Un soir, à la sortie des classes, ma fille me dit :

« Maman, aujourd’hui, c’était nul, personne n’a voulu jouer avec moi… je suis restée toute seule sur un banc. J’ai même un peu pleuré… »

Est-elle vraiment restée toutes les récrées seule sur un banc, ou y a t’elle passé 5 minutes, lui semblant une éternité?

Un autre soir, elle rapportera qu’untel l’a embêté avec ses copains et encore un autre soir, elle me racontera comment elle a joué à Master Chef ou à faire semblant de faire du poney dans la cour.

Pour tous ses petits moments que je rate, j’aimerai parfois être une petite souris et savoir enfin quel poids accorder à chacune de ses paroles. A mon avis, de nombreux parents font le même souhait. Dans un sens, j’ai de la chance, cette année, j’avais un espion infiltré dans la cour grâce à mon fils aîné. Et inversement, je pouvais savoir en partie ce qu’avait réellement fait mon garçon grâce à ma cadette. A la rentrée prochaine, ce sera finie..

Julie Delalande, ethnologue, a tenté d’infiltrer les cours de récréation afin de savoir comment les enfants se débrouillent entre eux, quelles règles ils établissent, comment ils fonctionnent.

Quand ma fille chantonne :

« Trou Trou … Un Carambar a dit tu te barres, au bout de 3, 1 … 2 … 3! »

Je sais qu’elle l’a appris à l’école car moi, je ne connais qu’un cochon pendu au plafond ou une vache qui pisse…

Mon fils quant à lui dira que faire plouf plouf, c’est un peu de la triche car selon où l’on commence, on sait sur qui cela tombera. Il a étudié le mécanisme et il en est sûr! D’après ma fille, le plus souvent, la formulette est utilisée pour désigner qui sera le loup glacé. Jamais personne ne veut être le loup glacé.

Sur la pratique du « trou trou » ou « plouf plouf », Julie Delalande explique que :

« Il recèle des enjeux sociaux puisqu’il permet de désigner comme chat celui qui sert de bouc émissaire et que l’on veut voir endosser le rôle que tout le monde redoute : le chat seul contre tous. S’il refuse ce rôle, il s’exclut de lui-même du jeu. »

« Le plouf-plouf est également remarquable pour l’univers magique, poétique et imaginaire qui entoure les formulettes : les enfants prennent plaisir à avoir en bouche un enchaînement de mots rarement explicites et à les faire sonner. Ils n’hésitent pas à déformer la version officielle si une idée leur vient alors qu’ils « plouffent ». En même temps qu’elle procure un plaisir de l’invention, la nouvelle variante participe d’une stratégie pour prolonger la formulette et changer l’issue du jeu. Les deux dimensions, sociale et culturelle, sont ici intrinsèquement liées. »

Toujours selon Julie Delalande, durant la récréation, la mise en place de jeux collectif comme par exemple le fameux « Master Chef » de ma fille contribuent à la construction de règles sociales.

« Le jeu collectif suppose une distribution des rôles et crée un lien de dépendance entre joueurs. Il lie ensemble les participants mais suppose qu’ils s’accordent sur la place de chacun dans le jeu et au-delà : il rend visibles des relations de pouvoir. »

Et c’est quand ma fille refuse de jouer au cours d’équitation imaginaire qu’elle se retrouve exclue du groupe, seule sur un banc… Elle me raconte aussi parfois comment elle est rejetée d’un groupe en arrivant trop tard après le début du jeu. La réponse qu’on lui donne est : « Toutes les places sont déjà prises ». En gros, tous les rôles ont été distribués.

« Si ce groupe se contente dans un premier temps de mettre en commun une pratique ludique, il devient rapidement un lieu où s’établissent des règles et des valeurs qui dépassent les jeux pour régir les relations entre copains. Il devient un espace d’expérimentation de la vie collective où les enfants mettent à l’épreuve nos règles sociales et se construisent, au fil des années, une histoire commune. »

Que nos enfants jouent aux billes, fassent le tour de la cour en sautillant ou en riant ou qu’ils se chamaillent durant le temps de la récréation, cela reste une parenthèse à eux dans la journée, un moment dont les parents doivent se tenir à l’écart, sauf si les enfants ont quelque chose sur le coeur à raconter… et je le sais pour l’avoir vécu l’année dernière en début d’année scolaire. La cour de l’école peut être dangereuse, ce n’est pas le pays des Bisounours, mais c’est là que se créent de belles amitiés et de jolis souvenirs, la plupart du temps. Comme le rappel Julie Delalande,

Dans leurs représentations, la cour constitue un espace où arrive la grande majorité des accidents, un moment peu surveillé par les adultes où règne la loi du plus fort. Il faut dire que les enfants se contentent souvent de raconter leurs mésaventures et leurs mauvaises expériences. Ils relatent plus rarement les bons moments passés entre copains ou gardent pour eux leurs petits secrets d’enfants comme les histoires amoureuses.

(source)

MissBrownie