Cette semaine ma contribution aux vendredis intellos porte sur la place du père dans l’équilibre de l’enfant et plus spécifiquement les conséquences que l’absence du père peuvent avoir. Mes réflexions proviennent d’une chanson qui est maintenant dans la mémoire populaire et qui était sans doute l’une des premières illustrations de la blessure que peuvent ressentir les pères quand ils sont séparés de leur enfants suivent à un divorce : « Mon fils, ma bataille » de Daniel Balavoine.

Au cours de ces trente dernières années, la figure paternelle s’est peu à peu lézardée. Les conséquences sont réelles. Un nombre impressionnant d’enfants ne voient jamais leur père, ce qui me touche particulièrement dans ce couplet :

« Oh Les juges et les lois
Ça m’fait pas peur
C’est mon fils ma bataille
Fallait pas qu’elle s’en aille
Oh Je vais tout casser
Si vous touchez
Au fruit de mes entrailles
Fallait pas qu’elle s’en aille »

c’est la manière dont l’amour paternel est exprimé. C’est vrai qu’en tant que mère, on a la chance de porter notre enfant pendant 9 mois. On a cette relation fusionnelle. Au début cet enfant c’est pas vraiment une autre personne, c’est juste une extension de soi. ll s’est nourri de sa mère de manière organique et ça c’est quelque chose de propre aux femmes. Pourtant, ça ne veut pas dire que les pères  ne peuvent pas vivre leur amour avec la même intensité « quasi-organique », après tout cet enfant est aussi le fruit de leurs entrailles…

L’autre aspect de la chanson qui m’interpelle c’est la potentielle absence du père. Je pars donc du principe – comme la plupart des psychanalystes depuis Freud – qu’un enfant a autant besoin de son père que de sa mère pour grandir, psychiquement parlant. Ensuite,  «Le père, c’est celui qui vient apporter à l’enfant un amour d’une autre couleur que celui de la mère, du simple fait qu’oedipiennement il se situe à l’inverse de la mère. Si l’un des parents est attiré par la différence, l’autre est motivé par la ressemblance; si l’un a des rêves oedipiens, l’autre a des rêves identificatoires, si l’un découvre sous une autre forme sexuelle, l’autre se reconnaît dans le même corps.» Christiane Olivier (1994: 102)

Il y a de nombreuses raisons dans la vie pour laquelle le père peut être exclu de sa place de père :
– parce que le schéma familial ne permet pas au père d’exister (divorce, séparation…)
– parce qu’il est toxique pour son enfant et donc exclu
– parce qu’il est incapable de s’assumer en tant que père et donc s’exclut. C’est souvent le cas des hommes sans repères qui se sont perdus dans les méandres de leur histoire familiale.
Le problème étant que si l’enfant ne voit pas son père, cela ne signifie pas pour autant que « l’homme-père » n’est pas le père de son enfant. Mais en ne le voyant plus « l’homme-père » n’a plus confiance et parfois disparait. Il peut en résulter pour l’enfant une absence de conscience d’être inscrit à la fois dans une généalogie et dans une filiation.

Le problème de grandir sans père c’est que l’enfant est parfois étiqueté comme tel et que ça aura des conséquences sur le développement personnel de l’enfant. Parfois cela se passe très bien parceque l’enfant trouve une autre figure paternelle et parfois moins. Ainsi plus tard, pour reprendre D. Bondu «ces jeunes démunis, abîmés, dont les déviances plus ou moins marquées ne peuvent plus se lire comme des actes clairement définis de transgression à une loi qui serait parfaitement identifiée, expriment néanmoins une lucidité et une intelligence du social très aiguë; analysant leur galère, ils sont amenés à tenir ce discours comme un reproche très véhément adressé aux adultes: en fait, je n’ai eu personne à qui me frotter, me confronter. Les adultes, le père, mais aussi n’importe quel autre adulte, n’étaient pas là, contre qui, et avec qui, j’aurais pu m’éprouver; et aujourd’hui, c’est trop tard pour moi, disent-ils nettement» (Bondu, 1996: 186-187).

Je trouve les propos de D. Bondu assez durs mais j’imagine que parfois la réalité est difficile à entendre. Et il est vrai qu’en l’absence d’un père les intervenants de la petite enfance semblent parfois rester perplexes, comment combler ce manque de repère ? C’est de manière précoce que l’enfant a besoin d’un partenaire qui lui signifie et lui transmette le « Nom-du-Père » dans ses trois dimensions : réelle, imaginaire et symbolique. Il est après tout possible pour l’enfant de connaitre d’autres parcours que ceux conditionnés par l’absence, la carence et le default de filiation et de genèse.

Et si pour reprendre les paroles de la chanson de Balavoine « l’absence a des torts que rien ne défend »,  cela ne signifie pas pour autant qu’un enfant qui grandit sans son père ne puisse pas s’épanouir pleinement. Au final, les parents ne sont là que pour accompagner leur enfant, dans « Ce que les enfants nous disent » de Deleuze (1993: 82): «…les parents sont eux-mêmes un milieu que l’enfant parcourt, dont il parcourt les qualités et les puissances et dont il dresse la carte. Ils ne prennent une forme personnelle et parentale que comme les représentants d’un milieu dans un autre milieu. Mais il est erroné de faire comme si l’enfant était d’abord limité à ses parents et n’accédait à des milieux que par après, et par extension, par dérivation. Le père et la mère ne sont pas les coordonnées de tout ce que l’inconscient investit. Il n’y a pas de moment où l’enfant n’est déjà plongé dans un milieu actuel qu’il parcourt, où les parents comme personnes jouent seulement le rôle d’ouvreurs ou de fermeurs de portes, de gardiens de seuils, de connecteurs ou de déconnecteurs de zones. Les parents sont toujours en position dans un monde qui ne dérive pas d’eux. Même chez le nourrisson il y a un continent-lit par rapport auquel les parents se définissent comme agents sur les parcours de l’enfant»

Le père, comme la mère sont des acteurs primordiaux dans le bon développement de leur enfant. Au final dans la chanson de Balavoine, il se battait pour être aussi présent que possible dans la vie de son enfant.  Mais si la vie fait qu’un seul parent est là pour assurer l’éducation de l’enfant tant qu’il y a de l’amour, une bonne communication et le respect de l’autre, je pense que l’enfant peut pleinement s’épanouir. Voila c’était le résultat du travail de mes petits neurones pour les Vendredis Intellos de cette semaine…

French Girl in London

 

BONDU D., L’impasse d’une société sans père, In: Tricot M. & Fritz M.-T. (éds.), Du père à la paternité, question cruciale pour la protection maternelle et infantile, L’Harmattan, 1996, pp. 177-192
DELEUZE G., Critique et clinique, Ed. de Minuit, Paris, 1993.
OLIVIER C. , Les fils d’Oreste, ou la question du père, Flammarion, Paris, 1994.