Le numéro de Sciences humaines de Juillet intitule son dossier « Peut-on ralentir le temps ? »

Qui ne ressent pas cette course frénétique au toujours plus en toujours moins de temps ?

Nous vivons un formidable paradoxe, alors que tous les nouveaux outils technologiques pourraient nous permettre de faire pareil en moins de temps, et donc d’avoir plus de temps pour un tas de choses, il est de bon ton au travail et en société de paraître éternellement débordé.

Alors forcément, le titre m’a attirée.

Et c’est comme ça que j’ai découvert qu’il existe un slow movement, et même une Société de Décélération du temps qui compte 700 membres (universitaires, entrepreneurs, thérapeutes, artistes, juristes, politiques) provenant d’Europe, d’Amérique du Nord et du Sud,  et se réunit chaque automne en Autriche dans la ville de Wagrain.

Le mouvement a commencé dans les années 80 par le slow food, qui privilégie les plaisirs de la table et la convivialité, ainsi que l’art de choisir les produits à cuisiner.

Le mouvement se généralise à tous les aspects de la vie.

Et ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, l’application de cette philosophie à l’éducation ou « slow education », qu’on pourrait traduire ici par « l’éducation lente ».

On trouvera ici en lien l’encadré paru dans Sciences Humaines. Il ne s’agit pas de ralentir les enfants, mais de trouver le rythme adapté à chacun.

Selon Maurice Holt,

L’accent est mis sur « l’uniformité, la prévisibilité, et la mesurabilité des processus et des résultats  » impliquant que chaque enfant doit obtenir au même moment les mêmes résultats en fonction de l’avancée des programmes scolaires.

Dans son article « It’s time to start the slow school movement » , il décrit comment les Etats Unis sont arrivés à ce qu’il nomme « fast school », en voulant appliquer les mêmes principes de management à l’école que dans l’industrie : des standards, des mesures de performance , des indicateurs.

Et de remarquer :

It’s curious that, in an age when the right of adults to shape their own lifestyle is taken for granted, the right of children to an education that will help them make something of themselves is more circumscribed than ever.

Il est curieux qu’à une époque où le droit des adultes à façonner leur propre style de vie est garanti, le droit des enfants à une éducation qui les aide à faire d’eux-mêmes quelque chose est plus limité que jamais.

Il démontre que cette vision standardisée de l’éducation n’est pas efficace.

We remember from our schooldays not the results of tests but  those moments when a teacher’s remark suddenly created a new perception.

De nos jours d’école, nous ne nous souvenons pas des résultats des évaluations, mais quand la remarque d’un enseignant a soudain déclenché une nouvelle perception

Il décrit la philosophie du mouvement slow food, en tant que philosophie de vie qui privilégie tous les aspects économiques (préserver la variété des produits de terroir) et sociaux ( transmissions culturelles culinaires, moments d’échange en famille) , par opposition au « fast food », où il s’agit de manger rapidement un produit standard.

De la même façon que la fast food, une « fast school » est standardisée, mesurable et produit les connaissances et compétences dont le « business » a besoin.

Mais ,

But if schools exist to equip students with the capacity to address the unpredictable problems of adulthood and to establish themselves in a world of growing complexity, then crucial disadvantages emerge

Mais si l’école existe pour équiper les étudiants des capacités à traiter les problèmes imprévisibles de l’âge adulte et pour trouver leur place dans un monde de complexité croissante, alors des désavantages cruciaux apparaissent.

On trouve aussi dans cet article un bref historique de l’évolution de l’école aux US, et le modèle français post-révolutionnaire d’une école ayant un but égalitaire et démocratique est cité en exemple (!)

Bon vu des US, c’est peut-être compliqué de voir que le modèle de Jules Ferry qui avait pour but de faire accéder toute une population à majorité non francophone (chaque région parlait son dialecte) au français et à la lecture avait certainement aussi une volonté d’uniformisation, et qu’elle a aujourd’hui complètement perdu sa vocation égalitaire.

Cette tendance à la normalisation avec la mesure continue de compétences multiples , est me semble-t-il aussi perceptible chez nous, avec ce fameux socle commun de compétences, et ces évaluations continuelles sur tout.

Dans sa description de ce qu’est « l’école lente », je retiens :

The idea that « less is more » fits exactly with an emphasis on intensive rather than extensive experience

L’idée que « moins est plus » correspond exactement à l’importance d’une expérience intense plutôt que complète

(traduction un peu approximative , je trouve la phrase ambiguë !)

The slow school is a place where understanding matters more than coverage

L’école lente est un lieu où il est plus important de comprendre que de tout traiter

Il propose de prendre exemple sur des écoles jusqu’alors marginales, et de fédérer les partisans en association pour faire des propositions d’une sorte de « refondation » de l’école.

J’ai compris qu’il prône une certaine autonomie des enseignements et des programmes, et là je ne suis pas complètement d’accord, mais bon c’est clair que je suis issue de ce fameux modèle français républicain.  D’un côté je suis d’accord avec le fait que le même enseignement pour tous n’est pas pertinent, parce que chaque enfant a des besoins spécifiques (c’est une peu la même idée que « donner pareil c’est donner moins »), mais je demeure attachée à un socle commun culturellement fédérateur.

Maurice Holt cite aussi Ken Terawaki, un membre du ministère de l’éducation du Japon, où une expérience inhabituelle octroyant à des étudiants des plages de liberté a été menée :

« that an orderly and unimaginative school system excels at producing pliant, disciplined workers . . . but is failing to produce the problem solvers and innovators of the future »

« un système scolaire ordonné et sans imagination excelle à produire des travailleurs souples et disciplinés, mais échoue à produire des trouveurs de solution ou des novateurs pour le futur »

Il exprime aussi que dans la lenteur est associée à la fois l’idée de plaisir et d’approfondissement.

Il ne dit pas explicitement que le plaisir est nécessaire à l’apprentissage, mais en y réfléchissant un peu c’est implicitement très présent.

Pour en savoir plus, on trouvera dans un numéro de la revue Silence (que je ne connaissais pas du tout !) un dossier comprenant des textes des pionniers de l’école lente :

– Car Honoré qui a écrit « l’éloge de la lenteur » et  « Manifeste pour une enfance heureuse »

Jean-Pierre Lepri et CREA-Apprendre la vie (Cercle de réflexion pour une ‘éducation’ authentique)

– Joan Domenesh Francesch qui a écrit Eloge de l’éducation lente (voir par ici ) et qui propose 15 principes sur le rapport au temps de l’apprentissage (voir dans la revue silence p11)

– Gianfranco Zavalloni sur lequel je n’ai  trouvé que des écrits en italien !

-Maurice Holt , professeur d’éducation à l’université de Denver, cité aussi dans l’article de Sciences Humaines.

D’autres liens :

Ecoles du monde 

Dire que je voulais faire simple à partir de l’article de Sciences humaines ! Je me suis laissée complètement happer par le sujet.

Cela me rappelle tout de même cette phrase de Montaigne qui m’avait inspiré il y a presque un an « Enseigner, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu »

Il n’y avait pas l’idée de lenteur, mais on retrouve le concept défendu par Maurice Holt de la nécessité d’un enseignement qui développe la personnalité, la réflexion et non un gavage de connaissances.

Au fait, pour l’instant, ce sont les vacances, alors farniente … LENTEMENT !!

Phypa