Il y a quelques semaines, un reportage plutôt troublant a tourné sur les réseaux sociaux. Il s’agit du film de Marion Cuerq, « Si j’aurais su, je serais né en Suède! ». Visible ici:
Celui-ci, qui marque le coup d’essai de son auteur, une jeune femme de 21 ans, réussit très bien son pari: nous présenter le système éducatif suédois, et la place de l’enfant dans la société. Faisant figure de précurseur, la Suède a décidé d’interdire tout châtiment corporel (fessée, gifle…) au sein de la famille depuis 1979. Une banalité pour les suédois, qui paraît encore inenvisageable ici.
Car si de nombreuses familles, dont la mienne, ont pris le parti de l’éducation non-violente, terme un peu fourre-tout mais ayant le mérite d’être parlant, les menaces et les fessées -toujours bien méritées, évidemment- sont encore légion en France, sans que cela ne choque particulièrement l’opinion publique.

Pourtant, si l’on en croit André Bourguignon, professeur de psychiatrie:

« Toutes les recherches scientifiques aboutissent à la conclusion que les facteurs qui  concourent à accroître la probabilité de survenue des comportements agressifs chez les individus sont avant tout les conditions dans lesquelles un enfant a été élevé dans ses premières années ».
Et il poursuit : « Les violences exercées sur les enfants et les femmes représentent une aberration propre à l’homme. Chez les macaques, il faut les avoir élevés en privation maternelle et sociale pour les voir développer des conduites agressives entre eux… L’homme a fait subir à ses enfants ce qu’aucun animal n’a jamais fait subir à ses petits…
…toutes les expériences affectives de l’adulte ne prennent sens qu’en référence à celles de l’enfance”.

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Elin la viking
Le thème est vaste, et riche, et soulève les passions (j’en veux pour preuve les commentaires aux quelques articles relayés sur ma page autour de l’évocation d’une interdiction en France…)
Mais quelques lignes de conduites sont pourtant possibles à tenir, même si cela peut aller à l’encontre de notre culture, de notre propre éducation, de nos usages, et bien sûr, du fameux bon sens populaire.
Se mettre à la hauteur de l’enfant, faire preuve d’empathie. Etre capable de bienveillance, et lui poser un cadre sans menaces, ni intimidation, ni coups. Ne pas porter atteinte à son intégrité physique, l’écouter « vraiment ». Lui faire prendre conscience de nos besoins, et écouter les siens.
Pas si facile, mais des outils existent pour aider les parents dans cette voie. les livres d’Isabelle Filliozat ou de Faber et Mazlich par exemple, les ateliers qui s’ouvrent un peu partout (j’ai relayé sur ma page fb récemment deux initiatives de ce genre dans la Sarthe dans les prochaines semaines, me contacter pour plus d’infos), les groupes facebook également… Ce n’est pas évident, certes et cela impose parfois une vraie remise en question, mais ça en vaut la peine.

Pour Kristina, la question ne se pose pas. De son enfance en Suède, elle a gardé les préceptes d’éducation qu’elle a toujours connus, et depuis son installation en France et la naissance de sa fille Elin, ce modèle est aujourd’hui le sien.
Hebergeur d'imageElle nous en parle ici:

Mamomans: Kristina, peux-tu te présenter?

Kristina: Je suis née 19 mars 1973 en Suède, dans une petite ville, Strängnäs, à 80 km de Stockholm située  au sud du lac Mälaren. J’ai une sœur ainée qui avait 3 ans à ma naissance. Ma mère était femme de foyer jusqu’à mes 6 ans quand elle a décidé de reprendre des études pour devenir institutrice (« Pédagogue » dans le film). Mon père était officier dans l’armée suédoise.
Je suis venue en France la première fois en 1994 et je suis retournée en Suède après 2 ans à Paris. Ensuite je suis restée en France à 100% depuis 1999.
Elin (prénom courant en Suède et qui vient d’Hélène) est née le 28 juin 2006 et a donc 7 ans et demi. Son papa Laurent est français et elle a un grand frère, Mickaël qui maintenant a 22 ans
M: Comment décrirais-tu le mode d’éducation que tu as reçu en Suède?
K: J’ai grandi dans une famille où la maman restait à la maison et le papa était au travail, un modèle « traditionnel » qui existait toujours en Suède pendant cette époque-là mais qui devenait de plus en plus rare car la plupart de femmes avaient un travail en-dehors de la maison. De ce fait, ma mère était beaucoup plus présente dans l’éducation que mon père pour la simple raison que c’était elle qui nous voyait le plus. Mon père, par contre, dès la journée de travail terminée, était à 100 % dispo pour ma sœur et moi. Il rentrait à 17h30 et à 17h40 il avait changé son uniforme d’officier en uniforme de jeux (pantalon velours patte d’eph – je te rappelle qu’on était dans les années 70 !)
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Dans la peau de Fifi Brindacier, évoquée dans le reportage

Il y avait des règles de base (on dit merci, bonjour, au revoir, on est poli, on ne tape pas, etc.), mais toujours adaptés aux enfants et non pas au monde adulte.

Une éducation  100% sans punition corporelle, ni psychologique. On se faisait gronder quand on avait fait des bêtises mais il avait toujours l’explication avec : « je suis en colère car tu ne m’écoutes pas et ce que tu fais est dangereux », « Non, tu n’as pas le droit de faire des dessins sur le papier peint car ce n’est pas fait pour cela, j’y tiens et si tu veux dessiner je te donne des feuilles » Bref, des exemples bidons mais je crois que tu vois ce que je veux dire.
J’étais plutôt dynamique et pénible, ma mère me surnommait « la Guêpe » (ma sœur était méga cool et sage) mais je n’ai même pas une seule fois eu une fessée, une claque ou tape sur la main.
En résumé, pas du tout « baba cool/hippie/fais ce que tu veux », plutôt avec des règles et des cadres mais avec amour et respect.
M: L’interdiction de la fessée en Suède date de 1979, tu as donc vécu ce « tournant » en direct, as-tu perçu une différence, avant et après, en tant qu’enfant?
K:  Pas de différence et trop petite pour prendre conscience du débat ou de changement (car pas de changement chez nous tout simplement)
M: Aujourd’hui en France, le débat sur une potentielle interdiction des châtiments corporels ou non fait rage  (ex: http://www.ouest-france.fr/la-fessee-divise-les-europeens-585295). Comment perçois-tu le point de vue français? Es-tu choquée par ce que tu peux voir, ou entendre, concernant les tapes, baffes, claques…?
K: Choquée? Plus maintenant car on s’habitue, malheureusement. Révoltée…oui, toujours! Au début de mon séjour en France -94/-95 j’étais choquée par cette main haussée dans le bus, dans le métro, dans le supermarché : « Tu la veux celle-là ?!» Pour moi c’était irréelle et surréaliste, franchement, je n’avais jamais vu cela en Suède.
Je crois que la situation a un peu changé maintenant, on voit moins ces « corrections » dans la rue…[NDLB: heuu, si un peu trop encore!] est-ce un bon signe ? Peut-être.
Dans mon entourage je sais que la punition corporelle existe (mais très rarement je crois), mais plus dans une manière de frustration/panique « Je ne sais plus quoi faire ! » que comme méthode choisie d’éduquer son enfant. Je n’entends personne déclarer : « Je donne des fessés car je crois que c’est bénéfique pour mon enfant » C’est plus un résultat de fatigue et les adultes en questions ne sommes pas particulièrement fières après.

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C’est quand même extrêmement bizarre que c’est illégal et condamnable d’utiliser la violence physique ou psychologique sur un adulte mais pas sur un enfant…comment la société peut accepter cela ?
M: A quel point ton éducation « à la suédoise » a-t-elle influencé ta manière d’éduquer ta fille?
K: Elin a eu une éducation beaucoup plus à la suédoise qu’à la française, cela est sûr :-)  Elle n’a jamais eu ni fessée, ni gifle, ni tape sur la main par ses parents et elle sait que je suis 100% contre les punitions corporelles. C’est toujours d’ailleurs quelque chose que je souligne quand je prends des nouveaux baby-sitters pour elle, tu te rappelles ? :-)[NDLB: hé oui, je fus la baby sitter d’Elin quand elle était tout bébé!]
L’année dernière, une personne adulte dans notre entourage l’a tapée sur la cuisse (pas très, très fort mais un peu rouge quand même) pour la punir. Elle est venue me voir, un peu sous le choc et très, très triste car elle ne comprenait pas comment c’était possible et pourquoi il avait fait cela. On est allé voir la personne ensemble et je lui ai dit, devant Elin, que dans notre éducation  il n’y avait pas de gifles, tapes et fessés et qu’il n’avait pas le droit d’en donner non plus à ma fille. Un peu délicat comme situation mais pour moi, c’était important qu’Elin voyait que je la défendais et qu’elle entendait que ce n’est pas parce que c’est un adulte qu’il avait le droit de le faire.

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Un résultat d’une éducation sans violence est, je crois, des enfants qui moins facilement utilisent la violence pour résoudre des problèmes ou des conflits. Comme Elin n’a jamais eu des tapes/gifles/fessés, elle n’a pas le réflexe de taper ses copines/copains quand elle est frustrée ou en colère.
M: Le documentaire décrit des enfants plus heureux en famille et dans la société…c’est ce que tu constates aussi? La non-violence éducative serait-elle la clé? 
K: Je crois que l’enfant en Suède a une place bien établie, privilégiée et bien vue dans la société tandis que l’enfant en France souvent doit se plier aux normes et règles des adultes et qu’ils ont toujours une place secondaire. Je dirais plus qu’en Suède l’enfant et l’enfance sont plus respectés et honorés qu’en France et les enfants plus heureux. En France on a parfois l’impression que l’enfance est seulement une étape pour s’entraîner à devenir des bons petits soldats adultes ; apprendre à se taire, apprendre à obéir etc, et qu’elle n’est pas considéré comme une étape qui vaut autant que l’âge adulte. Et comme c’est justement un enfant qui n’a pas encore appris tous ces règles et normes d’adultes, l’enfant dérange, prend trop de place et fait trop de bruit dans ce monde adulte (pendant les repas, dans les bus, dans les métros, etc) Et puisqu’il dérange, il est donc constamment rappelé à l’ordre…donc interdit d’être un enfant.
Un enfant en Suède est éventuellement plus heureux car il est  respecté comme l’enfant qu’il est…
Je ne crois pas que la raison est la non-violence éducative, mais je crois que la non-violence éducative est la suite naturelle de ce respect de l’enfant et de l’enfance. Bref, les deux vont ensemble :-)

Merci à Kristina pour ce témoignage! (et voila, c’est malin, j’ai envie d’émigrer en Suède, moi maintenant…). Et vous, la non-violence éducative, ça vous parle?

MamoMans