Prenez un petit groupe de femmes, jeunes mamans ou en passe de le devenir, et glissez le mot “péridurale“ au milieu de la conversation. La plupart du temps vous obtiendrez des réactions très contrastées et peu nuancées, du genre «la péridurale c’est pour les chochottes !», «comment peut-on choisir d’accoucher sans alors qu’on est au 21e siècle ?»,  «j’ai peur de souffrir», «je veux accoucher naturellement comme toutes les femmes avant moi» etc…

Mais finalement, combien d’entre elles, combien d’entre nous, savent réellement ce qu’est une péridurale, savent qu’il existe une très grande variété de produits et de mode d’administration ? Comment se sont elles informées avant de faire leur choix ? Repose t’il sur des arguments objectifs, sur des sentiments, des ressentis, sur des on-dit… ?

Dès que j’ai rejoint les VI il y a quelques semaines, j’avais très envie de faire un post sur LES péridurales. Qu’il soit dit haut et fort avant de commencer que mon objectif n’est pas de juger, ni de prendre partie, seulement d’essayer d’apporter des infos les plus concrètes possibles sur les différents types de péridurales obstétriques. Je ne suis pas médecin, je ne suis pas sage-femme, mais mon souhait est que les femmes puissent avoir en main le plus d’informations possible avant de faire leur choix. Si tant est qu’elles puissent en faire un (mais ça, c’est une autre histoire !)

Rentrons dans le vif du sujet…

Qu’est ce qu’une péridurale ?

C’est une façon d’injecter un produit, tout comme on parle d’intraveineuse, de sous-cutanée etc… Faire une injection péridurale c’est amener un produit, quel qu’il soit, dans l’espace péridural, c’est à dire au niveau de la moelle épinière, juste à l’extérieur de la membrane qui entoure les fibres nerveuses. Selon la zone anatomique que l’on vise, on peut réaliser une péridurale au niveau des vertèbres cervicales, dorsales, ou dans le cas qui nous intéresse, lors d’un accouchement, au niveau des vertèbres lombaires.

Un document rédigé par la Société Suisse de Gynécologie et d’Obstétrique (SGGG) explique :

Le terme anesthésie veut dire privation générale ou partielle de la faculté de sentir, alors que le terme analgésie signifie abolition de la sensibilité à la douleur.

Anesthésie péridurale : Privation de la faculté de sentir de la partie inférieure du corps par administration de produits anesthésiants au niveau de l’espace péridural (espace entre les méninges et les corps vertébraux). L’état de conscience est conservé.

Analgésie péridurale : Abolition de la sensibilité à la douleur de la partie inférieure du corps par administration de produits analgésiants au niveau de l’espace péridural.

 

Avantages et inconvénients ?

Là aussi je me réfèrerai au document de la SGGG car il est assez bien fait (j’ai un peu raccourci le texte mais l’essentiel est là) :

Avantages

Actuellement la méthode la plus efficace pour le contrôle des douleurs lors de l’accouchement.
Les contractions ne sont parfois ressenties plus que comme de simples pressions au niveau de l’abdomen.
Contrairement aux opiacés, elle ne provoque pas de somnolence.
Pas d’effet négatif sur le bébé.
Au cas où une césarienne serait nécessaire, la péridurale peut être utilisée pour l’intervention; on parle alors d’anesthésie péridurale.

Parmi les effets secondaires possibles :
Sensation de chaleur au niveau du bas du corps,
Tremblements, démangeaisons
Faiblesse musculaire des membres inférieurs (ce qui pourrait limiter la capacité à déambuler ou à pousser)
Diminution de l’intensité des contractions, ce qui peut nécessiter l’administration d’ocytocine (hormone favorisant les contractions), voire exceptionnellement l’utilisation d’une ventouse ou d’un forceps.
Baisse de la pression artérielle justifiant l’accélération des perfusions ou l’administration de médicaments
Maux de tête après l’accouchement et au lever
Réactions allergiques

 

Un peu d’histoire

 

Je ne résiste pas à l’idée de vous raconter le point de départ de tout ça : l’analgésie péridurale a été inventée en 1885 par un médecin américain, le Dr James Corning, qui eu l’idée d’injecter ainsi de la cocaïne à l’un de ses patients souffrant de masturbation compulsive ! Plus sérieusement, elle a été utilisée pour soulager des femmes durant leur accouchement à partir de 1935, d’abord de façon anecdotique aux Etats-Unis, et s’est répandue surtout après guerre. Voilà enfin que la femme moderne pouvait se libérer de l’adage biblique « tu enfanteras dans la douleur » !

En France elle a fait doucement son apparition dans les années 70s. Son usage s’est généralisé jusqu’à devenir quasi systématique dans certaines maternités. D’après l’enquête nationale périnatalité, alors que 48,6 % des accouchements avaient lieu sous péridurale en 1995, ce taux atteint 70 % en 2010 (et même 80 % si on ajoute sa variante la rachianesthésie). Pourtant, dès 1995, l’Organisation Mondiale de la Santé classait la péridurale comme une pratique fréquemment utilisée à tort lors d’un accouchement…

Pourquoi un tel boom ? Les raisons sont multiples évidemment, à chercher du côté des femmes elles-mêmes et de leur rapport à la douleur. Mais il faut aussi s’interroger sur une certaine dérive dans les pratiques obstétriques. Certains voient la péridurale comme un moyen d’avoir des accouchements plus faciles à gérer pour le personnel soignant (même si cela requiert un anesthésiste), du coup les sages-femmes peuvent suivre en même temps beaucoup plus d’accouchements… Je résumerais de façon un peu caricaturale, mais je crois pas si éloignée de la vérité : un déclenchement pour être sûr de ne pas d’accoucher le week-end ou pendant les vacances du gynéco, une péri pour que madame ne hurle pas, de l’ocytocine pour que ça ne traine pas, une épisiotomie parce que c’est quand même plus pratique pour l’obstétricien, et pourquoi pas des forceps si madame n’arrive pas à pousser… et vive la médecine moderne :-((

Depuis quelques années, de plus en plus de femmes expriment leur désir d’accoucher sans péridurale. Parmi les arguments avancés, et ils sont extrêmement divers : la volonté d’être active durant l’accouchement (rester maître de ses mouvements, pouvoir marcher pendant le travail, changer de position, contrôler ses poussées…) la crainte d’une surmédicalisation d’un événement de la vie qui n’est pas une maladie (monitoring, sonde urinaire, cathéter d’intraveineuse, recours plus fréquent aux injections d’ocytocine, aux ventouses ou forceps, à l’épisiotomie…), le désir de vivre un accouchement le plus naturel possible (liberté de choisir sa position, ressentir ce que toutes les femmes ont toujours vécues depuis des millénaires…)

Impossible d’être exhaustive !

Plusieurs types de péridurales

Face à ces arguments, en fait peu de femmes savent qu’il existe différents types de péridurale lors d’un accouchement, et que finalement, certaines ne vont pas à l’encontre de leurs souhaits. Certaines permettent de marcher pendant le travail, de ressentir toutes les sensations, de contrôler soi-même les doses injectées… par ailleurs épisiotomie et forceps ne devraient en aucun cas être systématique sous prétexte d’une péridurale. Je vais tenter d’en décrire quelques unes ici. Bien sûr, il s’agit toujours d’actes médicaux, avec les risques que cela comporte, qui éloignent de « l’accouchement naturel » souhaitée par certaines d’entre nous.

Un document de l’association MAPAR (Mise Au Point en Anesthésie Réanimation) qui dépend du département d’anesthésie-réanimation du CHU de Bicêtre présente assez bien la diversité des pratiques actuelles, leurs caractéristiques et effets secondaires respectifs. Il est très complet même s’il date de 2008.

D’abord différents types de produits peuvent être utilisés. Une grande variété même, des anesthésiques locaux dérivés de la cocaïne (lidocaïne, bupivacaïne etc…) qui sont dilués avec divers types morphiniques (fentanyl, sufentanyl…) Entre eux, des différences parfois très importante en terme d’efficacité mais aussi dans le risque d’entraîner un bloc moteur, c’est-à-dire une paralysie transitoire des membres inférieures (on bloque les nerfs moteurs, ceux qui commandent les muscles, en plus des nerfs sensitifs, ceux qui transmettent notamment la sensation de douleur : la femme ne sent plus rien de rien, est incapable de pousser, d’où le plus souvent forceps et épisio…)

Classiquement ces produits sont injectés de façon continue, par une seringue électrique (ce qui a l’avantage de libérer le personnel soignant de cet acte…) Mais il existe une alternative considérée comme la technique de référence aujourd’hui :

La technique d’Analgésie Péridurale Contrôlée par la Patiente (APCP, qui date de 1988). Par rapport à une perfusion péridurale classique à la seringue électrique, l’APCP permet de réduire en moyenne d’un tiers la dose analgésique reçue. Le bénéfice en termes de réduction du bloc-moteur est cependant assez modeste et ne se traduit pas habituellement par une amélioration détectable de la mécanique obstétricale.

Par ailleurs, la péridurale peut aussi être administrée non pas en continue, mais en plusieurs fois, à la demande de la femme et par la sage-femme ou l’anesthésiste. On parle alors de bolus itératifs. Le risque c’est entre temps d’avoir des périodes où la douleur revient de façon trop intense, d’où une certaine insatisfaction des femmes. Ce risque de périodes où l’analgésie est insuffisante existe aussi pour l’APCP.

Enfin il y a une variante, la rachianesthésie. Dans ce cas les produits sont injectés par voie intrathécale, c’est-à-dire à l’intérieur même de la membrane qui entoure les fibres nerveuses. Si elle permet un soulagement très rapide de la douleur, elle ne peut être utilisée en routine (risques trop importants, et du coup elle est le plus souvent suivie d’une péridurale « classique ». Cette technique combinée divise aujourd’hui les obstétriciens…

A chacune sa péridurale
(enfin pour celles qui veulent, bien sûr !)

Aujourd’hui la péridurale ne doit plus être une contre indication à la déambulation. La femme peut marcher pendant son travail même sous anesthésie, avoir des mictions spontanées (donc pas d’obligation à la pose d’une sonde urinaire), des systèmes de monitoring mobiles peuvent aussi être utilisés, à condition que les doses et les produits soient bien choisis ! Un autre article du MAPAR explique cela très bien :

Il est actuellement possible de proposer la déambulation sous péridurale  à une parturiente dans le respect de certaines règles de sécurité. Aucun effet bénéfique ou indésirable sur le déroulement de l’accouchement (durée du travail, recours aux ocytociques, manœuvres instrumentales, état du nouveau-né à la naissance) n’est à ce jour démontré.

De tous les critères de jugement, l’indice de satisfaction maternelle est celui qui est retrouvé constamment meilleur chez les parturientes ayant déambulé : la femme se sent plus libre de ses mouvements. Il est parfois rapporté une diminution de l’intensité des douleurs et/ou une réduction de la demande en analgésique en posture verticale.

Le premier article du MAPAR que je cite, intitulé Modalités d’administration de l’analgésie péridurale : comment choisir ? se conclue ainsi :

L’analgésie périmédullaire obstétricale parfaite reste un objectif ambitieux qu’il n’est pas aisé d’atteindre. Il n’existe pas une seule recette applicable avec succès à toutes les parturientes. De plus, la technique choisie devra représenter un compromis entre les besoins de la patiente, sa sécurité et celle du fœtus, les ressources disponibles et l’expertise des personnels médicaux et paramédicaux.

Les besoins de la patiente ? Encore faut-il qu’elle ait pu les exprimer, concrètement, de façon sereine (c’est-à-dire avant, à plusieurs reprises et pas le Jour J entre deux contractions !) en s’appuyant pour cela sur une information complète et compréhensible ! Vœu pieu…

Mon expérience…

Voilà merci à celles (et ceux ?) qui m’ont lu jusqu’ici ! Je vais terminer sur un ton un peu plus personnel :

J’ai accouché à 2 reprises, à la maternité des Bluets à Paris (pour info, le lieu est réputé pour son respect du choix des femmes, ses baignoires pour accoucher, son action en faveur de l’allaitement etc… et contrairement à ce que l’on pourrait croire, elle affiche tout de même un taux de péridurale de 82 % !) J’ai fait le choix de la péridurale à chaque fois. Pourtant, en grande migraineuse, je sais un peu ce que c’est de gérer la douleur et d’autre part, le risque de céphalées suite à une péridurale me faisait un peu peur… J’étais par ailleurs ravie que les Bluets ne proposent pas un système d’autopompe, car pour une trouillarde comme moi, cela aurait certainement conduit à un gros surdosage de la péri !

La première fois que j’ai accouché, la péri était une évidence. Je n’ai eu que deux bolus pendant le travail, injectées à ma demande insistante par la sage-femme, qui m’ont permis de me reposer un peu après un faux travail de 36 heures à la maison. Ensuite, je me souviens parfaitement, distinctement, de la sensation d’avoir envie de pousser, de la douleur inouïe au moment du passage de la tête, de la phase de désespérance (très bien décrite ici sur les VI par Clem La Matriochka), de la sage-femme qui m’a demandé de ralentir, de maîtriser mes poussées pour ménager mon périnée (j’avais par dessous tout une peur panique de l’épisio !) Juste avant l’expulsion, mes contractions étaient encore espacées de 6 à 8 minutes. Même si elles étaient très efficaces, cet intervalle restait trop long et bébé a montré des signes de souffrance fœtale, donc j’ai une reçu une injection d’ocytocine pour rapprocher les contractions. Ca ne m’a pas empêchée de contrôler sa sortie. Je garde donc le souvenir d’un accouchement où j’étais active et où j’ai tout ressenti. Trois heures après je rejoignais ma chambre en marchant avec bébé dans son landau transparent. Grâce à une expulsion au rythme maîtrisé, et au massage du périnée à l’huile d’amande douce prodigué par la sage-femme juste avant l’expulsion, mon périnée n’a absolument pas souffert.

La seconde fois, j’ai à nouveau eu un nouveau faux travail de 24h (ce n’est que bien après que j’ai compris que cela n’était pas le cas pour toutes les femmes et que j’en avais quand même bien bavé !) Arrivée à la maternité, j’ai tenue «tranquillement» jusqu’à 7cm, puis quand même, j’ai réclamé la péridurale (oui, réclamer est bien le terme aux Bluets ;-) L’anesthésiste s’est un peu planté, de sorte que seul mon côté gauche était soulagé. Une sensation très étrange ! Mais gérable, donc j’ai refusé que l’on me repose une nouvelle voie. J’ai reçu là aussi deux bolus d’analgésique, et de l’ocytocine à la fin pour cause de contractions pas assez rapprochées (avec ou sans péri, elles ont toujours été espacées d’au moins 6 minutes). Je me souviens avoir marché, changé de position (finalement, quand l’envie de pousser est arrivée, je me suis allongée sur le côté gauche), avoir eu mal, très mal pendant l’expulsion (mais cette fois j’ai mieux gérer, car je « connaissais » cette douleur… Deux heures après, j’étais debout avec un périnée nickel !

Avant même de songer à avoir des enfants, la péridurale était pour moi une évidence. Je regardais les femmes qui choisissaient de s’en passer comme des extraterrestres, et j’était plutôt mal à l’aise (allez j’avoue, parfois même je les jugeait…) Puis mon point de vue a évolué après mon 1er enfant, car j’avais compris qu’une « péridurale light » m’avais permis d’être active et de ressentir mon accouchement, et aussi de réaliser que je pouvais contrôler ma douleur, par moi-même. Et que c’était bien ainsi, enfin pour moi. Pendant le travail, lors de mon 2ème accouchement, je me suis même demandée si je n’allais pas m’en passer, mais finalement non. Maintenant, quand je lis, j’entends des femmes qui font ce « non choix », je suis toujours un peu dubitative mais surtout impressionnée, respectueuse, et même, un peu jalouse !! (et si un 3ème devait se pointer, je serai assez tentée d’essayer sans, pour voir si j’en suis capable ;-) Par contre, je reste agacée quand les arguments qu’elles avancent relèvent de on-dit, ou d’un manque d’information sur les différentes pratiques de la péridurale.

Toute femme enceinte devrait pouvoir poser toutes les questions qu’elle veut lors de sa consultation d’anesthésie, être informées des produits, des doses, des modes d’administration… pratiqués dans la maternité, et d’être informée sur les effets et les risques avant de prendre sa décision. Toute femme devrait pouvoir avoir le choix de sa péridurale, ou de faire sans. Et d’être accompagnée dans ce choix.

Miliochka

 

Pour aller plus loin :

– Société Française d’Anesthésie et de Réanimation, mis en ligne en 2002

– Mémoire soutenu en 2011 par Marion Veyrac, pour le diplôme de sage-femme :

L’information des parturientes est–elle suffisante et adaptée pour un consentement libre et éclairé ?  

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EDIT du 25 juin 2012, pour aller encore plus loin, un post explorant les éventuelles conséquences d’une péridurale sur l’allaitement.