Une Allemande vivant en France me dit récemment que les Français manquent peut-être de confiance en eux parce qu’ils n’ont pas été allaités et que leur maman est repartie travailler rapidement après leur naissance.

Quel est l’impact de notre comportement de parents sur la psychologie de nos enfants devenus adultes ?

Le samedi 22 juin 2013, Le Monde titrait en une : « Le pessimisme, un mal français » et en tête de l’article en question : « Liberté, égalité, morosité ». Un sondage du réseau Gallup mené en 2013 dans 51 pays classe les Français champions du monde du pessimisme, devant les Afghans et les Irakiens. Selon une étude réalisée au niveau européen entre 2002 et 2008 :

« Les Français sont bien moins heureux que ne laisserait présager l’indice de développement humain, qui prend en compte le revenu par tête, l’éducation et l’espérance de vie. »

L’étude révèle que les Français ont moins confiance que les citoyens des autres pays européens envers leurs institutions, leurs voisins et leurs concitoyens.

L’une des raisons évoquée est : l’école !

« En France, l’école […] semble jouer un rôle décisif dans la diffusion de la morosité. Selon Mme Senik [Professeur à l’université Paris IV-Sorbonne et à l’Ecole d’économie de Paris], il suffit que les immigrés aient été scolarisés dans l’Hexagone avant l’âge de 10 ans pour qu’ils soient, eux aussi, atteints par le spleen. »

En cause : le « climat disciplinaire et sélectif » dans une école « à la fois hiérarchique et verticale » :

« La France a un modèle scolaire catastrophique : il est hypersélectif et ultra-élitiste. C’est l’excellence scolaire précoce ou rien : aucune aide pour les élèves en difficulté, aucun système de formation tout au long de la vie. L’école ouvre la porte une seule fois : si les élèves n’en profitent pas, elle se referme pour toujours. Les citoyens qui passent pas ce système ne sont évidemment pas très confiants. »

Les enquêtes PISA révèlent que « les Français hésitent à poser des questions pendant les cours et affichent des taux de non-réponses anormalement élevés. « Cette réticence à prendre le risque de donner une réponse fausse est révélatrice de leur crainte de voir stigmatiser leurs erreurs, analyse Olivier Rey, de l’Institut français de l’éducation. On retrouve ici une caractéristique majeure de notre enseignement : au lieu de s’appuyer sur les erreurs des élèves, il les considère comme des fautes et les sanctionne comme telles. » »

« Alors que les enseignants scandinaves encouragent le travail en groupe et le développement des compétences sociales -sens de l’organisation et goût de la coopération-, les Français, eux, prisent la transmission académique des savoirs : la moitié des élèves déclarent passer l’intégralité de leurs cours à prendre en note ce qui est inscrit au tableau. Comment s’étonner, dans ces conditions, qu’une fois adultes ils n’aient pas un sens très aigu de la coopération avec autrui ? »

Un an d’études dans une faculté allemande et mes relations avec des amis dans ce pays me confirment dans cette opinion. Le jeu et le plein air (avec de l’herbe et des feuilles et pas seulement sur du béton !) me semblent avoir dans les jardins d’enfants allemands une place bien plus grande que dans nos écoles maternelles où j’ai souvent l’impression qu’on prépare déjà les élèves à passer le bac. J’ai rencontré en Allemagne quelqu’un qui a fait l’équivalent d’un CAP avant de finalement faire une thèse sur un sujet pointu de physique nucléaire. De nombreux cadres sont passés par un apprentissage, de secrétariat, d’ajustage ou de menuiserie avant de reprendre des études supérieures. Voyez-vous cela souvent en France ? Il ne s’agit pas de glorifier en bloc ce qui se fait ailleurs mais s’inspirer parfois de ce qu’il s’y fait de mieux pourrait nous faire du bien.

***

Le magazine Terre Sauvage de juin 2009 (n°250) livre un dialogue entre Marie-Claude Bomsel, vétérinaire à la ménagerie du Jardin des Plantes de Paris et Boris Cyrulnik, neurologue, psychiatre et éthologue. Le sujet : « Les relations parents-enfants chez les animaux… et chez l’homme ». Marie-Claude Bomsel souligne que le lien mère-enfant est fondamental tant chez l’homme que chez l’animal :

« La différence essentielle est que nous, les femmes, avons accepté de poser notre bébé dès les premiers jours de sa naissance, alors que, chez les grands singes, la mère ne le fait jamais. Le point commun est que les singes naissent aussi peu développés que les humains, mais les premiers ont la chance d’avoir les sens complètement éveillés au contact de la mère. Pendant sept à huit mois, ils restent constamment sur elle, agrippés à sa fourrure, baignant dans son odeur, alors que les bébés humains, à la naissance, sont harcelés en tous sens. »

J’y vois ici l’illustration même des bénéfices du portage. Plus loin, les deux intervenants soulignent l’importance du toucher, transféré dans nos civilisations de l’enfant au compagnon. Cela me remémore notamment les tendres moments passés avec mes enfants en les massant.

Par ailleurs, chez les animaux non humains, le contexte environnant influe sur l’implication du père. Plus celui-ci est contraignant, plus conséquent est le rôle de la paternité.

Par la suite Boris Cyrulnik rapporte l’exemple

« d’expériences réalisées par le passé sur des femelles singes élevées dans des cages exiguës. [Elles] ont montré qu’elles sont capables biologiquement d’avoir un petit, mais qu’elles ne savent pas l’élever et que celui-ci montre, à son tour, des troubles du comportement. »

Ce passage faisait référence aux animaux sauvages nés en captivité mais évoquait pour moi les conditions de vie des animaux d’élevage. Sauf exceptions, ils ne se reproduisent plus de façon naturelle : l’insémination est devenue systématique. Les truies sont placées dans une sorte de box exigu et sont séparées de leurs petits qu’elles allaitent par une barrière métallique. Les veaux sont rapidement séparés de leur mère si celle-ci est une vache à lait et sont nourris à la poudre de lait. Les poussins, considérés comme des produits, naissent dans des couvoirs. Quelle sorte d’animaux sommes-nous en train de fabriquer ?

Plus loin Marie-Claude Bomsel fait part de son expérience avec des mammifères :

« Des jeunes, élevés au biberon, peuvent devenir, plus tard, très agressifs. C’est le cas pour des chiots ou des chatons, ce qui étonne toujours les gens. Mais en fait, on n’a pas inculqué à ces animaux les codes et les rituels propres à leur espèce. »

Loin de moi l’idée de comparer une mère qui donne le biberon à son enfant à un humain donnant le biberon à un animal d’une autre espèce. Mais cela n’évoque-t-il pas des questions d’allaitement et de séparation précoce ? Voilà qui résonne avec l’hypothèse de mon amie allemande sur les liens entre taux d’allaitement, maternage et confiance en soi et avec l’article du Monde sur l’impact du système scolaire sur le futur adulte. Boris Cyrulnik, chantre de la résiliance, laisse son lecteur optimiste : les traumatismes peuvent être surmontés. Mais il nous appartient aussi à nous, parents, adultes et citoyens, d’éviter qu’ils apparaissent.

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Avec ce deuxième article que vous retrouverez également sur mon blog, je risque de bien davantage choquer que par mon premier. Mes réflexions et opinions qui n’engagent que moi sur ces sujets sont issus de mes lectures et de mon vécu de maman. Comme quoi, on peut avoir eu deux enfants et ne pas être complètement lobotomisée tout en étant un peu « déjantée » :-)

De Chair et de Lait