Je reviens sur mon article relatif à l’accès à parenté pour les couples homosexuels. Pour un couple homosexuel, lorsque la décision de fonder une famille est prise, il arrive que le couple,  devant les difficultés, voire l’impossibilité pour les hommes, de recourir à l’adoption, se tournent vers l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP)[1].  Comme je l’ai évoqué la semaine dernière, les objections à l’ouverture de l’AMP aux couples homosexuels sont différentes de celles à l’ouverture de l’accès à l’adoption. En plus des objections concernent la compétence du couple homoparental, le bien-être de l’enfant et son bon développement psychique, se posent deux problématiques supplémentaires: Le fait que l’AMP relève du droit à la santé, et le fait qu’elle instaure une inégalité entre couples hommes et couples femmes.

L’AMP et le droit à la santé

Selon l’article L. 2141-2 du code de la santé publique :

L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la demande parentale d’un couple. Elle a pour objet de remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. …

Je le disais ici, le débat du droit à l’enfant pour les couples infertiles me semble vain, parce que l’AMP relève du droit à la santé, l’infertilité étant une maladie. En application de cet article, l’AMP ne peut être entreprise que lorsque l’infertilité est pathologique, c’est à dire PAS lorsqu’elle est le résultat naturel du vieillissement, ou lorsque le couple veut opter pour l’AMP pour s’éviter les inconvénients d’une grossesse, par exemple. Et l’AMP est fermée aux couples homosexuels dont l’infertilité n’est pas pathologique. Ainsi, dans le cas des couples homosexuels, la question de la légitimité du désir d’enfant se pose.

Pour les associations qui défendent les droits des homosexuels, la restriction de l’AMP aux couples hétérosexuels souffrant d’une infertilité pathologique n’est rien d’autre qu’une discrimination fondée sur le style de vie [2] :

· Les arguments de « l’enfant objet » et du « droit à l’enfant » qui reviennent souvent dans le débat public ne semblent pas être posés dans les mêmes termes selon les catégories de personnes qui expriment le besoin d’une aide médicale à la procréation. Ce sont des assertions qui sont avant tout empreintes de jugement moraux et de préjugés, dont il n’y a pas lieu de tenir compte.

· L’argument de l’intérêt de l’enfant se pose à l’heure actuelle pour les « personnes » et non pour les personnes « potentielles ». Le fait que l’Etat se préoccuperait de l’intérêt d’enfants à naître n’est pas évident dans le cas de la procréation par rapports sexuels et on peut légitimement s’interroger sur le fait qu’il devrait s’en préoccuper dans le cas de procréations artificielles.

· Dans la mesure où la liberté de procréer (ou de ne pas procréer) est une liberté fondamentale de tout être humain que l’Etat protège (cf. la Convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés individuelles), il convient donc, selon ce principe moral et éthique fondamental, de continuer à préserver cette liberté en ouvrant à tous et à toutes les techniques de procréation artificielle ainsi que la possibilité de recourir à un don.

Outre l’argument classique de l’intérêt de l’enfant, le milieu médical est partagé[3] : certains estiment que le médecin ne doit intervenir qu’en cas de nécessité thérapeutique. Pour eux, accéder à ces demandes reviendrait à considérer l’enfant comme un remède ou un instrument de bien être. D’autres estiment au contraire que la santé est un état de bien-être physique, mental et social et que l’accès à la parenté est un facteur de bien-être et devrait donc être permis.

Peut-être parce que je suis infertile, je me positionne du côté de cette seconde conception et personnellement, je ne suis pas sûre de comprendre l’argument de l’instrumentalisation de l’enfant : Il me semble qu’il ne s’agit pas d’un objet convoité, mais d’une personne à qui le couple, après avoir longuement mûri un projet parental, est prêt à se vouer.

Le problème de l’inégalité homme-femme en matière d’AMP

L’autre problème posé par l’AMP est que concrètement, si pour les femmes, elle  est techniquement assez simple, elle implique pour les hommes le recours à une mère porteuse (ou Gestation Pour Autrui, GPA).

Les arguments développés en faveur ou opposés à la GPA sont extrêmement forts des deux côtés. Les arguments qui m’interpellent sont en particulier:

En faveur de la GPA, c’est la position d’Elisabeth Badinter par exemple[4]: Si elle est interdite, les couples iront trouver à l’étranger ce qui leur est refusé en France, créant ainsi un « tourisme procréatif » et la pratique des mères porteuses non encadrée pourra donner naissance aux pires abus, notamment la commercialisation du corps des femmes et leur exploitation. En outre, les femmes sont tout à fait capables de prendre cette décision concernant leur propre corps, et cela serait les considérer comme incapables que de décider pour elles de ce qu’elles peuvent ou non supporter. Pour Elisabeth Badinter, légaliser la GPA signifierait l’encadrer, et donc en contrôler les limites et les dérives – je ne peux m’empêcher de noter les similitudes des arguments en faveur de la prostitution développés par Peggy Sastre[5] !

Contre la GPA: c’est la position du Professeur René Frydman[6], par exemple, selon qui :

Loin de régler des problèmes, la légalisation des mères porteuses est un piège juridique, comme l’illustrent les très nombreux conflits auxquels donne lieu la pratique des mères porteuses là où elle est légale,
La marchandisation du corps féminin est la conséquence concrète et quasi-universelle de cette
légalisation. Elle conduit ainsi à une nouvelle exploitation, radicale, des femmes pauvres ;
Les conséquences psychologiques de cette pratique sont largement sous-estimées, et peuvent être graves… (Note de synthèse p.5).

A titre personnel, je pense qu’un cadre juridique pourrait effectivement limiter l’instrumentalisation purement mercantile de la femme. Mais même si j’ai adoré être enceinte, je ne pensais pas être à ce point affectée, et aucun cas je ne serais capable de subir une grossesse, un accouchement et ses suites, pour autrui. J’aurais donc tendance à être d’accord avec René Frydman lorsqu’il parle des conséquences graves qu’une grossesse pour autrui pourrait avoir pour la mère biologique.

Pourtant, si je suis plus réservée sur la légalisation de la GPA, je ne suis pas certaine qu’au motif que cela crée une inégalité couples homosexuels hommes – couples homosexuels femmes, on doive interdire l’accès à l’AMP aux couples lesbiens tant que la GPA est interdite. Au contraire, nos voisins les plus proches (dont la Grande-Bretagne, l’Espagne et la Belgique) interdisent la GPA, mais après avoir ouvert l’accès au mariage et à l’adoption aux homosexuels, permettent aux couples de femmes l’accès à l’AMP.

Pour moi il est difficile de prendre position sur la légitimité du désir d’enfant, puisque j’en ai conçu une telle souffrance qu’il m’est malaisé d’accepter de l’imposer à qui que ce soit. Mon avis est donc teinté de subjectivité et probablement biaisé. Mais au cours de mon parcours AMP, j’ai croisé  des couples de femmes en chemin vers la maternité : En plus des écueils habituels de l’AMP, les échecs répétés, les déceptions, l’amertume, elles devaient se rendre en Belgique pour subir leur traitement, et prendre en charge les frais. Pour les avoir côtoyées, je partageais leur sentiment d’injustice.

En revanche, l’ouverture de l’AMP à ces couples me semble devoir faire l’objet d’un mûrissement intellectuel et suivre un processus qui est à peine amorcé en France : Ce débat pourrait donc être prématuré alors que le mariage est toujours fermé aux couples homosexuels, de même que l’adoption.


[1] Baetens et al., 1996 ; Gross, 2003, La plupart des personnes interrogées ont pensé à l’adoption avant de recourir à l’AMP.
[2] Contribution de l’APGL dans le cadre de la révision de la loi dite de bioéthique (2009) p.18
[3]  Voir par exemple : Marie Gélébart, Demande d’insémination artificielle par des couples homosexuels : quels problèmes éthiques pour la médecine?
[4] Le Figaro Madame, 13 juillet 2009, Mères porteuses : entretien avec Élisabeth Badinter
[5] Peggy Sastre : Ex utero : Pour en finir avec le féminisme, La Musardine (2009)
[6] MERES PORTEUSES : EXTENSION DU DOMAINE DE L’ALIENATION, rapport Terra Nova, 2010