En dehors des Vendredis intellos, il y a quelques jours, Phypa a proposé sur son blog à celles qui le souhaitent d’écrire de petits billets sur les femmes d’exception que nous admirons. L’idée est d’offrir des modèles féminins loin des stéréotypes habituels dont parle notre guest Social Scientist dans sa série d’articles. On ne souhaite pas donner des modèles devant être copiés et suivis mais  faire connaître des personnalités d’exception, des femmes qui nous inspirent même si nous suivons une toute autre voie.  Beaucoup de participantes aux Vendredis intellos ont présenté des aspects du travail de Maria Montessori (notamment Home sweet môme), mais sa vie demeure relativement peu connue. Cette femme exceptionnelle a su se dégager du carcan imposé aux femmes de son temps pour arpenter une voie originale et devenir une grande pédagogue. Sa ténacité, son énergie et son originalité forcent l’admiration, c’est pourquoi j’ai voulu lui faire une petite place dans le cadre de nos vendredis neuroneux.

Ici, je ne m’étendrai pas sur ses principes pédagogiques, mais tenterai de présenter sa personnalité hors du commun. Maria Montessori voit le jour, en Italie, dans une famille bourgeoise en 1870. Enfant, elle se passionne pour les sciences et les mathématiquesContre l’avis de son père militaire, mais avec le soutien de sa mère, elle décide de faire des études de médecine. Seule femme inscrite dans cette faculté, les étudiants hommes refusent d’étudier avec elle et elle doit subir les nombreuses critiques de son entourage. Elle réussit pourtant brillamment et devient la première femme médecin d’Italie en 1896…..

Son diplôme décroché, elle choisit la psychiatrie enfantine et se voit confier un groupe d’enfants considérés comme des attardés mentaux. Elle est choquée par ce qu’elle découvre dans son service : pas de jouets, pas de stimulations extérieures, du mobilier et du matériel inadapté aux petits patients.  « J’eus l’intuition que le problème de ces déficients était moins d’ordre médical que pédagogique » raconte-t-elle. Au terme d’une attentive observation, elle développe une pédagogie permettant à ces enfants de se servir de leurs mains. A la stupéfaction générale, les enfants progressent et parviennent même à réussir l’équivalent du certificat d’étude, que certains élèves « normaux » peinent à réussir.

Ayant atteint la trentaine, Maria Montessori a déjà démontré son génie. On lui confie la chaire d’anthropologie de l’université de Rome en 1903. Déjà mondialement connue, elle aurait pu s’arrêter là et avoir une carrière brillante. Mais Maria l’infatigable ne se contente pas de ce premier succès : elle tient le raisonnement suivant  : si des enfants considérés comme intellectuellement déficients parviennent à égaler des enfants « normaux », cela veut peut-être dire que la pédagogie proposée à ces derniers développe insuffisamment leurs capacités. La ville de Rome lui offre l’opportunité de vérifier cette hypothèse : elle finance une « Casa dei bambini » (la maison des enfants) à destination d’enfants défavorisés, livrés à eux-mêmes pendant le travail de leurs parents. Maria accepte de s’occuper de la pédagogie : c’est là qu’elle développera une grande partie de son matériel et de sa méthode.

Elle démissionne de son poste à l’université et décide d’écrire et de former des enseignants venus du monde entier. Maria voyage autour du monde pour faire connaître sa méthode, laquelle se répand particulièrement aux Etats-Unis. En 1935 paraît son plus célèbre ouvrage, l’Enfant, où Maria Montessori plaide pour un traitement plus humain des petits enfants et expose l’essentiel de ses principes. La montée des totalitarismes, puis la seconde guerre mondiale, l’entraînent à une décennie d’exil. Les méthodes, Montessori, fondées sur la liberté et le respect de l’individu sont antinomiques avec le fascisme : Mussolini ordonne la fermeture de toutes ses écoles. Maria se réfugie en Espagne en 1936, puis fuit à nouveau le franquisme vers les Pays-Bas. De 1939 à 1945, elle s’installe en Inde et y développe de nombreuses écoles. Elle revient en Italie en 1945 : malgré la vieillesse, elle œuvre pour diffuser ses principes par des stages et conférences. La mort la rattrape en 1954 sans qu’elle ait pu réaliser son projet de voyage au Ghana où, avant l’indépendance, elle souhaitait apporter son aide à la construction d’un projet éducatif pour le pays. Elle fut nominée trois fois au prix Nobel de la Paix entre 1949 et 1951.

Bien que je ne sois pas une grande spécialiste de la pédagogie Montessori, j’ai beaucoup d’admiration pour la personnalité de cette grande dame. Ambitieuse, passionnée et obstinée, elle a refusé la vie toute tracée de femme issue de la bourgeoisie du 19ème siècle. Sa vie privée ne fut sans doute pas facile, car elle eut un enfant hors-mariage et fut contrainte de le confier un temps à une famille d’accueil, avant de pouvoir le reconnaître officiellement. Pour autant, elle a montré une grande générosité, renonçant à sa clientèle privée et à sa charge universitaire pour améliorer la cause des enfants. Sa façon de penser est à la fois originale et sensible : dans l’Enfant, elle défend le bercement des nourrissons, qu’elle perçoit comme des êtres sensibles alors que la puériculture de l’époque ne les considéraient guère mieux que de simples tubes digestifs. Elle se désole aussi, déjà à l’époque, des tapes sur les mains infligées au bébé qui, porté par son élan vital, touche à tout se qu’il voit. Je l’imagine comme une personne libre, résistant aux conventions sociales, et infatigable lorsqu’elle parcourt le monde jusqu’à un âge avancé.

Malgré son génie et sa personnalité exceptionnelle, Maria Montessori demeure peu connue pour le grand public, en dehors des écoles qui portent son nom. Pourtant, elle mérite amplement sa place parmi les « grands hommes » du 20ème siècle. J’aimerais vraiment qu’il y ait davantage de places et de rues à son nom en France car ses idées demeurent modernes et révolutionnaires et sa personnalité pourrait inspirer bien des jeunes filles.

Flo la souricette