Comme chaque fois – mais celle-ci était la pire je pense (peut-être parce que j’ai maintenant moi-même un enfant et une théorie éducative qui s’affirme) – à la fin de la soirée, j’étais un peu éprouvée par tout ça. Je ne pouvais me départir de ce sentiment d’impuissance, de tristesse et de gâchis.

D’incompréhension aussi. Ces voisins/amis, je les connais depuis près de 2 ans maintenant, je les apprécie. Je les considère comme de bons parents. Ce sont des personnes agréables et équilibrées, qui font de leur mieux comme la plupart des parents et qui souhaitent le meilleur pour leurs enfants. Des parents capables de passer un long moment à caresser le dos de leur fille pour l’endormir tout autant que de la laisser crier s’ils ont décidé qu’ils avaient atteint leurs limites.  Mais cette fois, je les ai senti complètement dépassés ! Ou alors j’y ai fait davantage attention que les fois précédentes, comme je disais plus haut. Je ne sais pas comment tout cela a débuté mais je les ai toujours connus perturbés par le comportement de leur ainée, qui est une petite fille très très vive, active, s’exprimant beaucoup et sur tout, en quête d’échange, qui dit aussi beaucoup de mensonges d’après eux [un autre sujet à traiter pour les VI, ça !], ne sait pas s’arrêter, ne veut souvent pas comprendre ou respecter les limites que ses parents essaient de lui poser, etc.

Je crois aussi qu’ils ont du mal à lâcher prise sur certaines choses : ils vont donc s’accrocher, râler contre l’enfant, répéter, répéter, menacer, aller jusqu’à la punition pour des combats qui ne méritent selon moi pas toujours d’être menés (oui, je crois qu’il faut apprendre à s’économiser). Passer la soirée à houspiller la gamine pour qu’elle se tienne bien à table, finisse son gâteau ou le mange d’une traite et non en chipotant, dans la mesure où la petite n’a pas non plus un comportement totalement inadapté (c’est juste une enfant qui s’ennuie), mieux vaut chercher à l’occuper ou lui consacrer 5 minutes d’attention pleine et entière afin qu’elle passe ensuite à autre chose, s’occupe seule.

Et puis il y a ces menaces qui me font froid dans le dos « Si tu continues, tu vas te prendre un coup de pied au cul, je te promets que tu vas voler ! ». Je ne les avais jamais entendu proférer une menace aussi violente, tant dans la parole que dans l’image que l’on imagine de la sanction. Non seulement je ne cautionne pas la violence envers les enfants mais en plus, j’ai tendance à classer les formes de violence sur une échelle. Je sais que le plus répréhensible dans la violence faite à l’enfant, c’est l’humiliation inutile et le sentiment que dans la vie, c’est la loi du plus fort (le parent dans ce cas) qui s’applique. Mais tout de même, je différencie (peut-être à tort), les tapes sur la main que me donnaient parfois mes parents étant petite et les coups de pied « au cul » qui sont extrêmement violents et douloureux physiquement pour l’enfant et expriment d’autant plus fort que c’est la seule frustration de l’adulte que l’on cherche à soulager. Aïe !!!

Est-ce que lui faire redouter la sanction physique « ah non, pas la fessée, pas la fessée !!! », disait-elle en voyant son père en colère s’approcher, lui enseigne véritablement une conduite à suivre en société ?

« Ils ne sont pas de la même génération ! » me dit Papa Sioux le lendemain quand je reparle de la soirée et du goût mitigé qu’elle m’a laissée (et à lui aussi). On a déjà parlé de cette histoire de génération dans les VI, pour la place du père par exemple. On sait qu’elle n’explique pas tout. Il faut aussi aller chercher du coté de l’histoire familiale, des modèles, de … Je ne sais pas de quoi en fait !! Qu’est-ce qui fait qu’un jeune parent n’ayant pas DU TOUT été élevé dans un contexte d’éducation non violente et de communication épanouie (voire ayant carrément connu l’inverse, la maltraitance, les sévices…) va avoir l’idée puis la volonté d’aller dans cette direction ??

C’est une première grande question que je me pose. Pour les enfants ayant connu le pire, il y a la résilience qui permet de se reconstruire et de ne pas totalement reproduire ce dont on a été victime. Mais pour les enfants comme moi par exemple, qui ont connu une enfance plutôt heureuse (en tous cas en me sentant aimée par mes parents) mais une autorité parfois dictée par la crainte, quelques tapes sur la main, quelques fessées ? Est-ce que je me contente de suivre un courant de mode ? Si je n’avais pas lu les ouvrages qui sont publiés aujourd’hui, serais-je allée dans la même direction et aurais-je continuer à penser qu’après tout, « une fessée de temps en temps, dans des situations insupportables, ça fait du bien à tout le monde » ? Comment mes parents auraient-ils agi s’ils avaient été parents en 2010 ?

Ceci est le premier volet de questionnements que m’a inspirée cette soirée amicale. Le second est celui des rôles types dans lesquels nous enfermons parfois les enfants, sans le vouloir vraiment.

Est-ce que ce n’est pas l’enfermer dans des cadres comportementaux que de dire sans cesse de cette même petite fille que « le problème avec elle, c’est qu’il ne faut rien laisser passer ». Ne va-t-elle pas se sentir obligée, à force, d’agir en conséquence, d’être cette petite fille tantôt insolente, tantôt en quête d’attention ? Est-ce que lui répéter d’arrêter sa « comédie », dire devant elle qu’elle est « difficile » [un autre sujet ça mais je ne pense qu’il soit judicieux de parler du comportement des enfants devant eux, quand on le fait avec d’autres adultes – c’est les mettre dans une situation de voyeur ou d’ « entendeur » de choses qui ne leur sont pas destinées, à mon avis] ne constitue pas, en plus, la négation récurrente des besoins qu’elle essaie d’exprimer ? [En tous cas, j’ai réussi à refourguer « J’ai tout essayé » de Filliozat à mon amie, j’espère qu’elle y trouvera des pistes.]

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Hier soir, je cherchais dans le très enrichissant livre de Faber et Mazlich que je découvre actuellement, « Parents épanouis, enfants épanouis », un extrait qui aurait pu illustrer mon propos sur l’ENV, quand je suis tombée sur un passage qui m’a alors paru évident. Cela concerne les rôles ou comportements enfermant que l’on peut prêter à nos enfants (difficile de choisir un passage car tout le chapitre est passionnant mais… j’y tout de même parvenue, pour vous !!) :

 

 

Où commence l’histoire de cet enfant qui joue un rôle ? A quel moment dans sa vie devient-il le tyran, le pleurnicheur, le rêveur, l’érudit, le commandant, l’enfant problème ?

[…] De toute évidence, plusieurs facteurs échappent à notre contrôle, mais ils ont le pouvoir d’affecter un enfant. Mais de quelle façon les parents peuvent-ils modeler l’image de soi d’un enfant, pour le meilleur ou pour le pire ? […] Une femme a raconté qu’elle avait vu des parents, avec la meilleure intention au monde, nuire à l’estime personnelle d’un enfant en faisant des blagues. Elle a dit que son propre père avait l’habitude de la taquiner affectueusement. Il l’appelait Fainéante ou mademoiselle Pleine-de-pouces ou encore Grande-bouche. Il le fait toujours seulement par taquinerie, mais pour elle, ce n’était jamais amusant. Encore maintenant, devenue adulte, elle a dit qu’elle n’arrive pas à se défaire de ces mots. Il y a toujours des moments où elle s’estime paresseuse, maladroite ou tapageuse.

[…]

Une autre mère eut cette réflexion. « Je me demande si des parents peuvent pousser l’enfant à jouer en rôle en particulier, même s’ils ne s’en rendent pas vraiment compte. Je pense à deux de mes amies. L’une d’entre elles se plaint sans arrêt que son fils fasse tant de mauvais coups à l’école et qu’il passe la moitié de ses journées au bureau du directeur. Et pourtant, elle le prénomme affectueusement : Mon fils, la terreur du PS 47.

Mon autre amie déplore toujours le fait que sa fille est trop conscience, trop perfectionniste. Il paraît que cette enfant fait une crise de nerfs si les choses qu’elle entreprend ne tournent pas aussi bien que prévu. Mis j’ai noté que sa mère dira avec fierté, directement en sa présence : « Oh ! Jennifer n’est jamais satisfaite. Tout ce qu’elle fait doit être parfait ». »

Ginott a encore donné son assentiment. « Vous avez raison de redouter ce type de remarque. Dans les deux cas, les enfants entendent probablement le message sous-jacent des parents : « Ignore mes protestations. Continue d’être une petite terreur. Continue d’être perfectionniste. C’est ce que maman veut au fond ». Quand un enfant semble jouer un rôle en particulier, il y a lieu pour la mère ou le père de se demander : « Quel est le message que j’exprime vraiment ? ».

Moi-même, ce chapitre m’a interpellée. Je me dis que je devrais prendre garde à ne pas enfermer mon fils dans un rôle d’enfant énergique et exigeant voire impatient. Il réagit comme il réagit, il s’agit d’un instant T, peut-être même d’une période de plusieurs mois mais il est important que je ne le réduise pas à ça, que je lui laisse le droit de changer si cela doit arriver. D’autant plus que je m’étonne chaque jour à quel point il comprend tout ce que nous disons : il n’est donc jamais trop tôt pour surveiller nos paroles, nos a priori, nos « jugements ».

Maman Sioux