choisissez tout

Une bouffée d’oxygène et un véritable regonflage à bloc! Voilà ce qu’a représenté pour moi la lecture du livre de Nathalie Loiseau, directrice de l’ENA, intitulé de manière un peu provocatrice dans notre société où nous sommes souvent sommés d’avoir une étiquette:  Choisissez tout. Un ouvrage très riche qui veut « donner envie à toutes les femmes d’oser, de rêver et de changer le monde » et qui les encourage ainsi que les hommes, à repenser leur relation avec le travail et leur famille.

Nathalie Loiseau, 50 ans, a en effet toujours réussi à concilier sa vie professionnelle très prenante de diplomate et sa vie de mère de famille puisqu’elle a également quatre enfants, dont des jumeaux. Alors certes, comme elle le dit elle-même, elle a une position très privilégiée de cadre dans la fonction publique et surtout, elle a la chance d’avoir la même nounou depuis 16 ans. Cependant, les problématiques qu’elle soulève sont très intéressantes et applicables à ce que nombre de mères qui travaillent, vivent au quotidien.

J’ai beaucoup aimé toute la première partie de son livre où elle raconte son enfance et son éducation dans les années 1970. C’était une excellence élève, mais comme c’était une fille, finalement on s’intéressait peu à elle, ses parents, ses professeurs avaient peu d’attentes envers elle. Toute cette partie est vraiment intéressante car elle montre comment, même encore aujourd’hui, l’ambition ne vient pas naturellement à la plupart des filles et comment le système scolaire ne leur parle pas assez d’avenir. Elles sont souvent bonnes élèves, mais à quoi cela leur sert-il? « A pas grand-chose » répond de manière lapidaire Nathalie Loiseau. Comme elle le fait remarquer, et ce n’est qu’un cas parmi d’autres, « les filles caracolent au lycée et puis plouf : à peine un tiers d’élèves de l’ENA sont des femmes ». Comme s’il existait une sorte « d’autocensure, de peur de ne pas être au niveau » des filles pour se lancer dans des concours. Il y a donc là une réflexion à mener dès l’école pour pousser nos filles, à ne pas être que bonnes élèves, mais à comprendre aussi que les études sont « un moyen et non une fin en soi » pour obtenir un travail qui plaît. En lisant ces pages, je mesure encore une fois la chance que j’ai eue d’avoir des parents qui m’ont toujours poussée, me laissant inscrire sur les fiches en début d’année scolaire, dès 8 ans, que je voulais être « ambassadrice ». Cela me fait sourire aujourd’hui mais au moins je n’étais pas bridée dans mes ambitions, après ce fut à moi de me donner les moyens de les réaliser, ou pas.

Et selon Nathalie Loiseau, on retrouve cette sorte d’autocensure ensuite dans la vie professionnelle des femmes, qui sont frappées du syndrome de la « Belle au bois dormant« . Qui pensent que leur excellent travail va parler pour elles et n’osent pas demander une promotion. Ou bien qui estiment ne pas être à la hauteur d’un poste, alors qu’un homme n’hésitera pas à postuler, même s’il n’a pas toutes les compétences pour. J’ai lu, très récemment, dans un excellent édito de Florence Haxel du site Mes bonnes copines une anecdote qui ne dit pas autre chose : « Je me suis souvenue du responsable RH d’un grand groupe qui racontait que lorsqu’il mettait en ligne une annonce avec l’intitulé « Recherche directeur/directrice d’usine », il ne recevait que des CV masculins. Lorsqu’il changeait l’intitulé en « Recherche responsable d’usine », il recevait la moitié de CV provenant de femmes. Les femmes ont besoin d’avoir la sensation qu’elles maîtrisent 100% des compétences avant de se lancer, un homme osera se positionner même s’il a la sensation de ne maîtriser que 70% du sujet ». Nathalie Loiseau, elle-même, n’a pas échappé à ce syndrome lorsqu’en 1993, elle a coaché certains de ses collègues pour qu’ils entrent au cabinet de Juppé, n’ayant pas songé une minute que l’on puisse penser à elle pour ce poste. Heureusement, son mentor a agi pour elle et lui a fait accepté ce poste.

Son livre est très riche, il y a de nombreux sujets dont je pourrais vous parler, comme ses réflexions sur le système scolaire français, sur la souffrance et la condition des femmes dans le monde. Mais aussi, des sujets que je ne partage pas, comme sa vision très asservissante de l’allaitement ou bien le fait qu’elle affirme qu’être souvent absente de la maison lui a permis de renforcer ses liens avec ses enfants plus que si elle était « celle dont on appréhende la présence permanente, aimante mais parfois étouffante« . Ce qui ne me convainc guère….

Mais je vous invite à lire cet ouvrage passionnant pour les découvrir, préférant consacrer la fin de cette chronique sur la manière dont la conciliation entre vie professionnelle et familiale y est abordée. J’aime en particulier le chapitre intitulé « Elle n’y arrivera jamais« . Parce que, à l’époque, elle venait d’avoir 3 enfants rapprochés, on lui prédisait qu’elle ne retravaillerait plus. Combien de fois l’ai -je entendu depuis la naissance de mon troisième enfant? Comme si cela était impensable d’avoir plusieurs enfants et une activité professionnelle épanouissante. Alors oui, elle veut « tout », « have it all »,  de la même manière que, comme elle le fait remarquer, « beaucoup d’hommes ont ce « tout » sans qu’on les culpabilise« .  Mais bon, la réalité est là, alors comment fait-on quand on a un job prenant et des enfants à la maison pour tout concilier?

La solution pour Nathalie Loiseau repose sur deux points importants. Tout d’abord, vision que je partage totalement, il faudrait faire évoluer l’organisation du travail aussi bien pour les hommes que pour les femmes: en finir avec la réunionnite qui nuit à l’efficacité, en finir avec le présentéïsme qui fait qu’il faut être vu au bureau après 20 heures pour être crédible, développer le télé-travail, profiter de ce que nous apporte les nouvelles technologies, etc. Dans cette évolution de l’organisation du travail, elle n’oppose pas les hommes aux femmes, bien au contraire, ce que j’ai beaucoup apprécié, car ce sont des évolutions pour tous, pour le bénéfice de tous. Et en cela, elle rappelle que la conciliation vie pro/vie perso ne doit pas reposer uniquement sur les mères mais sur bien sur l’ensemble des actifs. Elle raconte comment elle a appris, au fil des années, à chasser ses collaborateurs le soir pour les faire rentrer chez eux afin de s’occuper de leur famille bien sûr mais aussi parce que, ainsi, ils sortent de « l’entre soi et la pensée toute faite de leur monde professionnel » … et rapportent des idées neuves. Pour le bénéfice de tous donc.

Dans cette évolution du monde du travail, j’irai même un tout petit peu plus loin qu’elle, en parlant également de flexibilité dans le temps du travail: avoir tout mais pas forcément tout en même temps. Pourquoi ne pas faire accepter par la société qu’un collaborateur ou une collaboratrice puisse prendre quelques mois, par exemple, pour un enfant qui en a besoin à un instant T, et pas seulement comme nourrisson, sans que cela soit un frein insurmontable à sa carrière? Notre vie d’actif est longue et le sera de plus en plus, alors il est peut être temps de ne plus envisager celle-ci que de manière linéaire…

Mais le véritable secret pour une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale tient, selon elle, en une injonction: « cessons de vouloir être des employées modèles, des épouses modèles et des mères modèles (…) personne d’autre que nous ne nous demande d’être parfaite. Nos enfants ont besoin que nous soyons aimantes et épanouies ». La recherche de la perfection, ennemie donc de la conciliation entre vie pro et vie perso…

Pour conclure, en ces temps endeuillés, où l’on sent qu’il y a beaucoup à repenser, à reconstruire, je citerai les dernières lignes de « Choisissez tout » : « Dans ce grand appel d’air, les femmes n’ont vocation à ne prendre la place de personne, mais à faire entendre leur voix et à trouver leur place. Enfin. »

Cécile, du blog La Turbulette

Choisissez tout de Nathalie Loiseau, Editions JC Lattes