What NOT to expect when you are expecting

What to expect when you are expecting  – A quoi s’attendre quand on attend un enfant – est un guide américain sur la grossesse – un peu comme notre Laurence Pernoud nationale, et un énorme bestseller (maintenant c’est aussi une comédie romantique avec Cameron Diaz et Jennifer Lopez).

Mais le livre de Zoe Williams s’intitule What NOT to expect when you are expecting. Et pour cause, c’est une sorte d’anti-guide de la grossesse, un livre qui décortique tous ces précieux conseils donnés dans les guides et bien souvent, les démonte… Zoe Williams est chroniqueuse au journal The Guardian, se définit comme une féministe de la 3ème vague et est maman de deux enfants.

J’ai un peu hésité à en parler ici, parce qu’il va complètement à rebrousse-poil de ce qui s’y dit habituellement. Par exemple, c’est l’opposé du livre de Blandine Poitel que j’ai commenté il y a deux semaines, dans la forme aussi bien que dans le fond!  Mais finalement je me lance, j’espère qu’on ne va pas me jeter trop de tomates!

Une précision contextuelle : L’auteur est anglaise et en Angleterre, la norme est différente. Alors qu’en France, le taux de péridurale frôle les 90% dans certaines maternités (un gage de qualité puisque de disponibilité des anesthésistes selon Doctissimo), il avoisine les 20% en Angleterre selon les dernières données que j’ai trouvées en ligne (qui datent quand même de 2006). Le taux d’allaitement est sensiblement plus élevé qu’en France, 81% au sortir de la maternité en 2010, contre 60% en France en 2010.

Sur la forme, dans le cas du Blandine Poitel, pour moi la lecture a été accompagnée d’une boule au ventre, et pour certains passages  – oui je parle de celui de l’épisiotomie et non je ne m’en suis toujours pas remise -, j’ai envisagé de ficher le livre au congélo quelques jours tellement il faisait peur. Le livre de Zoe Williams, c’est Bridget Jones au pays de la maternité (d’ailleurs, rien à voir mais saviez-vous que Bridget avait eu un bébé?). Des informations creusées mais toujours ponctuées du récit de ses grossesses, avec beaucoup d’humour et l’autodérision qui fait le charme des Anglais. Et un mépris assez total pour le politiquement correct…

Le livre parle entre autres de l’interdiction totale de boire pendant la grossesse, des recommandations aux femmes enceintes en matière d’alimentation (des nombreuses interdictions alimentaires à la chasse aux kilos superflus), de l’alimentation des enfants, de leur sommeil et de leur emploi du temps quotidien… Comme je ne peux pas citer tout le livre et tous les sujets, je me suis fait un plaisir de vous sélectionner les deux chapitres les plus polémiques!

...

 .

The Fog of Birth – Why labour is no big deal (especially when you’re inconsious) :  Le Brouillard de la Naissance – L’accouchement, pas de quoi en faire un foin (surtout quand vous êtes inconsciente).

Zoe Williams a deux enfants. Le premier est né par voie basse sans péridurale, après qu’elle ait passé beaucoup de temps dans une piscine de naissance. Le second est né par césarienne après des heures de contractions, une péridurale, et une mauvaise position du bébé. Voici un extrait de ce qu’elle dit sur la péridurale:

Theoretically, you get to the phase of transition and feel a range of emotions. (…) There are only 2 things that make it remarkable – first that it is so bad, and second, that anybody would expect anybody else to endure something so bad without anaesthesia.

All the way through classes, you say, “So, this epidural then. How does it work? Why doesn’t everyone have one?” I was told one of those things: a midwife said. “It can leave you paralysed, but that’s quite rare – I think it’s only one in 25,000” (…) I am going to quote from Anaesthesia UK, an educational site for anaesthesia professionals: “Permanent paralysis resulting from epidural anaesthesia during labour is so rare that clear figures on its incidence are not available.   A recent review of 500,000 cases performed in the UK did not reveal a single case (…)

One is often told that it lengthen labour, without being told that a) 36 minutes of pain is longer by an almost infinite margin than 36 hours not in pain, b) that the average lengthening of labour is 22 minutes, and c) that the figures are opaque, long labours tending to exhaust women and make them more likely to ask for an epidural (…)

I went to a lecture by an anaesthetist at St Tommy’s, and said “If there is no medical downside, why doesn’t everybody just ask for an epidural as soon as they get in?” and she replied “ I suppose that’s why you go private. It’s just for the money, in other words.

Traduction libre: En théorie, on arrive à la phase de transition [NB: Ce que nous appelons nous la « phase de désespérance »] et l’on ressent  différentes émotions. (…) Il y a en fait 2 choses qui la rendent remarquable – La première, c’est à quel point ça fait mal, et la seconde, c’est que l’on puisse attendre de quelqu’un qu’il supporte une douleur si forte sans anesthésie.

Pendant les classes [de préparation à l’accouchement], vous posez des questions: « Alors, cette péridurale, comment ça marche? Pourquoi est-ce que tout le monde n’accouche pas sous péridurale? »  Une sage-femme m’a répondu: « elle peut entrainer une paralysie, mais c’est rare – je pense que c’est seulement un cas sur 25,000 » (…) Je vais citer de Anaesthesia UK – un site informatif pour des professionnels de l’anesthésie: « La paralysie résultant de l’anesthésie péridurale pendant le travail est si rare qu’aucun chiffre sur son incidence n’est disponible. Une revue  récente de 500,000 cas effectuée au Royaume-Uni n’a pas révélé un seul cas » (…)

On entend souvent que la péridurale peut avoir pour effet de prolonger  le travail, mais on oublie de dire a) que 36 minutes de douleur sont plus longues que 36 heures sans douleur, b) qu’en moyenne,  l’allongement du travail est de 22 minutes et c) que les chiffres sont biaisés, parce qu’un accouchement long et pénible tend à épuiser les femmes et a plus de chances de les conduire à demander une péridurale (…)

Je suis allé à une conférence donnée par une anesthésiste à St. Tommy [St Thomas Hospital, Londres] et j’ai demandé: « S’il n’y a aucun inconvénient médical, pourquoi est-ce que tout le monde ne bénéficie pas une péridurale à leur arrivée à l’hôpital?  » Et elle a répondu « je suppose que c’est pour cette raison que l’on choisit d’aller dans des cliniques privées ». Autrement dit, c’est uniquement une question d’argent.

D’après mon expérience, l’approche en Angleterre consiste en effet à systématiquement diaboliser la péridurale. Et dans ce but, ses inconvénients sont très exagérés dans les cours de préparation à l’accouchement. J’irais même plus loin (et là je n’engage que moi et ma parano perso), je suspecterais presque que dans les hôpitaux, la péridurale soit volontairement surdosée pour en accentuer les effets secondaires (l’immobilité / la dépendance / l’absence de sensations) dans un but dissuasif… Je ne peux pas croire que Miliochka raconte une péridurale « de rêve » ici, et qu’en Angleterre, on ne sache pas faire de péridurale « light »? Pourtant, elle n’est proposée dans aucun hôpital public.

Etrangement, ce sont les mêmes reproches qui sont fait à la médecine anglaise et à  la médecine française, avec pourtant un résultat opposé: en France, par souci d’économie, on inciterait les femmes à accoucher sous péridurale, parce qu’une femme sous péridurale n’a pas besoin de la présence continue d’une sage-femme. En Angleterre, on serait réticent à proposer une péridurale parce que cela implique, outre le coût des médicaments, la présence d’un anesthésiste (je pense que les tarifs des médecins sont beaucoup plus élevés en Angleterre), et une surveillance supplémentaire. Donc un coût supplémentaire.

Dans les deux cas, des enjeux financiers placés avant les intérêts des mères et de leurs bébés, des arguments battis non sur « l’evidenced based medecine » mais en fonction de la cause à défendre!

Is breast best? Or is it all just milk?  – Le sein c’est mieux? Ou tout ça c’est juste du lait?

Zoe Williams a allaité ses deux enfants jusqu’à 6 mois. Et pourtant, elle avoue n’avoir aucune sympathie pour les « lactivistes »:

… I read an article in the Atlantic magazine (www.theatlantic.com/doc/200904/case-against-breastfeeding) which, looking back, I think marked the beginning of the breastfeeding backlash.

The point is, if it works, it’s great. If it works, it’s the best thing on earth. But for plenty of people, and I mean loads, I mean at least half of everybody I know who’s ever had a child, it does not work that well (…). I am not saying these problems are insurmountable, rather that however timeless and bountiful the activity is, there is a vast assortment of things, medieval and modern, that can go wrong with it, and generally speaking, they are not the mother’s fault. So if, as a matter of policy, you’re going to persists with orthodoxy that breastfeeding is the only acceptable option, that even a small amount of formula mix’n’match will destroy the protective qualities of breast milk, then you need to have a bloody good case.

In fact, the case of breastfeeding is not that strong (…) To be brief, it is emerging that breastfeeding definitely protects babies against gastric bugs, but only to the tune of four babies in 100 getting one less bout of a bug, over the period that they’re breastfed. Since you can’t tell the difference, at this age, between diarrhoea and a normal poo anyway, this does not seem like a claim you’d want to stake your reputation on. (…)

But for all the rest, the evidence is much milder: the statistic showing less asthma, less eczema, less obesity, fewer ear infections: These haven’t been adjusted for social class and environment. It boils down to : “Middle class babies do better; middle class babies tend to be breastfed.” Babies, in this respect, have something in common with the rest of humanity, in that the more affluent they are, the better their general health.

Traduction libre: … J’ai lu un article dans Atlantic magazine (www.theatlantic.com/doc/200904/case-against-breastfeeding) qui, quand j’y pense, a probablement marqué le début du rebond anti-allaitement.

Le fait est que si ça marche, c’est super. Si ça marche, c’est la meilleure chose au monde. Mais pour beaucoup de gens,  je veux dire des tas de gens, je veux dire au moins la moitié des gens que je connais qui ont eu des enfants,  ça ne marche pas si bien que ça (…). Je ne dis pas que ces problèmes sont insurmontables, mais plutôt que peu importe à quel point allaiter peut être satisfaisant et gratifiant, une foule d’obstacles peuvent survenir, et en général, ces obstacles ne sont pas de la faute de la mère.  Donc si l’on veut maintenir que malgré tout, l’allaitement est le seul choix acceptable, et que même un peu de lait maternisé par ci par là peut compromettre les bienfaits du lait maternel, on a intérêt à monter un sacré bon dossier en faveur de l’allaitement.

Or, le dossier de l’allaitement n’est pas si bon que ça (…) en bref, il apparaît clairement qu’allaiter protège les bébés des infections digestives, mais seulement dans la proportion de 4% de bébés ayant eu un épisode de moins d’infections digestives au cours de leur allaitement. A partir du moment où à cet âge-là, on ne fait pas bien la différence entre une diarrhée et un caca normal de toute façon, cela ne semble pas vraiment un bénéfice sur lequel on peut fonder toute sa légitimité (…)

…Mais pour tout le reste, les preuves sont beaucoup plus fragiles: moins d’asthme, moins d’eczéma, moins d’obésité, moins d’infections ORL : Les résultats n’ont pas étés ajustés selon le niveau économique et social ou l’environnement. On peut le résumer ainsi: « les bébés de classe moyenne se portent mieux; les bébés de classe moyenne sont souvent allaités. »  Les bébés, à cet égard, ont ceci en commun avec le reste de l’humanité: plus ils sont riches, meilleur est leur état de santé.

L’auteur remonte le fil des recommandations du NHS en matière d’allaitement (6 mois d’allaitement exclusif, 2 ans en tout): Elles sont basées sur 22 études récentes de l’OMS, 11 dans effectuées dans les pays développés, 11 dans des pays en voie de développement. Et Zoe Williams arrive à la conclusion qu’en réalité, le seul bénéfice réel et avéré de l’allaitement, est d’être une forme de contraception pour les populations qui n’y ont pas accès, donc un moyen pour l’OMS de contrôler la démographie!

Alors, attention, je tiens à la citer également sur ce qu’elle a ressenti pour son allaitement:

.…it is so brilliant when it works that I would have breastfed even if it had made the babies’ IQ go down – c’est tellement génial quand ça marche que j’aurais allaité même si l’allaitement entrainait une baisse de QI chez les bébé.

Il ne s’agit pas de contester le choix d’allaiter, et il n’est pas question ici de brandir les traditionnels arguments féministes qui consistent à dire que l’allaitement est une forme d’aliénation des femmes. Mais il s’agit de dénoncer la véritable propagande sur les bienfaits de l’allaitement, qui semble ne pas reposer sur « l’evidenced based medecine ». Un passage qui m’a fait rire: La journaliste compare les lobbies lactivistes au lobbies pro-tabac – et constate que ces derniers ne sont pas aussi puissants, puisqu’on ne peut plus fumer dans les bars mais qu’on peut maintenant y allaiter son bébé: paradoxe vu qu’un bonne clope va beaucoup mieux avec un verre de vin qu’un nourrisson qui vous contraint à vous limiter à un bien triste jus de papaye. Elle dit avoir appelé un grand restaurant londonien et demandé s’il était possible d’allaiter dans leur établissement. On lui aurait répondu:  Mais bien entendu Madame. En revanche nous n’admettons pas les bébés.

 ..

Voilà, tout comme pour le livre de Blandine Poitel, je n’ai pas vérifié les conclusions de toutes les études citées, et je pense qu’il faut prendre avec des pincettes toute conclusion tranchée: conclure que l’allaitement n’a aucun bienfait avéré mis à part être un contraceptif, ou que la péridurale c’est la panacée, cela me semble excessif. Mais en Angleterre, accoucher sans péridurale est  la norme, et l’allaitement est quasi obligatoire – Et donc retour de bâton: On est une mauvaise mère si l’on souhaite une péridurale et on est une empoisonneuse si l’on ne souhaite pas allaiter! Alors autant en France, les ouvrages tels que ceux de Blandine Poitel sont nécessaires, autant en Angleterre, il me semble que celui de Zoe Williams est au moins aussi important. Et cerise sur le fish’n’chip, j’ai trouvé ce livre très décomplexant, et surtout, j’ai passé un bon moment et j’ai bien ri!

Drenka

.

* Re-Edition de 2012, première édition en 2010 sous le titre Bring It On, Baby: How to have a dudelike pregnancy