Il y a quelques mois, je vous relatais notre expérience fortuite, Petite Poulette et moi, de l’apprentissage d’une langue des signes un peu propre à nous, alors qu’elle ne parlait pas encore. Et cela m’avait permis à travers les VI de découvrir qu’il existe tout un courant de « je signe avec bébé » bien réel et passionnant (d’ailleurs on en parle beaucoup sur les VI !) Bon, depuis Petite Poulette a eu 2 ans, et elle s’éclate désormais à faire d’immenses phrases où seule la dernière syllabe est intelligible. Et les mains ? Elles ne servent plus à rien.
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En fait si, désormais les mains servent à Grande Poulette, qui vient d’entrer en CP et apprend donc à lire. Oui, il existe une langue des signes qui permet aux enfants de faire leurs premiers pas dans la lecture. Aujourd’hui je vais donc vous parler la méthode phonétique et gestuelle de Suzanne Borel-Maisonny.
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35 ans séparent ces deux bouquins…

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Au début de l’année scolaire, la maîtresse de Grande Poulette nous a donc distribué les livres sur lesquels nos enfants, et nous avec, allions plancher toute l’année. J’étais assez émue, et excitée, et ma fille avec moi, de les découvrir. Mais quelle ne fût ma surprise dès les premières pages de voir des photos d’enfants faisant des drôles de gestes… ben j’ai compris le soir même, avec les devoirs à la maison (oh joie oh bonheur). Or, donc, il allait falloir que nos enfants apprennent une langue des signes ! Ben oui, parce qu’en fait, se contenter d’apprendre le nom des lettres + les différents sons associés + les différentes typographies (imprimerie, cursive, majuscule et j’en passe) + les lignes d’écriture, ça ne suffisait pas… il fallait que la maîtresse y ajoute des gestes ! Ahhaaaa… En fait non, ça ne m’a pas fait rire du tout au début. Et puis, je dois avouer qu’à force, après presque deux mois de pratique, je trouve ça juste génial ! Et cela apporte une aide bien concrète à Grande Poulette..
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D’après Wikipédia, cette brave Suzanne Borel-Maisonny (1900-1995) est en France une des fondatrices de l’orthophonie. C’est dans ce cadre qu’elle a mis au point sa fameuse méthode phonético-gestuelle où des gestes sont associés à des sons. La plupart de ces gestes sont très judicieux car ils miment les mouvements de la langue ou de la bouche pour produire le son, ou pointent un endroit du corps en rapport avec ce son. Par exemple (je vous passe l’usage de l’écriture phonétique par que je n’ai jamais rien pigé à ce truc !) :
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– le son « i » est représenté avec l’index dressé devant soi

– le son « o » par un cercle formé avec le pouce et l’index

– le son « n » par deux doigts qui coincent le nez (et produisent ainsi un son nasal)

– le son « ch » par la main qui vient serrer la commissure des lèvres (et produire une sorte de chuintement)

– le son « p » par un point serré qui s’ouvre d’un coup, en même temps que la bouche

etc… certains gestes sont très explicites d’autres un peu moins.
On peut trouver l’ensemble ici.
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On notera que cette méthode est donc un complément de la méthode syllabique, où on apprend à décrypter les sons de façon séquentielle, qui « s’oppose » à la méthode globale, où l’on apprend à reconnaître les mots entiers, grâce à une mémoire photographique.
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Au départ, S. Borel-Maisonny l’a mise au point pour des enfants présentant des problèmes d’audition ou de dyslexie. Cette méthode de lecture dite phonétique et gestuelle a été vulgarisée grâce à l’ouvrage de C. Silvestre de Sacy : Bien lire et aimer lire (ESF éditeur), régulièrement réédité depuis 1963. Sur le site de l’association Coquelicot (qui rassemble des parents d’enfants sourds et malentendants des Bouches du Rhône) on peut lire ceci :
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Les gestes permettent de fixer rapidement la mémoire des formes graphiques et l’abstraction qui doit en être faite relativement au son. Ils ne peuvent par conséquent être dissociés de l’apprentissage de la lecture.

Un premier travail de gymnastique phonatoire est essentiel à tout approche de l’apprentissage de la lecture : on apprend à respirer et à maîtriser sa respiration (on fait expulser l’air des poumons en l’économisant…). Puis, on commence le travail phonatoire proprement dit en travaillant sur les caractères phonatoires de chaque phonèmes : vibrations glottales ou non, vibrations orales ou nasales, position de la langue…

La conscience de la position articulatoire est pour Suzanne Borel-Maisonny une condition sine qua non à l’émission d’un phonème. Le geste associé au phonème permet de créer un conditionnement à l’identification de la lettre écrite et de l’articulation correspondante qui doit être d’une solidité parfaite.

Le geste permet aussi de travailler la tension, l’intensité et la durée du phonème.

Le geste, en outre, est très utile chez les enfants présentant des troubles de mémorisation. Le phonème n’est plus un élément sonore isolé. Il a, en plus, une image visuelle qui facilitera à la fois la mémorisation mais aussi par la suite la relation phonème-graphème. Il est à noter que ces gestes disparaissent d’eux-mêmes dès que l’enfant a acquis les automatismes lui permettant de fixer phonème et graphème donc de déchiffrer.

La méthode Borel-Maisonny est une aide au déchiffrage. Pour que l’acte lire soit complet, il convient de travailler en parallèle sur le sens.
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À ce stade, je précise que Grande Poulette ne présente aucun problème d’audition ni de dyslexie jusqu’à présent (bon ok, avec les 4 incisives tombées en l’espace d’un mois, faut quand même noter quelques récents soucis de prononciation, mais ça va passer, n’est ce pas ? ;-) Que sa maîtresse utilise cette méthode depuis plusieurs années avec ses classes de CP (elle doit avoir une vingtaine d’années d’exercices) ; elle la réservait avant à ses élèves en difficulté, mais son efficacité l’a convaincue à la généraliser à tous. (Par contre, je ne sais pas si elle la met en œuvre de façon aussi minutieuse et précise que c’est décrit ci-dessus…) Et y a pas dire, les enfants s’en emparent réellement !
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Très vite, Grande Poulette a cessé d’utiliser les gestes des sons les plus simples, les voyelles notamment. Mais aujourd’hui encore, lorsqu’elle lit, et elle se débrouille plutôt bien, elle continue de temps à temps à esquisser quelques gestes particuliers, notamment pour ne pas trébucher sur les sons « n » et « m », ou « ch » et « f ». C’est assez touchant de la voir faire ainsi, car je sens que ca lui est d’une réelle aide. Parfois lorsque pour s’amuser (oui oui pour s’amuser, faire ses devoirs, ça l’éclate pour le moment ;-) elle me demande de lui dicter des phrases simples à écrire, je l’aide en mimant les gestes des sons pour l’aider à retrouver la bonne graphie. Voilà on en est exactement là :

Ces gestes disparaissent d’eux-mêmes dès que l’enfant a acquis les automatismes lui permettant de fixer phonème et graphème donc de déchiffrer.

Alors, ok, il nous reste encore plein de sons à décrypter notamment des phonèmes un peu étranges, comme « gn » ou « aïe » et puis aussi et surtout à découvrir toute la diversité de graphèmes associés à un seul phonème (le cercle formé de l’index avec le pouce peut s’écrire –o, –eau, –au-, –eaux etc…) La route est encore longue, mais je dois avouer que jusque là, les panneaux de signalétique nous ont été bien utiles pour avancer sans nous perdre ! Et puis on a emmené un passager clandestin avec nous : à l’heure des devoirs, Petite Poulette traîne souvent dans les parages. Et depuis, je la vois parfois s’exercer dans son coin, faisant semblant de pointer des lettres dans ses livres en ânonnant des sons étranges. Il lui arrive aussi de bredouiller des trucs en tordant ses doigts dans tous les sens… Malheureusement tout ceci ne nous est d’aucune utilité pour décrypter les 20 premières syllabes de chacune de ses phrases !

Miliochka
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PS : la semaine dernière, MmeD nous présentait sur les VI l’ouvrage « Apprendre à lire en famille », et ses différentes expériences d’apprentissage de la lecture avec sa joyeuse tribu, l’occasion pour June Prune, dans les commentaires, d’évoquer aussi des ouvrages qui permettaient d’aborder les mathématiques de façon moins « théorique ». J’avoue avoir été très curieuses des livres pour enfants dont elle a parlés (albums d’Anne Bertier et Clémence Gandillot, Père Noël si tu m’entends…). Je me suis souvenue qu’en CP, ma maîtresse nous avait appris à compter en base 10 grâce aux dix doigts. Je me souviens aussi qu’elle nous avait raconté que certaines choses se comptaient en base 12 (les œufs, les huîtres…) parce qu’il suffisait d’une main pour compter jusqu’à 12 : en promenant son pouce sur les trois phalanges de chacun des autres quatre doigts…
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