Vous savez (ou pas), que je suis mordue de tout ce qui à rapport au cerveau humain (un organe magnifiquement puissant dont on découvre chaque jour quelques unes de ses spécificités) mais aussi tout ce qui est anthropologie, évolution des espèces et développement de l’enfant. Alors quand je tombe sur un article qui cristallise toutes ces notions en même temps, vous pensez bien que je suis aux anges ! Bref, l’autre jour, interpellée par un petit encart où il est question de la perception des autres chez le bébé (voir une synthèse ICI), je découvre les neurones miroirs : des neurones qui s’activent, lorsque nous regardons avec attention les faits et gestes d’autrui,  comme si nous exécutions nous-mêmes les actions que nous sommes en train d’observer. Les neurones miroirs connectés à de nombreuses autres parties du cerveau donnent naissance à l’empathie. Celle-ci fut jadis, une condition nécessaire à la cohésion et la survie du groupe. Elle reste aujourd’hui importante pour le développement de l’enfant et son épanouissement à chaque étape de sa vie.
Bref, continuant mes lectures sur les neurones miroirs, je me rends compte qu’ils jouent également un rôle important dans le développement du langage.
La rapidité à laquelle les enfants acquièrent le langage est un des mystères des facultés cognitives humaines. Alors cela vaut le coup de s’y pencher un tantinet, non ? Je vous propose, dans la mesure de mes moyens (pas câlée en bio., encore moins en neurobio. pour deux sous !) un petit tour d’horizon (non exhaustif ) sur l’état des recherches sur le sujet.

Tout d’abord, qu’est-ce que le langage ?
Et bien visiblement, ce n’est pas si facile que cela à définir d’après Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France qui a consacré de nombreuses recherches et livres à ce sujet. Il adopte la définition d’un linguiste du XXe siècle (R. Ossipovich Jakobson). Ainsi, selon lui, le langage ne vise pas seulement à délivrer une information, mais aussi à agir sur l’autre, traduire une émotion ou atteindre le beau… pour résumer très succinctement.

Le langage : point de vue évolutionniste et implication des neurones miroirs
Toutes ces infos sont explicitées dans le livre « De l’action au langage via le système des neurones miroirs » dont un bon extrait est disponible ICI. Publié en 2006. il s’agit d’une synthèse de différentes approches impliquant des experts en linguistique, neurosciences, primatologie, développement de l’enfant… Bref, l’idée centrale est l’hypothèse du système des neurones miroirs introduite en 1997 par des italiens (Arbib et Rizzolatti) permettant d’expliquer les mécanismes cérébraux impliqués dans le langage. Ces neurones particuliers (qui « s’allument » autant quand on agit que  quand on voit quelqu’un agir) sont présents dans différentes parties du cerveau et en particulier dans l’aire de Broca (région située dans l’hémisphère gauche), une zone généralement considérée comme associée à la production du langage chez l’homme.
Il semblerait que ce système se soit mis en place au travers de l’évolution des espèces : l’évolution vers le langage tel qu’on le connaît se serait fait grâce aux neurones miroirs impliqués dans la préhension. Ce qui paraît dingue à première vue ! Le système de neurones miroirs mis en jeu pour saisir un objet (donc non conçus au départ pour la communication) est la base du développement évolutionnaire pour le langage ! Pourquoi ? Les auteurs expliquent que le système d’imitation complexe des mouvements des mains a permis le développement de l’habileté manuelle conduisant à l’émergence de protosignes, une communication basée sur la gestuelle, favorisant la cohésion du groupe, sur la transmission de compétences. De ces capacités à maîtriser la communication manuelle, précurseur du langage, puis à contrôler l’appareil vocal sont nés la communication vocale et le langage.

Le développement de l’enfant est un peu comme une évolution en vitesse accélérée… A la naissance, on parle  d’ailleurs de réflexes » archaïques »: le petit d’homme agrippe à sa mère, parvient à dominer son corps que petit à petit, observe beaucoup, imite, commande peu à peu ses mains, ses pieds, la préhension, puis progressivement (et parallèlement) le langage. Bref, j’ai tendance à dire que lorsque bébé a franchi l’étape de la préhension, il a également préparé le terrain pour son futur langage !

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Source ICI

De l’importance de l’environnement
Une autre étude plus récente (2009) vient apporter un peu d’eau au moulin ! Les auteurs montrent que le développement de l’intelligence et l’acquisition du discours sont fortement impliqués dans des processus sociaux. Tout comme le chant des oiseaux (conforté par une étude récente de juin 2013) qui devient mature selon les réactions de leur environnement social (mère, partenaire), les essais de vocalise des bébés sont encouragés par les réponses de leurs proches. Selon les réactions de ses parents ou toute autre personne proche de l’enfant, un processus d’imitation va s’enclencher (neurones miroirs encore une fois) et les formes de vocalisation du petit vont se modifier, se corriger, complexifier.
Les parents sont généralement réactifs et leur réponse est instinctivement très adaptée. Les pleurs provoquent des réponses très rapides (voir ICI). Les auteurs ont noté que plus le répertoire vocal des enfants s’élargit, plus les parents complexifient leur réponse, apportant ainsi un « échafaudage linguistique » sur lequel s’appuyer.
Lorsque l’enfant a bien avancé dans son apprentissage, les auteurs évoquent aussi comment rendre plus efficace l’acquisition de nouveaux mots ou verbes. Il s’avère  que pour introduire de nouveaux concepts, il soit préférable de le faire régulièrement à différents moments (étalés dans le temps) que de répéter un mot plusieurs fois dans une unique session interactive.

Donc réagir avec enthousiasme lorsque l’enfant pleure, babille, expérimente, ne rendra pas votre enfant capricieux et dépendant de vous : c’est au contraire, répondre de façon adaptée à son besoin d’interaction pour se former et apprendre le langage (un sujet déjà évoqué ICI par laetibidule et par Poule Pondeuse).

Les mécanismes mis en jeu pour l’apprentissage
J’aurais pu mettre en titre de ce paragraphe, inné ou acquis ? D’après ce qui a été évoqué juste avant, l’environnement joue un rôle clé, les neurones miroirs ne s’activent que si l’environnement est riche. Donc la part d’acquis est bien présente. Mais n’y a-t-il pas une sorte de précablage présent dès la naissance qui permettent un apprentissage facile ?  Parce que tout de même, çà va quand même très vite.
Des techniques non invasives de mesure de l’activité cérébrale de nouveaux nés, ont en effet montré que dès la naissance, les zones du cerveau qui s’activent lorsqu’on fait écouter des sons aux tout petits sont les mêmes que chez les adultes (voir ICI).Ghislaine DEhaene nous cite « Le cerveau du nourrisson n’est décidément pas une cire molle attendant d’être façonnée par le monde extérieur. Il est structuré en régions fonctionnelles qui vont l’aider dans on apprentissage« .

Enfin je terminerai, sur ce que nous enseignent les linguistes. Car si côté moyens, l’enfant semble bien équipé, y a -t-il quelque information à glaner côté de l’organisation d’une langue, qui expliquerait que l’apprentissage se passe au mieux?
Plusieurs chercheurs pensent en effet, que les langues multiplient ces structures que les cerveaux humains sont les mieux à même d’apprendre. Ce qui suggère l’idée que le langage humain a été sculpté par les contraintes imposées par l’apprentissage. Des expériences ont été menées sur des enfants de 12 à 13 mois à qui on voulait enseigner une langue artificielle possédant une grammaire (des relations de dépendance entre certains mots, du genre article + nom) d’une part puis une langue sans grammaire d’autre part (des mots juxtaposés dans lien entre eux).
Après seulement quelques minutes d’exposition à une langue artificielle simple avec grammaire, les enfants étaient capables de repérer parmi plusieurs autres, des phrases de la langue écoutée (phrases différentes de celles entendues pendant la phase d’apprentissage) car ils avaient repéré les indices de relation entre les mots.
Après une exposition plus longue (20 minutes) à une langue artificielle complexe (plusieurs milliers de phrases possibles), les même types de test que précédemment étaient brillamment réussis.

Les mêmes expériences avec une langue artificielle mais « dépourvue » de grammaire, furent vouées à l’échec même avec une langue simple.

Conclusion : Tout petits, les enfants repèrent la grammaire qui gère la dépendance entre les mots pour faciliter leur apprentissage.
Une autre conclusion de cette étude, mise en avant par les auteurs : les connaissances linguistiques d’un enfant dépassent largement sa capacité de production propre.

Bref, nos enfants sont formidables, dotés de capacités immenses sous réserve que nous soyons à l’écoute, pour répondre à leur besoin d’interaction. Ne désespérons pas si le langage tarde à venir (ce fut mon cas pour mon petit dernier qui ne se décidait pas à parler) : les neurones miroirs sont bien là, tapis dans l’ombre à faire leur travail.

Pascale72