujet qui m’intéresse aujourd’hui).

Ce que j’aime dans cette thèse, c’est qu’il n’y a aucun jugement de valeur. L’auteur cherche à comprendre les raisons qui poussent une femme à rester au foyer. et leurs réactions face aux jugements. Selon la thèse, les ex-actives sont les moins comprises.

La plupart des femmes interrogées pour l’étude revendiquent un salaire maternel :

L’instauration d’un salaire maternel permettrait, selon elles, de répondre à plusieurs besoins : valoriser la situation de « mère au foyer », alléger la dépendance financière à l’égard du conjoint, octroyer un revenu sur lequel poinctionner un pourcentage leur permettant de bénéficier d’une retraite autonome plus conséquente. En outre, l’existence d’un salaire maternel permettrait de lever certaines inepsies propres au système actuel. La plus massive est indubitablement liée à la prise en charge des enfants : celle-ci est gratuite si ce sont les siens, et rémunérée si les familles recourent à une tierce personne.

L’expression « salaire maternel » ne me plaît guère mais l’idée d’une aide financière plus conséquente est intéressante. On devrait avoir le choix de rester à la maison, à partir du moment où l’on ne « profite » pas du travail des autres.

Une grande partie est consacrée aux relations conjugales, je ne souhaite pas en parler maintenant (ce sera l’objet d’un autre billet) mais je la signale parce que c’est un point important. L’auteur cherche notamment à savoir si l’inactivité ne serait pas un frein à l’expression du mécontentement (à cause de la dépendance financière). Bien sûr, ce n’est pas si simple.

Je vous livre une partie de la conclusion :

(…) 40% d’entre elles ne trouvent que des avantages à leur situation. Pour les 60% restantes, (…), deux inconvénients liés à la condition de femme au foyer : le manque de relations sociales et la dépendance financière.

Il est difficile de déterminer si ces inconvénients incitent pour autant à prendre une activité professionnelle, un tel projet ne dépendant qu’en partie de l’évaluation subjective de l’inactivité. L’analyse des entretiens montre qu’il faut adjoindre d’autres facteurs : la conscience de la perte en capital humain, l’anticipation des chances de retrouver un emploi dans des conditions jugées acceptables (…) et, surtout, la nature des interactions conjugales dont le délitement constitue un des meilleurs stimulantes à la reprise d’activité.

Pour le premier inconvénient, il ne me semble pas obligatoire de (re)travailler, il faut trouver des activités à l’extérieur de la maison. Malheureusement, la dépendance financière peut empêcher certaines activités. Personnellement, j’en ai trouvé quelques unes qui me permettent d’interagir socialement :

– le square. C’est à double tranchant, cela dit. Parfois, je me sens encore plus seule en regardant les groupes déjà formés ;

– les salons, ateliers, expositions, cafés/boutiques, etc ;

– les passants qui s’arrêtent pour (liste non exhaustive) demander à la minuscule où est le bébé, me dire que mes enfants sont beaux ou encore dire leur amour des enfants. (Je plaisante, mais un peu seulement parce que mine de rien, ça fait plaisir de discuter).

Il est évident qu’il faut aussi sortir sans les enfants et faire des choses pour soi. Pour ma part, mon blog m’aide beaucoup à ce niveau-là aussi : c’est mon espace de création (toutes proportions gardées) me permet de rencontrer, virtuellement ou non de nombreuses personnes.

Cette thèse me semble vraiment utile pour donner une place aux femmes au foyer et montrer qu’elles ne sont pas inactives.

A quand une thèse sur les « hommes/pères au foyer » ?

Clem la matriochka