L’enfant, on le sait, est très souvent centré sur lui-même. Ce n’est pas qu’il est égocentrique, c’est juste qu’il ne peut vivre le monde autrement. Mais on oublie parfois que le petit enfant est un être pensant, aussi bête que cela puisse paraître. Réfléchissez bien et regardez autour de vous : on a tellement à l’idée que l’enfant est action, que cela induit l’absence de réflexion, du moins consciente. Mais n’est-ce pas là le cœur de l’apprentissage : jouer, agir ? Et c’est par les « jeux » et autres interactions avec ses parents notamment que l’enfant apprend. Mais comment l’enfant apprend à connaître de l’autre ? A quel âge ? Et comment s’en sert-il ? Et bien par l’esprit !

C’est que nous allons voir avec Alison Gopnik, professeur de psychologie cognitive et professeur de philosophie, dans le très excellent Bébé philosophe où elle nous parle – roulement de tambour – de la construction des représentations causales des rapports entre les humains chez l’enfant. Dit comme ça, ça vous en fait une belle, de jambe, et peut-être un mal, de tête. Traduction (du moins ce que j’en ai compris) : ils apprennent à comprendre l’influence des êtres humains les uns sur les autres grâce au rapport de causalité, c’est-à-dire qu’une chose – une action, un mot – en cause une autre – une réaction, un comportement. Ils établissent ce que l’on appelle une carte causale entre les états mentaux entre eux mais aussi en rapport avec le monde.

Par la suite, grâce à ces cartes causales, ils apprennent à changer « ce qui se passe dans la tête des autres« . Comment diable un enfant peut-il changer ce qui se passe dans la tête des autres ? En tant que maman, si vous y réfléchissez, vous saurez exactement ce que Gopnik veut dire. Voici un exemple parlant qu’elle donne dans son livre :

Si je sais qu’Anne a une passion pour les brocolis[quelle idée, vraiment ^_^], je sais aussi que je peux obtenir qu’elle fasse ceci ou cela en lui promettant des brocolis, que je peux la taquiner en l’empêchant de prendre les brocolis ou que je peux faire en sorte qu’elle m’aime bien en lui apportant un grand plat rempli de brocolis fumant.

Machiavélique ? Non, car la construction des représentations causales permet à l’enfant d’interagir avec l’autre. Ce savoir, outre de faire tourner les parents chèvre à l’aube de leurs 4-5e années, permet de comprendre l’autre, d’avoir de la compassion, de développer ce qui constitue le cœur de l’humain finalement. Comprendre ce qui se passe dans la tête de l’autre connaît d’ailleurs sa plus belle expression dans l’exercice du mensonge (ce qu’un enfant n’est pas capable d’utiliser de manière subtile avant 5 ans).

Et finalement de se comprendre lui-même et de développer ce que Gopnik nomme « le contrôle exécutif », « à savoir la capacité à contrôler ses propres actions, pensées et sentiments« . Cette aptitude n’interviendrait qu’entre 3 et 5 ans. Ce qui veut dire qu’avant, l’enfant n’a pas de prise à proprement parler sur ses actions – quand il jette quelque chose par terre il ne peut s’en empêcher seul en l’absence de l’adulte – ou la possibilité de « gérer » ses émotions. Cela fait réfléchir encore une fois quant à la manière de considérer le tout-petit : l’enfant n’est pas un petit adulte, mais bien un individu qui fonctionne autrement.

Ces représentations causales sont donc essentielles à la construction de l’enfant dans son rapport à l’autre.

Elles sont également au cœur de l’imagination et des jeux. Grâce à elles, ils parviennent à prédire ce qui va se passer, notamment dans une histoire (ou dans les contes, qui n’ont de merveilleux que le nom… moi je dirais plutôt terrifiants) : le loup est méchant (c’est bien connu), s’il est méchant cela veut dire qu’il peut causer du tort au petit mouton, voire qu’il pourrait le manger, puisque l’enfant sait qu’il ne mange pas que de l’herbe, le glouton.

Et c’est une fonction essentielle qui rejoint la compréhension de l’autre. Preuve en est l’absence de ces cartes chez les enfants que l’on considère comme autiste qui entraîne chez eux une incapacité à jouer à faire semblant mais aussi à interagir avec l’autre, à imaginer l’autre .

Il existe une relation étroite entre la capacité à comprendre la diversité des esprits humains et l’aptitude à inventer un éventail d’esprits imaginaires, entre le savoir causale et la pensée contrefactuelle. Les enfants qui disposent de cartes causales élaborées de l’esprit des autres produisent des personnes contrefactuelles imaginaires élaborées, et vice versa. Les enfants autistes, n’ayant pas ces cartes, n’arrivent pas non plus à imaginer les autres. Savoir quelque chose du fonctionnement d’autrui et pouvoir l’imaginer semblent aller de pair.

Chrystelle – Kiki the mum