Après Le bébé est un mammifère, de Michel Odent, je me suis plongée dans un autre ouvrage consacré à la naissance naturelle, aux Editions Instant Présent qui ont eu la gentillesse de confier aux Vendredis Intellos un exemplaire presse pour la bibliothèque volante.

Il s’agit du livre de Blandine Poitel, Les nouveaux rites autour de l’accouchement (paru en 2007).

Blandine Poitel est mère de trois enfants, et pour son 3ème accouchement, elle a pu s’éloigner un peu de l’accouchement conventionnel en hôpital. A ce moment-là, elle dit avoir eu une véritable révélation, et a depuis entrepris une croisade pour l’information des femmes en matière de naissance. C’est elle notamment qui répond dans de nombreux forums sous le pseudonyme de Search.  Enfin, elle a fondé le CIANE,  Collectif interassociatif autour de la naissance, dédié à la représentation des usagers dans le système de santé et à leur information, qui est une mine d’informations.

Comme les sites qu’elle a fondés, le livre de Blandine Poitel est très informatif et dénonce de manière méthodique et rigoureuse l’hyper médicalisation de la naissance, sans que cela soit médicalement justifié voire à l’encontre des intérêts de la mère et de l’enfant. C’est ce qu’elle entend par le mot « rite »: des pratiques qui s’appuient sur des croyances,  un conditionnement culturel ou des protocoles médicaux rigides sans réels fondements, plutôt que sur « l’evidence-based medecine », c’est-à-dire des études qui démontreraient les avantages de ces pratiques.

C’est donc une approche différente des ouvrages sur la naissance naturelle en général: l’auteur ne présente pas les bienfaits de la naissance naturelle,  mais elle dénonce les pratiques en obstétriques aujourd’hui et leurs graves conséquences, la plupart du temps mal connues voire cachées aux patientes.

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La douleur, et ce qu’est un accouchement physiologique (chapitres 1 et 2).

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J’ai particulièrement apprécié ces deux chapitres. Il me semble que dans les ouvrages que j’ai pu lire sur la  naissance naturelle, la douleur était un peu minimisée, ou considérée comme étant la conséquence d’une mauvaise position de la mère, ou des mauvaises circonstances de l’accouchement. Ici, Blandine Poitel explique le pourquoi de la douleur, et ne la minimise pas:

Bien que sensation subjective et donc difficilement appréciable par autrui, la douleur est estimée globalement sur 100 femmes qui accouchent, comme:

– Extrêmement violente (de l’ordre de celle provoquée par une intervention chirurgicale à vif) pour 25% d’entre elles.

– variable (de modérée à forte) pour 50% d’entre elles

– 25% des femmes ressentent peu ou pas de douleur, et certaines même, du plaisir

(Source citée: L’urgence et la douleur en obstétrique. Rôle de l’équipe d’anesthésie en obstétrique. Drs. J.P. Vigué et J.C. Mauchauffe. 02.2000)

Blandine Poitel se considère elle-même dans les premier 25%, puisqu’elle a connu des accouchements « par les reins ». Dans cette configuration, la position du bébé fait que l’accouchement est plus long car au lieu de faire 1/4 de tour, il doit faire 3/4 de tour sur lui-même, que les contractions sont moins efficaces car elles n’appuient pas au bon endroit, et que le bébé vient écraser avec sa tête certains nerfs de la zone lombaire ce qui est très douloureux.

L’accouchement physiologique est défini comme:

Un accouchement naturel, [et qui] se déroule dans le respect des processus des corps de la mère et du naissant

On le distingue d’un accouchement « eutocique », c’est-à-dire considéré comme normal, sans complications, mais pour lequel il y a eu un certain nombre de perturbations des processus physiologiques (utilisation de la péridurale, accouchement à plat dos, injection d’ocytociques etc…). Mais on le distingue surtout de l’accouchement « à l’ancienne » ou comme dans les tribus « primitives », sans assistance médicale, et la plupart du temps dans des conditions d’hygiène défavorables. Cette distinction est importante, car dans l’esprit du public il y a souvent une confusion entre l’accouchement naturel et l’accouchement non assisté, donc une crainte de l’accouchement naturel qui n’est pas fondée  – i.e. réclamez un accouchement naturel et vous êtes immédiatement estampillée: Folle Dangereuse.

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Les pratiques dénoncées: le modèle d’accouchement productiviste et standardisé (chapitres 3 à 6)

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Les 4 chapitres suivants sont consacrés aux principales pratiques dont la nuisance a été démontrée, et qui pourtant sont pratiquées de façon presque systématique, sans explication et sans véritable consentement de la patiente:

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  • La position en décubitus dorsal (sur le dos,les pieds dans les étriers): Une position qui aurait tout d’un rite. Elle n’est absolument pas adaptée parce qu’elle empêche le mouvement et l’adoption par la mère de positions favorables à l’évolution de l’accouchement (ces positions changent selon le stade du processus et la position du bébé), et décuple les douleurs (surtout pour l’accouchement par les reins). Pourtant, elle est imposée dans beaucoup de maternités et considérée comme la position conventionnelle (normale) pour accoucher.  L’auteur souligne aussi qu’elle place la femme dans une situation de dépendance et de soumission par rapport au personnel médical tout puissant. A lire ce chapitre, cette position serait quasiment à l’origine de tous les maux puisque douleurs accrues et ralentissement du travail entraineraient plus d’interventions médicales. Là-dessus, compte tenu de mon expérience, je voudrais apporter une précision: Pour les 9 premières heures de mon accouchement, j’étais libre de tout mouvement, mais la douleur n’étais soutenable dans aucune, et les contractions inefficaces même en ayant tenté le bain, la marche, le 4 pattes, la suspension au cou du chéri, et pour finir  l’escalade des rideaux pour tenter de sauter par la fenêtre! Il est certain que la position à plat dos doit aggraver les douleurs, mais adopter une autre position ne veut pas dire pour autant s’en libérer!
  • La péridurale: Une analgésie souvent considérée comme faisant partie intégrante du processus de l’accouchement, et sans conséquences aucune ni pour la mère ni pour le bébé. Blandine Poitel démonte ces croyances et expose tous les risques qui sont souvent tus aux parturientes. Sur ce sujet, je pense qu’il serait intéressant de vérifier les sources et les études qui sont citées, parce que certaines affirmations sont contradictoires avec ce que j’ai pu lire par ailleurs. Par exemple, un lien est fait entre péridurale et allaitement – or il n’est pas évident qu’il s’agisse d’un lien de causalité, comme l’explique très bien Miliochka dans cet article, ou bien encore entre péridurale et césarienne, ce que semble être contredit par certaines études. Enfin, un possible trouble du lien mère – enfant est évoqué: Là encore je crois que cela est à prendre avec beaucoup, beaucoup de précautions. Mais j’approuve la démarche informative bien sûr, et comme le dit l’auteur, nous ne pouvons pas être sûrs des répercussions psychologiques sur la mère et l’enfant, donc affirmer que la péridurale n’en a aucune semble aller à l’encontre de l’obligation d’information qui pèse sur le personnel médical.
  • La programmation de l’accouchement:  Une procédure qui peut être tentante lorsqu’à l’approche du  terme de la grossesse, la mère est quasi-invalide et que l’imprévisibilité d’une naissance peut poser des problèmes en terme d’organisation, par exemple pour la garde des ainés. Mais Blandine Poitel dénonce qu’à part les avantages en terme d’organisation, il y a peu d’indication médicale de déclencher un accouchement ou de l’accélérer en injectant des ocytociques. Là encore les effets de ce déclenchement sont disséqués et exposés, qu’il s’agisse des effets sur la mère comme des effets sur l’enfant. Un point qui m’a choqué: l’utilisation de substances (comme le cytotec, qui m’avaient été prescrit après une fausse-couche en vue d’un curetage) qui n’ont pas été approuvées par les fabricants pour cette utilisation.
  • L’épisiotomie : un acte terrifiant pour une primipare… et Blandine Poitel ne rassure pas du tout sur le sujet! Elle rappelle le taux très élevé d’épisiotomies (en particulier pour une première naissance) malgré le fait que leur dangerosité / inutilité ont été démontrées par nombreuses études. Elle dénonce le fait que dans beaucoup de cas, elle est pratiquée à l’insu de la patiente, donc sans son consentement. Et enfin elle fait part de témoignages de femmes qui ont été recousues à vif, dans des douleurs insupportables, ou encore qui ont définitivement perdu leur sensibilité et tout plaisir sexuel!

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Le projet d’accouchement (chapitre 7)

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Le dernier chapitre est consacré au projet de naissance, avec un exemple. C’est une piste qui me semble très précieuse, puisque chaque choix est justifié aussi bien d’un point de vue médical que juridique: je pense qu’il pourrait ainsi permettre à une future maman de discuter de ses choix en terme d’accouchement avec son médecin, et de pouvoir les étayer, et prouver qu’ils ne résultent pas d’un caprice, d’une méconnaissance de la réalité, voire d’influences de types sectaires comme peuvent parfois  le croire certains obstétriciens! L’auteur démontre en particulier que certaines études, parfois brandies pour justifier certains gestes, sont en réalité loin d’être probantes, et réalisées par des laboratoires en conflit d’intérêts. Elle fait également une piqûre de rappel sur les lois applicables en matière de consentement à un acte médical.

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Pour conclure, j’ai apprécié ce livre qui livre des informations primordiales quant aux choix en matière d’accouchement, mais qui sont souvent refusées ou cachées aux patientes.

Une critique quand même: je l’ai à plusieurs reprises trouvé alarmiste. J’entends que  l’obligation d’information du personnel médical  s’étende à citer tous les risques, même si les risques sont rares. Mais parfois j’ai eu l’impression que Blandine Poitel présentait les choses de façon très anxiogène. Deux exemples:

P. 105, il est question des gestes pratiqués sur le bébé juste après la naissance:

– Les conditions d’accueil du naissant:

Il est extrait de sa mère, posé quelques minutes sur elle puis il est arraché à elle doit subir sans explication des manipulations brutales, intrusives, douloureuses… et inutiles dans la grande majorité des cas.

Certains en meurent de cet accueil.

Il faut ensuite se reporter à une note (à la fin de l’ouvrage), pour lire que la mort d’un nourrisson à la suite de ces premiers gestes est extrêmement rare et qu’il n’est pas démontré qu’elle soit due à ces gestes.

Et p.115,  sur l’épisiotomie (un passage qui m’a traumatisée, alors même que j’en ai eu une et que les choses se sont plutôt bien déroulées pour moi):

Mais parfois:

… le moment de la suture, réalisé dans aucune anesthésie reste le pire moment de l’accouchement…  « la pire douleur de ma vie, bien pire que les contractions » ;  » j’ai hurlé de douleur plus d’une heure, je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse imposer cela à une femme qui vient d’accoucher »

Je ne sais pas avec quelle fréquence la suture – qui pourrait d’ailleurs être faite après une déchirure et pas seulement une épisiotomie – dure plus d’une heure, et est faite sans anesthésie.

En outre, pour l’heure, en France en tout cas, je ne sais pas si éviter tous ces gestes est possible. Beaucoup de maternités n’ont pas de salles de naissance « dé-médicalisées », et je ne sais pas dans quelle mesure on peut refuser que son enfant soit examiné après sa naissance, quels gestes sont inutiles, quels gestes sont obligatoires? Dans le cas où il n’y a pas véritablement de choix, l’information est-elle un plus ou une source d’angoisse? Pour ce qui concerne la péridurale, en cas de douleur insupportable, est-ce qu’une jeune maman ne risque pas de « craquer » puis d’avoir peur des conséquences de sa « faiblesse »? D’autant que dans beaucoup de cas, il y a une très forte incitation de la part du personnel soignant pour y recourir.

Peut-être à ne pas mettre entre les mains de futures mamans angoissées, donc. Mais un grand coup de pied dans la fourmilière à mon sens nécessaire!

Drenka