Lorsque j’ai lu cet article de mamanpsychomot il y a quelques semaines sur les courants dénatalistes, j’ai franchement été atterrée. Je comprends parfaitement que l’on puisse prendre la décision de ne pas avoir d’enfant. Mais de là à prôner une limitation du nombre d’enfants applicable à tous, que cela soit sur la base de considérations économiques ou bien écologiques… Je suis peut-être trop sensible sur le sujet compte tenu de mon expérience de la souffrance que peut-être le mal d’enfant, mais il me semble que cette idée manque totalement d’humanité, et en outre, je doute de son efficacité et de sa nécessité.

Et puis je suis tombée sur cet article, paru dans The Guardian le 16 juin 2012:

3 Chinese officials suspended over forced abortion
China suspended three officials and apologized to a woman who was forced to undergo an abortion seven months into her pregnancy in a case that sparked an uproar after graphic photos of the mother and her dead baby were circulated online.

The moves appeared to be aimed at allaying public anger over a case that has triggered renewed criticism of China’s widely hated one-child limit. Designed to control the country’s exploding population, the policy has led to often violently imposed forced abortions and sterilizations as local authorities try to meet birth quotas set by Beijing.

Feng Jianmei, 23, was beaten by officials and forced to abort the baby at seven months on June 2 because her family could not afford a 40,000 Yuan ($6,300) fine for having a second child, Chinese media reported this week.

Traduction libre:

3 Officiels chinois suspendus à la suite d’avortements forcés

La Chine a suspendu 3 officiels et s’est excusée auprès d’une femme qui a été forcée de subir un avortement à 7 mois de grossesse, dans une affaire qui a suscité un tollé après que les photos  de la mère et son bébé mort aient circulé en ligne.
La décision semblait viser à apaiser la colère de l’opinion publique sur une affaire qui a relancé la critique de la politique de l’enfant unique, largement détestée en Chine. Conçue pour contrôler l’explosion démographique chinoise, cette politique a souvent conduit à imposer par la violence des avortements et des stérilisations, les autorités locales tentant ainsi de parvenir à respecter les quotas de naissance définis par Pékin.
Feng Jianmei, 23 ans, a été battue par les officiels et forcée d’avorter de son bébé à sept mois le 2 juin dernier, parce que sa famille ne pouvait pas s’acquitter des 40,000 yuan ($6,300) d’amende pour avoir un deuxième enfant, ont reporté cette semaine les medias chinois.
Je ne savais même pas que cette politique chinoise de l’enfant unique était toujours en vigueur tant elle me parait d’un autre âge. Mais l’article m’a donné envie de me pencher sur la question: Oui ou non, la limitation du nombre d’enfants est-elle nécessaire, efficace, et quelles sont les dérives d’une telle politique?

Pourquoi contrôler la croissance démographique?

La nécessité de contrôler la croissance de la population est prônée par l’économiste Thomas Malthus dès le XVIIème siècle. Malthus côtoyait la pauvreté, et avançait qu’elle était due au fait que la population croissait plus vite que les ressources alimentaires. Il en déduisait que pour éviter la famine, et rétablir l’adéquation entre les ressources et la population, il fallait limiter les naissances (et accessoirement ne pas aider les nécessiteux).

Pour Malthus et aujourd’hui des mouvements néomalthusiens, le risque est l’extrême paupérisation en raison de la surpopulation, voire une disparition de l’espèce humaine (entre autres espèces!) après que les ressources de la planète aient été épuisées.

Cette théorie est aujourd’hui en plein cÅ“ur de l’actualité, et de nombreux mouvements (écologistes mais pas seulement) tirent la sonnette d’alarme. Dans les pays en développement, la crainte est la famine à court terme en raison d’une explosion démographique difficile à contrôler, en particulier lorsque les religions sont prégnantes et la naissance « un don de Dieu ». Et dans les pays industrialisés, si le nombre d’enfants par femme est plus bas, le problème se situerait dans l’empreinte écologique (ou empreinte carbone) de chaque individu. Selon Jonathon Porritt, président de la Commission du développement durable en Angleterre :

Selon une étude récente, chaque bébé né en Grande Bretagne, brûlera, pendant sa vie, la quantité de carbone équivalente à Trafalgar Square

Le fait que notre civilisation soit complètement dépendante de l’énergie fossile non renouvelable (en particulier pour la production agroalimentaire) dont le tarissement est inévitable à moyen voire court terme, est également une préoccupation majeure.

La méthode

La méthode chinoise, mise en place en 1979, est drastique et extrêmement coercitive: une limitation légale à un seul enfant pour la grande majorité de la population, et des sanctions très dissuasives, en particulier, une « amende astronomique, une pénalité salariale, voire la perte de son emploi » – sans oublier l’absence de couverture sociale pour tous les soins relatif à la grossesse et au bébé. Si la famille ne peut pas payer, les autorités peuvent imposer un avortement (parfois très tardif, par injection létales), ou encore la destruction du logement et la saisie de tout le mobilier.

Heureusement, les mouvements dénatalistes, dans la plupart des cas, ne sont pas pour l’application d’une politique aussi sévère. D’autres méthodes pourraient consister en une politique à base de récompenses ou d’incitations: la fin des avantages fiscaux calqués sur le nombre d’enfants et au contraire des avantages accordés aux célibataires et couples sans enfants par exemple. En Inde, il y a quelques années, on offrait un poste de radio aux hommes qui acceptaient de subir une vasectomie!

Mais surtout, ces mouvements semblent prôner une responsabilisation individuelle des couples. C’est par exemple ce que dit Christine Overall, professeur de philosophie à l’Université du Queens, dans cet article: « having children has impact far beyond the family circle », avoir des enfants a un impact qui va bien au-delà du cercle familial et dès lors, chaque couple devrait bien « réfléchir avant de se reproduire ». Les néomalthusiens font ainsi de la limitation des naissances un droit mais surtout un devoir moral humain.

Les effets pervers

Dans le cas de la politique chinoise de l’enfant unique, outre une augmentation remarquable du nombre de stérilisations et des avortements – consentis ou forcés – cette politique a eu des effets dramatiques sur le plan humain. Dans ce cadre de société patriarcale et patrilinéaire, elle a notamment provoqué un véritable génocide des filles, par avortement sélectifs (à l’aide de l’échographie notamment), infanticide, abandon ou absence de déclaration des filles les privant de toute existence légale et donc de tous droits sociaux. Aujourd’hui il y a 117 garçons pour 100 filles en Chine et leur raréfaction, loin d’améliorer le sort des femmes, entraine toutes sortes de trafics, enlèvements, et mariages forcés.

Mais n’y aurait-il aucun effet pervers dans le cas d’une politique simplement incitative ou basée sur la responsabilisation individuelle ? Pour ma part je pense que si. Car si dans ce cas, il n’y aurait plus de sanction pénale concrète, il y aurait cependant une sanction beaucoup plus insidieuse, sociale. La culpabilisation par l’établissement d’une norme stricte et la stigmatisation ne me semblent pas non plus un sort enviable pour les couples qui auraient vocation à avoir une famille nombreuse.

En outre, alors que cette politique promettait une émancipation des femmes, qui ne seraient plus enchainées à leur foyer, elle a au contraire en Chine eu pour effet une régression des femmes sur le plan social. Les femmes n’ont plus le contrôle de leur fécondité, et la mainmise de l’État sur leur utérus est en réalité une forme de domination :

Finalement, la femme chinoise est réduite à une fonction de mère porteuse. Porteuse d’enfants, elle est porteuse de l’avenir de la nation, porteuse de modernité. Elle est porteuse d’enfants mais d’un minimum et, si possible, des mâles. Elle porte et c’est tout. On lui dit combien, on lui dit quand, on lui dit quoi ; elle ne décide de rien. Elle supporte toute la responsabilité de la limitation des naissances et toutes les contraintes qu’elle impose simplement parce que c’est son corps et lui seul qui est en mesure de donner la vie (extrait de ATTANE I., Une chine sans femmes ?  p.211-212, Ed. Perrin, Paris) .

Ainsi, ce sont les femmes qui doivent prendre une contraception, se faire stériliser (les hommes ont peur d’y perdre leur virilité), subir des avortements même très tard dans la grossesse, peut-être au prix de leur vie. Comme parallèlement, puisqu’officiellement la contraception est une affaire privée, aucune mesure n’est mise en place dans le domaine de la santé maternelle, les femmes paient en définitive un lourd tribut à la limitation des naissances sur le plan social et de leur santé.

Résultats

Les résultats des politiques de limitation des naissances sont délicats à commenter parce qu’ils reposent que sur des prévisions démographiques dont la fiabilité est incertaine. Ainsi, à première vue, le résultat semble incontestable en Chine, puisque le taux de fécondité a baissé de 6.06 à 1,73 enfant par femme. Mais en réalité, la même baisse a été constatée d’autres pays asiatiques (Corée du Sud, Malaisie, Singapore, Thaïlande) qui ne pratiquaient pas de politique de limitation des naissances…

Et est-ce que cette politique a permis d’éviter l’inadéquation des ressources et la paupérisation? Ce n’est pas certain. Même si la Chine, en plein boum économique, a réduit de façon remarquable le taux de sa population vivant en état d’extrême pauvreté, la répartition des richesses très inégale a laissé en marge de la croissance une partie très importante de la population. La Chine est l’un des pays où la fracture sociale est la plus profonde.

Tout comme le faisait Malthus, les néomalthusiens appuient leurs théories sur des prévisions démographiques et écologiques alarmante. Mais les prévisions de Malthus ne se sont pas réalisées. Révolution industrielle puis révolution verte, et transitions démographiques grâce à l’éducation des femmes et leur accès à la contraception, ont fait en sorte que les catastrophes malthusiennes annoncées nous ont pour le moment épargnés. En fait les prévisions démographiques se sont presque toujours révélées fausses, et aujourd’hui beaucoup de démographes s’accordent à dire que la « bombe P » – bombe démographique – n’explosera pas. Dès lors, comment ne pas remettre en question des conclusions qui s’appuient sur des données sur lesquelles nous n’avons pas de certitudes?

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En conclusion, j’entends les préoccupations écologiques. Je ne conteste pas que la baisse des naissances est nécessaire dans les pays en développement, ne serait-ce que parce que la possibilité pour les femmes d’avoir le contrôle de leur fécondité me semble être un droit fondamental. Mais je continue de penser qu’une politique dénataliste n’est pas la solution, même si elle est simplement incitative, et surtout pas si elle consiste en une responsabilisation individuelle. Je crois que dans les pays en développement, c’est l’accès à la contraception et l’information qui permettra une transition démographique telle qu’elle a déjà eu lieu en Asie. Je crois que dans les pays industrialisés c’est la lutte contre le gaspillage, plus que la décroissance de la population, qui est la solution. Je ne crois pas qu’en limitant les naissances en dessous du seuil de renouvellement (2,1 enfants par femme), on puisse garantir sa survie, au contraire. Ma crainte est inverse. Au Japon, le suicide démographique semble déjà être en marche, et dans tous les pays industrialisés, la fertilité est en déclin. Enfin, je suis peut-être trop optimiste, mais je me plais à penser que nos enfants trouveront des solutions, créeront leur propre révolution verte, sauront comment s’adapter.

Alors, quand les néomalthusiens dénoncent l’aveuglement, ou le refus délibéré de parler de limitation des naissances parce que c’est un tabou, je pense qu’ils se trompent. En tout cas, moi qui, instinctivement, étais contre cette thèse,  j’y ai bien réfléchi, et je peux me tromper, mais je ne crois toujours pas que c’est une bonne idée!

Drenka