Il y a une chose qui me perturbe beaucoup quand je dois motiver mon fils à aller à l’école le matin (il vient d’entrer en moyenne section), c’est comment m’y prendre.

Généralement, nous avons pour réflexe de vanter à l’enfant qu’il va « apprendre plein de choses » avec son instituteur. Je suis incapable de lui dire ça. Cela constitue pour moi un contresens monstrueux. Cela signifierait qu’en-dehors de l’école, son cerveau n’est plus et n’a jamais été sollicité, ses sens et son esprit d’analyse aiguisé ne lui permettent plus de déduire et de comprendre à chaque minute, de décortiquer, d’imiter et ainsi de s’enrichir dans chaque domaine de la vie, comme il le fait finalement depuis qu’il a été conçu ?

Ce non-sens me bloque tellement que pour moi, il va à l’école parce que « papa et maman travaillent« . C’est moche quand même. Pas le fait que l’on bosse, moi je suis plutôt contente de travailler depuis que je me suis reconvertie. Mais tu parles d’une « bonne raison », d’une motivation : j’avoue alors à demi-mots que pour moi, l’école joue le rôle d’une garderie – et j’en ai connu de mieux, pour le coup.

Je pourrais aussi lui dire qu’en allant à l’école, il va retrouver ses copains, s’imprégner d’un autre univers, s’ouvrir à autre chose. Mais pour un angoissé de la nouveauté comme lui, un poil hypersensible, je crois que cela ne serait pas bien convaincant. Et les copains, il voit surtout les moments où ils ne seront pas là : la cantine et la garderie.

cartable - rentrée scolaire maternelle

A propos de motivation – qu’il s’agisse de se rendre à l’école ou de notre motivation d’adulte -, c’est un entretien titré « Notre école est un crime » que le philosophe allemand Richard David Precht explique au magazine Clés :

Examens et notes participent de ce que les psychopédagogues de Stanford – Mark Lepper, David Greene et Richard Nisbett – appellent l’« effet corrupteur de la récompense ». Les recherches montrent que le fait d’étudier pour obtenir de bonnes notes et un diplôme, plutôt que par véritable intérêt pour la matière, engendre à long terme des individus à motivation plus fragile. Or, la motivation devient essentielle. […]

Sans motivation, rien n’est possible. Schopenhauer disait : « Vous pouvez faire tout ce que vous voulez, mais vous ne pouvez pas décider de désirer. » Les élèves d’aujourd’hui n’ont plus de désir. L’école de l’avenir doit avant tout rallumer leur adhésion, et même leur enthousiasme. Rappelons que ce fut le cas jadis – ça l’est encore dans les pays très pauvres où l’école est la seule chance de s’en sortir… et aussi chez nos propres enfants, à la maternelle et à la rigueur à l’école primaire. Mais la motivation chute ensuite dramatiquement. En quelques clics d’ordinateur, un ado reçoit plus d’infos que nos ancêtres pendant toute une vie ! L’école lui semble frustrante et inutile. Que faire ?

Pourquoi une vision aussi pessimiste de l’école ?

Honnêtement, qui peut nier que le fonctionnement actuel de notre école est dépassé ?

Puisque l’instruction n’est obligatoire qu’à partir de 6 ans, prenons l’exemple de l’école élémentaire. Sur le site du Ministère de l’Education Nationale, je lis à propos de l’organisation et des apprentissages :

Le « socle commun de connaissances et de compétences » constitue l’ensemble des connaissances, compétences, valeurs et attitudes nécessaires pour réussir sa scolarité, sa vie d’individu et de futur citoyen. De l’école primaire à la fin de la scolarité obligatoire, les élèves acquièrent progressivement les compétences et les connaissances de ce socle commun.

Pardonnez mon parti pris mais moi, je lis donc que « ce qu’on nous apprend à l’école nous sert à réussir notre scolarité ». Edifiant. Cela me donne l’étrange impression de tourner en rond.

Pour ce qui est de réussir le reste, à savoir notre vie d’individu, je ne vois pas trop comment cette réussite peut être généralisable tant elle est éminemment personnelle. Quant à notre réussite de « futur citoyen », oui, je n’en doute pas. L’école nous apprend à devenir des personnes qui exécuteront paisiblement ce que l’on attend d’elles.

Or il y a mille façons de réussir sa vie d’individu et tout autant de se positionner dans le monde, de prendre part à la société dans laquelle nous vivons.

Je me sens donc un peu perdue. Je ne suis plus certaine de savoir où l’école mène les élèves, nos enfants. Par exemple, moi, on m’a répété toute mon enfance que j’allais à l’école pour avoir un diplôme qui me permettrait de trouver un « bon travail » plus tard. Il arrivait aussi que l’on me vante directement l’apprentissage d’un métier (à moins que je ne confonde avec les études secondaires, où on passe, soit dit en passant, proportionnellement, encore davantage d’heures assis à prendre des notes passivement pendant que notre esprit décroche) ?

Arrêter de chercher les solutions chez les voisins, se reconnecter à la base

Ce qui m’a amusée dans l’interview de ce médiatique philosophe allemand, c’est la remise en place de notre idéalisation des systèmes scolaires voisins. Idéalisation ou mauvaise compréhension qui a, si je ne m’abuse, conduit à une récente réforme des rythmes scolaires ayant oublié de tenir compte de l’organisation de la société française et surtout, des vrais besoins des enfants.

L’enfant est naturellement d’une curiosité inouïe. La structuration de ses réseaux neuronaux fait de lui un « athlète synaptique », comparé à l’adulte. Son enthousiasme pour la nouveauté est considérable et ses capacités d’apprentissage impressionnantes. Or, que lui proposons-nous pour épanouir cette potentialité formidable ? De se forcer à s’intéresser à des matières éloignées de sa vie, qui le motivent de moins en moins et qu’il voit infiniment mieux traitées ailleurs. A partir de 12 ans, cela devient dramatique. La transmission est censée se dérouler lors de séances appelées « cours » qui durent un peu moins d’une heure (durée décidée par les moines du Moyen Age) et auxquelles il doit assister sans bouger. Double absurdité : on sait aujourd’hui que la capacité d’attention d’un enfant (et de beaucoup d’adultes) chute au bout de 20 à 30 minutes ; d’autre part, l’immobilité physique du jeune humain est nocive à son fonctionnement cortical si elle dépasse un quart d’heure. Bouger est pour lui vital, la ­psycho-neuro-immuno-endocrinologie l’explique bien.

Les enfants n’ont pas besoin d’être levés plus tôt ou plus tard, en classe 5 matinées tandis qu’ils se défouleront l’après-midi (en faisant du coloriage ou de la garderie, pour beaucoup de pseudo-TAP) plutôt que 4, ou plutôt avec 1 mois et demi de vacances d’été ou que sais-je…

Ils ont besoin de 2 choses :

  • que l’on respecte leur rythme, ce que Maria Montessori appelait les « périodes sensibles« . Ces moments où ils sont les plus aptes à acquérir de nouvelles informations dans un domaine particulier, parce qu’ils ressentent cela comme un besoin vital. Les apprentissages ne se feront peut-être pas dans l’ordre du programme mais ils se feront beaucoup plus vite et avec enthousiasme ;
  • qu’on laisse leur esprit suffisamment ouvert à toutes sortes de choses, qu’ils puissent explorer ou évoquer en classe ; de façon à ce que leur scolarité leur permettent de se consacrer à ce qui les intéressent, de rester connectés à l’évolution de la société et donc aux attentes qu’ils pourront combler s’ils souhaitent y travailler et en faire partie… Il se pourrait même qu’ils la fassent progresser parce que leur esprit libre leur aura permis d’imaginer les solutions de demain, basées sur des technologies ou des approches qui n’existaient même pas lorsqu’ils sont entrés à l’école.

Richard David Precht explique pourquoi il veut révolutionner l’école :

Pour au moins deux raisons. Primo, parce que 70  % des métiers qu’exerceront les enfants qui entrent aujourd’hui à l’école n’existent pas encore – d’où la nécessité d’une éducation très différente, beaucoup plus ouverte à l’imagination et à l’intelligence relationnelle, conduisant à épanouir une curiosité polyvalente plutôt qu’une spécialisation de type industriel. Secundo, parce que l’école a perdu son monopole. Jadis, c’était l’endroit où l’enfant apprenait à connaître le monde. Aujourd’hui, nourri d’informations par mille autres biais, le digital native ne voit plus du tout l’intérêt d’aller s’enfermer dans ce lieu si peu excitant, qui ne suscite en lui qu’un mortel ennui.

L’alternative ? Effectifs réduits et travail en « projets »

Dans un premier temps, sans rien changer aux rythmes, aux horaires, aux intervenants ni aux programmes, les enfants (et les enseignants) gagneraient beaucoup s’ils se trouvaient dans des classes à effectifs moindres (15 ou 20 élèves maximum, quelque soit le cycle). Tous les enseignants le disent : moins d’enfants par professeur, c’est plus de confort pour chacun et un gage d’écoute et de personnalisation de l’apprentissage. Cela veut dire un budget « frais de personnel » augmenté pour l’Education Nationale mais franchement, cela ne serait pas un tout petit plus efficace que des TAP inégales en coût, en qualité et en organisation horaires ?

Si l’on veut réellement servir l’intérêt de l’enfant dans une instruction publique de masse, il est primordial de ne plus vouloir faire avancer tous les enfants d’une même tranche d’âge au même rythme – d’autant plus que ladite « tranche d’âge » est parfois bien relative suivant les dates de naissance – et de renoncer à un corpus d’enseignements rigide et sanctionné par une notation si souvent humiliante.

Le philosophe propose :

L’essentiel de l’éducation s’organiserait autour de « projets » conçus sur plusieurs mois, voire plusieurs années, regroupant les enfants par goûts, affinités, centres d’intérêt. De petits groupes d’une quinzaine d’élèves s’organiseraient autour de thèmes qui les passionnent. Comme les classes du fameux collège d’Harry Potter !

Bien entendu, d’autres l’ont conçu avant lui :

[Magazine Clés] On pense aux visions de Montessori, Steiner, Freinet…
[RDP] De nombreuses pédagogies conver­gent dans ce sens. Elles supposent toutes des enseignants d’un nouveau genre, davantage pédagogues que spécialistes d’une matière.
Tiens, tant qu’à y être, si on en profitait pour faire de la formation de professeur des écoles un « enseignement » basé sur le développement de l’enfant, sur les récentes découvertes neurologiques qu’affectionne tant Richard David Precht… plutôt que sur un bachotage intensif ?

Il y en a qui ont essayé… ils ont eu des problèmes

Et si on testait un peu, pour voir ? Parce que finalement, si ça fonctionne dans des écoles privées, pourquoi ça ne fonctionnerait pas aussi dans le public ?
Je pense à ce récent article racontant le désenchantement d’une jeune institutrice qui avait obtenu son diplôme de professeur des écoles il y a 5 ans pour, dit-elle :
infiltrer le système et parvenir à le changer, pas pour enseigner. Je me laissais trois ans pour proposer un environnement de classe faisant l’effet d’une bombe pédagogique, trouver les bons outils permettant de révéler spontanément tout le potentiel des enfants, et réussir à les diffuser auprès des enseignants.
 Son projet ne sera pas reconduit et elle a donc démissionné.

Et pourtant, c’est bien « l’effet d’une bombe » que l’on a pu ressentir en entrant, ce printemps, dans la classe multiniveau – mêlant petite, moyenne et grande sections – de Céline Alvarez. Pas seulement parce que les enfants savaient lire à 5 ans (parfois avant), maîtrisaient le sens des quatre opérations, comptaient jusqu’à 1 000 et même au-delà…

Pas seulement parce que la salle colorée regorgeait d’un matériel en libre accès (« lettres rugueuses », « cabinet de géographie »…) inconnu de la plupart des écoles, vers lequel les enfants pouvaient se tourner au moment précis où ils en éprouvaient l’envie, « pour ne jamais rater la fenêtre de tir permettant d’entrer dans les savoirs », expliquait la jeune femme lors de notre première rencontre. Non, c’est surtout l’entraide, l’empathie, la joie, la curiosité que manifestaient ces tout-petits qui retenaient l’attention.

L’article relate son parcours :

Au collège puis au lycée, l’adolescente est frappée par le « potentiel humain gâché ».

« Tous ces jeunes que je trouvais intelligents mais qui n’arrivaient pas à se fondre dans le moule et qui décrochaient, ça m’indignait ! », se souvient-elle. [Elle] se forge la conviction que « l’être humain possède un potentiel inné pour penser, créer, partager… et que le système scolaire l’empêche d’émerger ».

Voilà ce qui m’agace autant que cela m’attriste, et pas seulement pour mes enfants, dans l’école actuelle : le potentiel humain gâché !

Amand’Ine