J’aimerais rappeler une idée évoquée dans ma première contribution pour ensuite réfléchir sur ce qui me semble être un conditionnement important, à l’œuvre dès l’enfance, quant au rôle des femmes.
Gérald Brassine, dans Prévenir, détecter et gérer les abus sexuels subis par les enfants, conseille de décrire l’abuseur comme un « malade à aider ». Si j’ai aimé l’ouvrage dans son ensemble, cette idée me pose problème.
Tout d’abord, je trouve qu’il ne développe pas : « à aider » par qui ? et comment explique-t-on cette idée à un enfant ?
Ensuite, l’idée de maladie déresponsabilise l’abuseur. Je suis prête à considérer le désir pédophile comme pathologique, le fait de passer à l’acte par contre est de l’ordre de l’éthique. Si un adulte (homme ou femme) se sent excité en regardant un enfant, je comprends qu’il se sente désarçonné et décide de suivre une thérapie. Si il ou elle choisit de passer à l’acte, c’est autre chose. Il met alors en œuvre une stratégie pour être seul avec l’enfant, se livre à un chantage, à une manipulation, bref il calcule pour qu’on ne le sache pas – autrement dit, il sait que c’est un acte répréhensible. J’ai récemment trouvé un écho à cette distinction (désir/acte) en découvrant que des pédophiles pouvaient choisir l’abstinence, conscients que mettre en œuvre leur désir serait un abus et qu’ils ne veulent pas abuser d’un enfant.
Enfin et surtout, dire simplement à l’enfant que l’abuseur est un « malade à aider » alimente un conditionnement déjà très présent : je suis tentée de l’appeler le syndrome de la Belle et la Bête et c’est ce que j’aimerais développer ici.
Je suppose que ce phénomène est déjà décrit en psychologie, je ne prétends pas avoir inventé l’eau tiède… Au fond, c’est assez proche du syndrome de Stockholm, peut-être en est-ce un cas particulier.
Google m’apprend aussi que d’autres que moi y ont pensé :
Il y a aussi ce que j’appelle le Syndrome de la Belle et la Bête, où une femme, consciente d’être avec un homme agressif, croit qu’à force d’amour, elle pourra le transformer en prince charmant.
L’année écoulée a été très dense pour moi… J’ai tenté de vivre avec un homme, puis je me suis rendu compte qu’il ne me respectait pas des masses et qu’il me manipulait – avec le recul et une bonne psy, j’ai pu aussi réaliser qu’il y avait de la violence sexuelle. Je l’ai quitté relativement vite et s’en sont suivis des rebondissements pas très drôles (harcèlement, menaces, agression).
Entre le moment où je prenais conscience de ce manque de respect et de cette manipulation, et le moment où je me suis résolue à le quitter, je suis passée quelques temps par cette étape : croire que l’amour pouvait tout sauver. Et pourtant, honnêtement, je suis loin d’être fleur bleue.
J’ai eu beaucoup de chance : tout a été très vite… J’ai commencé à voir que quelque chose clochait après un mois de vie commune. Ensuite, 2 mois et 3 semaines se sont écoulés avant la rupture. Mais j’ai été très troublée de réaliser que j’étais passée par cette étrange conviction : avec l’amour, je ferai de la Bête un Prince Charmant.
J’avoue : j’aimais bien La Belle et la Bête de Disney. En particulier parce que La Belle rejette l’arrogant Gaston et lit… ça change (c’est un progrès par rapport à Cendrillon et Blanche Neige qui faisaient le ménage !). Depuis que j’ai identifié ce comportement – et je suis loin d’être la seule à le mettre en œuvre –, j’ai un regard plus critique sur ce dessin animé. Le personnage de la Bête est vraiment agressif lorsque La Belle « emménage » dans son château, c’est-à-dire devient sa prisonnière (sympa pour démarrer une histoire d’amour!). La Belle est douce et patiente, alors la Bête devient plus sympa, jusqu’à se transformer un prince, grâce à l’amour.
Dans la vie, c’est différent. Les femmes maltraitées se montrent douces et patientes, le conjoint agressif… reste agressif.
En fait, je ne doute pas qu’une transformation soit possible. Par contre, cela ne peut venir que de l’agresseur, avec éventuellement l’aide de professionnel-le-s. La victime n’a pas à porter la responsabilité de cette transformation – et je pense même qu’elle n’en a pas la capacité. Voilà pourquoi cela me pose problème de décrire un abuseur (que ses victimes soient enfants ou adultes) comme un « malade à aider ». Il n’incombe pas à la victime d’aider son bourreau. La victime a le droit de tout faire pour se protéger, que ce soit en partant, en appelant à l’aide ou en se défendant. Si la victime est un enfant, comme dit dans ma contribution sur l’ouvrage de Brassine, il convient de lui faire comprendre qu’il trouvera toute la protection nécessaire auprès des adultes de confiance.
Je réalise que ce conditionnement est très présent. J’en ai eu encore un exemple flagrant en regardant le documentaire La domination masculine.
Une femme battue témoigne : elle pensait pouvoir « changer » son conjoint, « faire évoluer les choses », qu’elle était « forte ». A un autre moment du reportage, un homme violent repenti témoigne également : ce n’est pas son ex-compagne qui l’a transformé. Il a suivi une thérapie, il a regardé en lui :
A force d’introspection, j’ai vu une multitude d’actes de violence que moi j’avais commis.
Ça lui a fait un choc de prendre conscience de cette violence, il est désormais « vigilant » pour que ça ne se reproduise pas. Il dit aussi qu’il « avait besoin d’être éduqué ». Je le comprends de cette manière : il manquait de repères pour identifier certains comportements comme violents. Parce que ça commençait petitement : vouloir absolument convaincre sa compagne qu’il avait raison, puis il en vient à l’empoigner, la pousser… Autrement dit, cela témoigne aussi de l’importance de pointer toute violence comme telle, même des « petites » violences.
Pour en revenir à La Belle et la Bête, j’ai également en tête d’autres exemples plus proches : des amies qui pensent qu’il est « vertueux » d’être « patientes », des femmes qui restent parce qu’elles se sont engagées, un homme que j’ai quitté il y a quelques années, peu respectueux également, et qui me reprochait mon manque de « patience »… Je ne suis pas en train de dire que la violence n’est que le fait d’hommes envers des femmes. Les hommes n’ont pas le monopole de la violence, ni les femmes celui du statut de victime. C’est plutôt que les messages diffusés via La Belle et la Bête, et d’autres films, romans, etc., ou encore via certains discours « moraux » (je pense à certains discours religieux) sont eux genrés : c’est bien aux femmes qu’on dit d’être « patientes », douces, aimantes même si leur conjoint est violent (psychologiquement, physiquement ou sexuellement). On dira de ces hommes qu’ils sont maladroits, qu’ils ne savent pas exprimer leur amour, mais qu’ils aiment quand même et qu’on doit donc « rester », tolérer, accepter…
Dans le livre Non c’est non *, Irene Zeilinger pointe plusieurs conditionnements qui empêchent les femmes d’être convaincues de leurs limites, de leur refus, déjà intérieurement !
L’autodéfense mentale commence quand une femme pense « non ».
L’un de ces conditionnements rejoint précisément ce « syndrome de la Belle et la Bête » :
Les femmes ont trop d’espoir
L’espoir peut nous nourrir, nous tenir intactes mentalement et émotionnellement dans des situations très dures, et c’est tant mieux. Mais l’espoir que tout s’améliorera prodigieusement, et qu’après la pluie, il y aura toujours le beau temps, nous déresponsabilise de notre vie. Il est assez séduisant de penser que si l’on tient le coup, si l’on renonce à des choses, si l’on ne pose pas ses limites pour l’instant, si, en un mot, on fait le gros dos en attendant que ça passe, il y aura une récompense miraculeuse, et que la situation va « se » résoudre toute seule, que l’autre va finalement comprendre combien il nous fait du mal et changer. Seul un tel espoir permet de tolérer l’inadmissible. Il nous susurre à l’oreille que les choses ne vont pas si mal, que ça pourrait être pire et que tout peut s’arranger. Il nous fait éviter les conflits et nous mène ainsi à notre perte. En attendant que le miracle se produise, nous allons de plus en plus mal car nos limites sont bel et bien transgressées, quotidiennement, et nous sommes blessées dans notre intégrité. En réalité, nous nous sommes juste occupées de survivre, pas de vivre. Écoutez votre ressenti, consultez vos limites : elles ne vous parlent pas d’un avenir idéal, elles exigent d’être posées ici et maintenant.
Même si ce n’est pas flagrant dans cet extrait, Irene Zeilinger pointe souvent le rôle de l’éducation, de la socialisation et des attentes envers les femmes.
Je pense qu’il faut un contre-message, qui prenne le contrepied des Disney et autres « jolies » histoires. Il faut donner comme repère clair qu’une relation qui n’est pas respectueuse a peu de chances de le devenir et qu’il n’est, en aucun cas, de la responsabilité de la victime de transformer son agresseur (quelle que soit l’échelle de cette agression).
Un homme agressif et/ou abuseur est probablement « malade » en tant qu’il a sans doute des blessures, des frustrations, des manques, etc. (nous sommes dans ce sens, à peu près tous, un peu « malades », mais nous ne faisons pas preuve de violence pour autant). Quels que soient le passé et les blessures de l’agresseur, ce n’est pas à la victime de le soigner. La priorité, pour la victime, c’est de se protéger.
Il faut prendre conscience des valeurs nous voulons affirmer et dans quel ordre de priorité : la douceur et la gentillesse passent clairement après le droit d’être respecté-e.
Irene Zeilinger me donne une piste pour formuler ces valeurs en énumérant (et développant) des droits que nous avons :
Nous avons le droit de nous défendre. (…)
J’ai le droit de me donner la priorité à moi-même et à mes besoins, indépendamment des attentes des autres et des différents rôles que je joue dans la vie. (…)
J’ai toujours le droit de signaler une tension et de refuser qu’on empiète sur mes limites. (…)
J’ai le droit de refuser de porter la responsabilité des problèmes des autres. (…)
J’ai le droit d’avoir confiance en moi et d’essayer de tout faire pour maintenir mon intégrité. (…)
Dans ma vie, j’ai toujours le droit d’avoir des alternatives. (…)
* En cours de lecture… Ce livre est un « manuel » d’autodéfense adressé aux femmes, à plusieurs niveaux (mental, émotionnel, physique) et dans différents contextes. J’y reviendrai très certainement dans une prochaine contribution.
Dame Andine cogite
Je dirais que la victime peut aider son agresseur en le dénonçant… c’est le grand pouvoir qu’elles ont et dont peu font hélas usage. Il me paraitrait aussi plus profitable si on parllait de l’abuseur comme d’un malade (qu’il est) dont il faut se protéger avant tout.
Merci pour ta réaction ! Si tu parles de porter plainte, je ne suis pas très d’accord d’un point de vue pragmatique : globalement, les plaintes aboutissent rarement à une condamnation, elles sont éprouvantes pour les victimes et peuvent même se retourner contre elles (l’agresseur porte plainte pour diffamation). Ce n’est donc pas efficace. De plus, de nombreuses violences sont impossibles à prouver (viol conjugal par manipulation, violence psychologique, etc.).
[A titre d’exemple, j’ai apprécié cette analyse du film « sleeping with the enemy » (si tu veux le voir, attends avant de lire l’analyse complète ;-)) http://www.lecinemaestpolitique.fr/sleeping-with-the-enemy-1991-le-cauchemar-de-pretty-woman/ : « Le film pointe clairement ici l’incompétence (pour ne pas dire la complicité) des institutions policière et judiciaire vis-à-vis des maris violents. On apprend en effet que Laura avait déjà tenté de faire appel à la police et à un avocat avant de penser à s’échapper, mais que cela n’avait rien donné. Martin (le mari violent) est d’ailleurs parfaitement conscient du fait que ces institutions sont de son côté lorsqu’il enjoint Laura d’appeler la police pour régler le problème. Mais celle-ci n’est plus dupe. »]
Si, en parlant de dénoncer, tu évoques le fait de briser le silence et de rompre avec la « honte de la victime », je suis pleinement d’accord. Mais je pense que c’est d’abord intérieurement que ça se passe : considérer qu’on ne manque pas de patience ou de courage quand on rompt une relation violente (conjugale, familiale, amicale…), se donner le droit de le faire et se rendre compte que se respecter exige de le faire.
Merci beaucoup de ta contribution. Et merci de ce témoignage si personnel. Bravo pour avoir réussi à quitter une situation qui n’était pas bonne pour toi.
Je suis très partagée sur cette question de qualifier l’agresseur de malade ou non… La justice elle-même le fait parfois (recours à l’expertise psychiatrique) et parfois aussi elle juge les agresseurs/meurtriers plus ou moins responsables de leurs actes. Il y a donc une réalité qui ne doit pas amener néanmoins la victime à ne pas être considérée comme telle, qui ne doit pas l’amener à penser que « l’aide » dont la personne malade a/avait besoin aurait du venir d’elle, ni que son agression n’est que le résultat d’un échec en la matière…
Merci pour ta réaction. Je suis aussi très partagée quant à la qualification de « malade ». Je ne parviens pas à trancher. [Même pour d’autres « pathologies » d’ailleurs, comme la schizophrénie … est-ce qu’au fond il n’y a pas une sorte de continuum dans lequel on place un peu arbitrairement une frontière sain/pathologique ?]
Je suis tout à fait d’accord avec ce que tu dis, que l’agresseur soit « malade » ou non, ce n’est pas à la victime de porter ça – et dans le cas de pédophilie, ce n’est ni à la victime, ni même aux parents/responsables de le faire : leur rôle c’est de protéger l’enfant.
Je me dis que même si on considère que l’abus relève de la « maladie », cela n’empêche pas une certaine responsabilité, le cas des « pédophiles abstinents » illustre cette responsabilité assumée.
A reblogué ceci sur Je me disperseet a ajouté:
Patience et espoir ne font pas de miracles…
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