regroupement en maternelle, extrait du film ça commence aujourd'hui

Photo du film « ça commence aujourd’hui » de Tavernier

Lors de la réunion de rentrée de Petite section, la maîtresse de mon Grand Doux (2ans et demi)  nous a expliqué que le but de l’année serait de préparer les enfants à être élèves. C’est-à-dire, selon elle, à se mettre en rang, à attendre leur tour, et à faire « leur travail» même s’ils n’en ont pas envie. A aucun moment je n’ai entendu parler d’épanouissement, de développement, ou même de plaisir d’apprendre.

Environ une fois par mois, mon fils rapporte ses cahiers. M. Doux et moi lui proposons de nous expliquer les tâches correspondant aux fiches collées dans le cahier. Je suis frappée de voir qu’il passe beaucoup de temps à m’expliquer ce qu’il n’a pas réussi alors qu’il s’en sort globalement très bien. Est-ce du à ses tendances perfectionnistes ou bien à la pression que met déjà le système sur ses petites épaules ? Un peu des deux sans doute.

Je ne suis pas passionnée par les livres polémiques sur l’école mais une phrase de la quatrième de couverture d’On achève bien les écoliers  de Peter Gumbel, m’a dans ce contexte particulièrement interpellée :

« Pourquoi la France est-elle le seul pays au monde à décourager ses enfants au nom de ce qu’ils ne sont pas, plutôt qu’à les encourager en vertu de ce qu’ils sont ? »

Peter Gumbel est un journaliste américain, enseignant à Sciences Po. Il a découvert le système éducatif français en scolarisant ses filles dans notre beau pays. En tant qu’étranger, il a été frappé par l’attitude négative qui règne dans les salles de classe, sans que les Français en aient pleinement conscience.  Pour lui, dans les multiples débats sur l’école, la dureté du système scolaire est un point toujours ignoré. Par exemple, les professeurs n’hésitent guère à mettre 0 à une mauvaise copie, mais ne mettront jamais 20 à une très bonne (« ça ne se fait pas » m’avait expliqué un de mes très bons prof de fac). De la maternelle à l’Université, être élève, ou étudiant, signifie encaisser bon nombre de paroles blessantes, de jugements pas très flatteurs, de soi-disant conseils du style (« ne choisis pas telle filière, tu ne suivras pas… »). Ces comportements pourrissent la communication dans les écoles et y engendrent un climat délétère.

Cette façon apparemment bien française de traiter les enfants conduit les élèves à ne pas répondre plutôt que de risquer de faire une erreur. L’erreur est vue comme un obstacle à la réussite et non pas comme un tremplin vers la compréhension, ce que reflète les résultats moyens obtenus par les élèves français aux évaluations internationales. Par peur des jugements négatifs, les élèves ravalent toute réponse originale, conférant ainsi une prime au conformisme (je me souviens déjà qu’ado, au siècle dernier, je ne rendais pas mes rédactions au prix d’un zéro, de peur des moqueries de mon prof de français).

Pourtant, il a été observé que lorsque les enseignants avaient une image a priori positive des élèves, ces derniers obtenaient de bons résultats : c’est l’effet Pygmalion. Dans une enquête dite de « Oak school », les chercheurs avaient tiré au sort des dossiers d’élèves et avaient faussement présenté leurs propriétaires aux professeurs comme étant des élèves ayant obtenu de hauts scores aux tests de QI.  Les maîtres rendus confiants ont eu une attitude qui a motivé les élèves. En fin d’année scolaire ces mêmes élèves ont obtenu effectivement un QI brillant conforme aux croyances de leurs professeurs. Dans ma modeste pratique de classe, j’ai souvent constaté ce type de phénomène. Parfois des enfants considérés comme « débiles légers » par leur enseignant se révèlent intelligents lorsqu’ils rencontrent un maître qui ne connaît pas leur histoire…

Pourtant, le fait de trouver ses élèves mauvais et de leur faire sentir entraîne un véritable effet « Pygmalion à l’envers». L’élève, humilié et rabaissé au rang de « nul », angoisse et se démotive, finit par travailler moins et avec peu d’enthousiasme avec une conséquence directe sur ses résultats. Les enfants adoptent un comportement conforme à l’image que nous avons d’eux.

M. Gumbel pointe particulièrement deux pratiques bien connues de tous, mais qui sont pourtant des machines à démotiver : la notation et le redoublement de masse (qui pourtant coûte cher aux finances publiques). Je ne reprendrai pas son analyse de la notation, elle rejoint celle que j’ai déjà exposée ici. En revanche, les statistiques montrent que plus d’un élève sur deux redouble durant sa scolarité alors qu’il existe pléthore d’études démontrant l’iniquité et l’effet négatif du redoublement sur les résultats scolaires. Rarement, le  redoublement peut profiter à l’intéressé. Mais bien souvent, le maintien dans la même classe est une pratique violente pour les élèves. Arrachés à leurs camarades de classe, contraints de refaire les mêmes choses que l’année précédente, catalogués comme « élève en échec », les enfants ont bien du mal à se remotiver (le cas le plus extrême est, selon moi, le redoublement du CP, très destructeur de l’estime de soi…). Des études ont montré, qu’à niveau égal à l’année N, un élève redoublant aura de moins bons résultats scolaires à l’année N+1 que son camarade passé dans la classe supérieure. En outre, l’élève moyen d’une bonne école se verra plus souvent proposer le redoublement qu’un élève de même niveau dans une école faible (pour avoir navigué dans différentes écoles, j’ai pu personnellement constater la véracité de ce phénomène).

M. Gumbel ne rend pas pour autant les enseignants seuls responsables de cet inquiétant état des lieux. Insuffisamment formés, mal considérés et mal payés,  ils sont eux-mêmes sont traités par leur hiérarchie comme de simples exécutants.

A l’opposé de notre système, M. Gumbel nous explique en quoi le système américain, malgré de nombreux défauts, est champion pour renforcer la confiance en soi. L’école américaine se démène pour encourager et récompenser ses élèves à la moindre occasion, lors d’activités multiples et extrascolaires.

M. Gumbel présente la Finlande comme le pays dont nous devrions nous inspirer : là bas, les pratiques mêlent optimisme américain et recherche française de l’excellence. Les enseignants finlandais, recrutés au terme d’une sélection sévère, bénéficient d’une formation de pointe. Ils savent mettre en œuvre des pédagogies encourageantes et personnalisées adaptées aux enfants les plus difficiles.  Ces professeurs bénéficient d’une grande autonomie : considérés comme des personnes de confiance, ils ne sont pas inspectés (non, non le projet de réforme de l’évaluation des enseignants n’a décidemment rien à voir avec cette philosophie). Or, ce qui se passe au cœur de la salle de classe est important et permet de gommer les inégalités sociales.

En outre, en Finlande, le redoublement est rarissime et l’orientation tardive. Tout le monde a une seconde chance, il est même possible de faire des études secondaires après 20 ans.  Pour sortir de la médiocrité relative révélée par les évaluations internationales type PISA, la France aurait donc intérêt à envoyer des enseignants se former en Finlande. Encore faudrait-il qu’il y ait un véritable projet politique en ce sens…

J’ai bien aimé cet essai car l’auteur apporte un point de vue original et rafraîchissant dans le débat scolaire. S’il pointe les failles de notre système, il dit aussi son admiration pour ses exigences élevées. Il porte un regard respectueux sur les enseignants, dont il reconnaît le travail et la bonne volonté. J’ai en revanche moins accroché sur les développements de la seconde partie : notamment je l’ai trouvé un peu trop enthousiaste sur les traitements médicamenteux des troubles de l’attention, ainsi que sur les réformes proposées par le think-tank de l’Institut Montaigne. En particulier, je suis dubitative envers l’idée de confier plus d’autonomie aux établissements (et ispo facto d’introduire de la concurrence) pour guérir notre système de l’échec scolaire.

Néanmoins, les propositions d’introduire plus de plaisir dans l’apprentissage et de mettre un peu de bonheur dans les écoles, face à la morosité ambiante, sont des idées que j’avais envie de vous faire partager.

Kelissen – Flo la souricette

Si le coeur vous en dit, vous pouvez aussi retrouver les aventures des Doux sur mon blog.